Camp de migrants à Paris : le casse-tête des emplacements, entre colère et solidarité
Entre deux tours de 30 étages se dessinent au loin la Butte Montmartre et la silhouette du Sacré-Coeur. Pourtant, la Porte de la Chapelle est loin de cette image de carte postale. Sur la grande rue qui mène au périphérique, quelques HLM modernes côtoient des immeubles tagués, une station essence, des commerces et terrasses de cafés animées. Le trottoir est jonché de déchets: frigo calciné, vieux trognons de maïs, canettes, mégots... Et même un rat écrasé.
Près du tramway, qui déverse son flot de riverains pressés sur les boulevards des Maréchaux, deux friches se font face. Un terrain vague de 10.000 m2 et ses entrepôts délabrés sont surveillés par un vigile et un chien. Un peu plus loin, une palissade annonce que les travaux de "Chapelle International", un quartier moderne avec habitations et commerces, ont commencé.
C'est dans cet environnement qu'un centre humanitaire, aux normes de l'ONU, devrait voir le jour, car pour Mme Hidalgo, "nous ne pouvons plus accepter la situation humanitaire et sanitaire" à laquelle les migrants sont actuellement réduits. Si l'ouverture est prévue pour fin septembre, les habitants "n'ont pas du tout été prévenus", se plaint Nedjma Bouhlal, une mère de famille de quatre enfants.
Même son de cloche du côté de l'opposition municipale :"les élus ne sont informés de rien, ça manque vraiment de transparence!" s'indigne Pierre-Yves Bournazel, conseiller Les Républicains du XVIIIe. "On n'est pas contents du tout", assène Fabienne Remerand-Moreau, une nouvelle habitante attirée il y a un an par les prix "attractifs" de l'immobilier. Pour elle, le projet "Chapelle International" "va dynamiser le quartier", mais "s'ils nous mettent le camp juste derrière, ça va tout faire foirer !".
Tamara P., étudiante de 24 ans, a elle déménagé au bout de quelques mois, excédée par les nuisances: "c'est tout le temps sale, il n'y a quasiment que des hommes dans la rue et beaucoup de toxicos, sans-abris. La mixité culturelle et le côté populaire du quartier m'avaient donné envie de m'y installer. Mais au bout de quelques mois, je ne supportais plus", avoue-t-elle à l'AFP.
"Ras-le-bol, c'est toujours dans les mêmes quartiers!" s'emporte Fabienne Remerand-Moreau, "pourtant on paie aussi des impôts !". "Ici, on connaît déjà des difficultés lourdes", pointe Pierre-Yves Bournazel, citant "les taxis clandestins, l'occupation illégale du domaine public, les campements de roms, les ventes à la sauvette...". "C'est ajouter de la misère là où il y en a déjà beaucoup, c'est une logique injuste", s'agace Tamara.
En 2012, l'arrondissement avait été classé en zone de sécurité prioritaire. Selon le dernier recensement de l'Insee (2013), le taux de pauvreté y est de 23,9% quand la moyenne parisienne est à 16,1%. Et le chômage avoisine les 13,7% contre 11,9% tous arrondissements confondus.
"C'est invivable!" s'énerve Margarita, une septuagénaire chilienne. Au square avec ses deux voisines, elle désigne la HLM grise qu'elles habitent depuis 40 ans, pestant contre les incivilités quasi-quotidiennes, les "dégradations" et les "motos" qui vrombissent toute la nuit.
Même s'il concède que "le nord-est parisien est très solidaire", le directeur général de France terre d'asile (ONG chargée de la co-gestion du camp avec la mairie), Pierre Henry, estime que le choix de l'arrondissement "n'est pas le vrai sujet": "Paris doit montrer l'exemple".
"La pire des situations, c'est celle qu'on connaît aujourd'hui", admet Pierre-Yves Bournazel. Car le nord-est parisien est régulièrement le théâtre de campements sauvages. Le 22 juillet, quelque 2.628 migrants ont été délogés entre les stations de métro Jaurès et Colonel Fabien.
Si les élus s'accordent sur le fait qu'il faut agir et trouver un lieu pour héberger les migrants "dignement", Tamara résume la situation: "Il faut bien les accueillir quelque part, mais personne n'acceptera jamais un camp dans son quartier".
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.