Cent ans du fascisme italien : "Les désirs d’autorité, d’unité, de violence se portent fort bien"
Il y a cent ans ce samedi, le 23 mars 1919, Benito Mussolini fondait les Faisceaux italiens de combat, embryon du parti fasciste aux chemises déjà noires. Un siècle très exactement après la naissance de ce mouvement, alors qu'on assiste à une montée généralisée du populisme et du nationalisme, l'historien et chercheur associé au Cepel (Centre d'études politiques de l'Europe latine de l'Université de Montpellier) Nicolas Lebourg* l'affirme: le fascisme a muté, mais reste bien vivant.
> France-Soir: Pouvez-vous définir le fascisme en quelques mots?
Nicolas Lebourg: Il y a eu un intense débat entre historiens sur cette question. Pour mon humble part, je considère que le fascisme c’est un parti-milice qui veut créer un homme nouveau par un État totalitaire à l’intérieur et une guerre impérialiste à l’extérieur. Né de la première guerre mondiale, le fascisme en a conservé la nostalgie d’une société totalement mobilisée et unifiée: il vient de la guerre et y retourne avec fièvre. Mais c’est un objet plastique, Mussolini a pu ainsi complètement changer de vues en matière économique. Enfin le fascisme est un courant de l’extrême droite radicale, c’est-à-dire qu’il conçoit la société comme devant se purger de toutes les traces du libéralisme où son homme nouveau doit être un atome du corps de la communauté nationale.
> Existe-t-il des mouvements héritiers du fascisme en Europe?
Le mouvement qui coche toutes les cases aujourd’hui en Europe ce sont les Grecs d’Aube dorée. Maintenant, le néo-fascisme en fait n’est pas né après la Seconde Guerre mondiale mais durant celle-ci. C’est le fait que l’armée allemande et la Waffen-SS incorporent des centaines de milliers de volontaires européens qui a tout changé. On dépasse l’idée de la nation impériale au bénéfice de celle de l’Europe ou de celle de la race blanche, on s’intéresse moins à l’État et plus à la société. Le fascisme italien mute avec son congrès de 1943, revient à ses racines sociales, avec en perspective la construction d’une Europe constituée de régimes corporatistes.
> Certains n'hésitent pas à annoncer que le fascisme serait de retour...
Le fascisme ne revient pas. Il était lié à la société industrielle, à sa verticalité, et à l’époque coloniale, avec ses dominations codifiées. En revanche, les désirs d’autorité, d’unité, d’ordre, de violence se portent fort bien. Les parallèles avec les années 1930 butent sur la réalité empirique. En Espagne, l’écroulement économique de 2008 n’a pas permis à l’extrême droite de faire 1% aux européennes de 2014. Actuellement, Vox émerge mais c’est la panique entretenue par le Parti populaire conservateur sur la survie de l’Espagne lors de la crise catalane qui l’a dopé. Et les petits mouvements phalangistes restent marginaux.
Ce qu’il faut pour développer une offre politique d’extrême droite, c’est une crise culturelle (en France sur la société multi-culturelle, en Espagne sur l’unité nationale) et une décomposition des offres politiques. Mais les électeurs d’extrême droite veulent jouir de la société de consommation, non devenir des citoyens-soldats vivant exaltés par-delà le bien et le mal. Au niveau de l’imaginaire ce qui est intéressant, c’est que l’engagement européen du côté de l’Allemagne nazie se faisait en fustigeant le danger "asiatique" contre l’Europe que représentait la Russie –à l’époque on amalgame la Russie à l’Asie. Aujourd’hui, l’extrême droite nous explique que la globalisation se limite à une orientalisation de l’Europe (démographique avec l’immigration, culturelle avec l’islam etc.). Là on a des leviers d’imaginaire qui sont en capacité de faire que le climat se durcisse encore.
*Chercheur de référence sur l'extrême droite, Nicolas Lebourg publie en mai prochain un nouvel ouvrage: Les Nazis ont-ils survécu? (éditions du Seuil).
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