Alain Juppé : la désillusion de celui qu'on annonçait déjà président
Alain Juppé, ex-Premier ministre mal aimé, devenu favori des sondages à 70 ans, a dévissé dans les trois dernières semaines de campagne et a raté son pari du rassemblement en se faisant sévèrement battre par François Fillon, qu'il avait sous-estimé.
Mais, que s'est-il passé? "On a pris le pari que l'électorat sera plus modéré", expliquait fin août son directeur de campagne, Gilles Boyer, sous les 38 degrés de Chatou lors du discours de rentrée du candidat Juppé. Et de blaguer: "C'est un peu comme le casino!" Trois mois après, les jeux sont faits, le pari perdu, et les juppéistes déconfits.
Le maire de Bordeaux, adepte de Montesquieu et de la modération, a fait une campagne de second tour de présidentielle, assumée comme telle depuis le début. Il s'est lancé il y a deux ans, le "rassemblement" avec les centristes - et François Bayrou - en bandoulière, quitte à se faire siffler comme à l'automne 2014 lors du congrès d'intronisation du nouveau président de l'UMP Nicolas Sarkozy.
Plusieurs de ses soutiens jugent que les attaques de Nicolas Sarkozy visant le centriste François Bayrou et une "alternance molle" ont "plus porté" qu'ils ne l'imaginaient et ont au final déporté des électeurs vers Fillon. "Il s'est laissé enfermer dans la case du centriste", regrette un élu.
Il faut dire que tout le monde avait sous-estimé François Fillon, à commencer par le maire de Bordeaux. Comme beaucoup, il rangeait l'ex-Premier ministre dans la case +velléitaire+, qui ne va pas "au bout des choses", comme il le glissait récemment dans un documentaire. Et il s'attendait donc plutôt à recevoir son soutien pour le second tour. "Ceux qui soutiennent Fillon, on peut penser qu'il préféreront Juppé à Sarkozy", expliquait ainsi un membre de son équipe.
Pendant deux ans de "précampagne", rythmée par la sortie de livres thématiques, Alain Juppé s'est tenu un peu à l'abri des caméras et pointait en tête des sondages. Accusé de ne prendre aucun risque et de surfer sur son statut de favori, il a aussi capitalisé sur l'anti-sarkozysme.
Répugnant à s'exprimer sur ses adversaires, pour se tenir au-dessus de la mêlée, tout juste distillait-il de temps à autre une saillie, en direction de Nicolas Sarkozy notamment. A deux semaines du premier tour, il en était encore persuadé: "Ça se terminera entre Sarkozy et moi", confiait l'ancien Premier ministre, jadis conspué, condamné dans l'affaire des emplois fictifs puis absous par ses années bordelaises.
"Pourquoi changer de stratégie?", ne cessait de répéter son équipe, en référence aux bons sondages qui se succédaient. Et de balayer d'un revers de main la comparaison avec un autre favori, battu dans les urnes: Edouard Balladur.
"M. Balladur était +un petit nouveau dans la politique+, moi j'ai mené beaucoup de batailles politiques, et je les ai gagnées presque toutes", avait répondu l'orgueilleux Alain Juppé à plusieurs reprises ces derniers mois.
Son équipe ne l'a pas caché, son champion préfère l'exercice du pouvoir à la conquête du pouvoir. "C'est sa force et sa faiblesse". A l'image de son "Je les emmerde" lâché aussi dans un documentaire à l'adresse de ceux qui le trouvent "très conventionnel" et ennuyeux.
Lui a manqué aussi peut-être le soutien des patrons dans cette compétition, plus séduits par le programme libéral de Fillon. "Il est trop +homme d'Etat+", glissait un lobbyiste pour expliquer qu'il n'était pas le chouchou des chefs d'entreprises.
La séquence télé d'autointerview chez Ardisson datant de 1988 ressortie des archives lors de cette campagne s'avère aujourd'hui cruelle: "Tu crois que tu seras président un jour?". Réponse d'Alain Juppé: "On peut toujours rêver".
Après "avoir donné 40 ans de sa vie au service de la France" qui lui ont apporté "de grands bonheurs et quelques peines", comme il l'a déclaré dimanche soir, ému, il va désormais se consacrer "pleinement" à sa ville de Bordeaux.
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