Suite de l'enquête : Discovery, pourquoi les 2 mois de retard risquent d'être plus que cela ?
ANALYSE : Cette seconde partie d'enquête fait suite à notre premier article rédigé avec Guy Courtois et publié le 14 avril 2020 sur les 2 mois perdus dans l’application du traitement préconisé par Didier Raoult. La présente recherche a donc été faite un mois après, c’est-à-dire « plus de 10 000 décès après ».
Etant donné le bruit médiatique, les diverses polémiques (masques, tests, déconfinement, reprise de l’école et du travail), il est difficile d’appréhender l’ensemble des problèmes mis au jour par le COVID-19. On peut au moins essayer de comprendre un des problèmes soulevé. Est-il possible d’appréhender en détail l’étude Discovery et de donner une vision non technique, mais objective, de la chose ? « Discovery » a été présenté comme « l’essai modèle » des traitements contre le COVID, le summum de la rigueur de la science, française et européenne. Qu’en est-il vraiment ?
En Mars 2020, tout se joue
Début mars 2020 : L’Inserm (1) lance l’idée d’un protocole pour tester 3 traitements contre le COVID-19 et espère y associer 7 ou 8 autres pays européens. Le protocole est élaboré dans des délais très courts, l’autorisation est obtenue pour la France en un temps record, les essais sont ouverts dès le 22 mars. Les autres pays ne sont pas encore présents à cette date. Ont-ils été mis devant le fait accompli ?
Quelques jours avant cette ouverture précipitée du 22 mars, a été ajouté in extrémis le test d’un 4ème traitement, l’« hydroxychloroquine » (2) sur des patients hospitalisés.
Ce qui n’est pas le traitement préconisé par Didier Raoult.
Les responsables de Discovery, telle que la Pr France Mentré, déclareront publiquement (le 5 mai, sur France 5) : le Gouvernement nous a demandé cet ajout, « un soir, sans laisser le choix »
Un ajout de dernière minute très médiatisé sur 2 points :
- L’essai Discovery est présenté comme la vérification de la bithérapie « de Raoult » alors qu'en réalité ce protocole ne teste, comme tant d’autres essais, qu'une monothérapie. Quelques contestations s’ensuivent documentées dans l’enquête précitée. Mais, le 5 mai (soit 1,5 mois après) : le président Macron déclarera qu’il y a bien la seconde moitié de la bithérapie (l’azithromycine) dans Discovery.
- Lorsque le gouvernement prend la décision impopulaire d’interdire l’hydroxychloroquine aux médecins de ville le 26 mars, on peut dire qu’il fait « passer la pilule » en assurant qu’il ne s’agit que de « 15 jours » à attendre, le temps d’avoir les « premiers résultats » de Discovery.
Le « deal » avec la majorité de Français « pro-Raoult » est : on bloque, mais seulement pour 15 jours.
Une promesse 3 fois répétée :
Les responsables de Discovery (dont F. Mentré, le 5 mai sur France 5) déclareront qu’il y a eu un « problème de communication » sur ce délai de 15 jours, mais, au départ, tout l’Inserm a laissé dire.
Les premiers résultats étaient donc attendus pour le 9 avril (26 mars, date de décision plus 15 jours), soit 2,5 semaines après l’ouverture des essais. Un tel délai semble difficile à tenir, même sur un seul pays. Cependant, Frédérique Vidal (Biologiste scientifique et Ministre de la Recherche depuis 3 ans) le confirme : « début avril ». Le Ministre de la Santé (neurologue) ayant promis les « 15 jours » dès le 22 mars, soit pour le 4 avril.
Avant l’ajout de l’hydroxychloroquine, Discovery s’attribuait déjà 3 trophées essentiels :
- Essai présenté par tous, sans la moindre réserve, comme « européen ». Y compris jusqu’au 5 mai par E. Macron (il ne s’agit d’ailleurs pas de « l’Europe » des 27 pays, mais de 8 pays dont le Royaume-Uni). La Commission Européenne ne semblant être contactée que pour payer, alors que les pays membres lui ont toujours refusé la « compétence Santé ».
- Un effectif de 3 200 patients, de taille donc considérable, permet d’assurer la validité statistique, si chère à la communauté médicale, et de « faire taire » les autres essais. Encore que les patients de Discovery soient repartis en 4, puis 5 « bras » (au lieu des 2 ou 3 bras ailleurs). Ils ne seront donc que 800 (3200 divisés par 4), puis même seulement 650 (3200 divisés par 5) par traitement.
- Cet essai est présenté comme le modèle de la science, de la rigueur, du sérieux. Cependant, Il n’est ni en « double aveugle », ni même en « simple aveugle », c’est-à-dire que médecins comme malades savent qui prend quoi. C’est laisser jouer les effets placébos et nocébos bien connus, qui induisent souvent plus de 30% d’erreur. Cet essai n’a pas non plus de groupe placébo. Mais, seulement un groupe témoin qui reçoit des soins classiques (« standard of care » dans le jargon) comme à Nice et Avignon, pour l’étude de Raoult. Cet handicap majeur est annoncé comme devant être « compensé par la quantité » c’est-à-dire par la taille de l’échantillon de 3 200 patients [3]. Ces deux lacunes importantes sont passées inaperçues, alors qu’elles reproduisent celles tant reprochées à Raoult ! Et alors qu’il avait, lui, l’excuse d’avoir fait vite, bien avant le pic de l’épidémie.
En avril, c’est très calme.
Etonnamment, peu de médias, ni d’oppositions, ne posent la question de l’échéance du 4, du 9, ou du « début » avril, pour la sortie des « premiers résultats » de Discovery. L’Inserm recule donc l’échéance, sans opposition aucune, en se donnant 15 jours de plus, soit « fin avril »
Cette absence de pression s’explique : Discovery est l’essai qui bloque l’hydroxychloroquine. La classe médiatique française serait-elle ravie de voir « l’hydroxychloroquine de Raoult » bloquée ? Au « bon motif » que le Professeur aurait cumulé imprudemment 5 erreurs avec les médias :
- Il s’est souvent servi des médias, en publiant des articles dans « Le Point ». Et avec succès, car il a pu revendre ses écrits sous forme de livre, en librairies.
- Ses articles se sont étendus en dehors de son domaine de compétence, empiétant sur le territoire des journalistes de toutes spécialités.
- Il affiche un certain dédain, voire un peu de mépris, pour les médias.
- Il s’est affiché plus ou moins « climato-sceptique », s’attirant aussi les foudres de la partie écologiste du monde politique, au point de faire éructer Cohn-Bendit.
- Enfin, il court-circuite les médias, avec une chaîne You tube, donnant un exemple contestable à tous ceux qui ont quelque chose à faire savoir.
L’aile gauche de la France semble, elle, se méfier d’un Raoult chroniqueur dans « Le Point », plus ou moins climato-sceptique, fils de général, probablement de droite, soutenu par nombre de personnalités LR, pas seulement du « sud ». De plus, Médiapart a fini d’achever Raoult, en l’accusant d’être un faussaire en série, de tyranniser et harceler ses 750 collaborateurs, et d’avoir les syndicats, l’INSERM et le CNRS contre lui.
Etre « pro-Raoult », c’est être « populiste ». Tout est dit.
De même, évoquer le conflit d’intérêts entre un générique et des médicaments très chers, est qualifié de « complotiste ». Cette hypothèse est d’ailleurs surtout présentée dans la bouche du comique Bigard, entré en politique sous la houlette de Marcel Campion, le forain. Du coup, dans les pétitions d’avril en faveur d’une libéralisation de l’hydroxychloroquine, n’apparaissent, en tout, que 2 noms « plus ou moins de gauche » : le contesté Michel Onfray, qui veut « fédérer les souverainistes », Patrick Pelloux, chroniqueur dans l’anarchisant « Siné mensuel », et une seule personne au Centre : Martine Wonner, médecin et députée LAREM alsacienne.
Le gouvernement de son côté consacre Discovery comme le modèle du sérieux scientifique :
- En mettant en avant, lors de la 2ème conférence de presse du Premier Ministre, Florence Ader, elle y est la seule scientifique et elle se présente comme la « pilote » de Discovery.
- En cautionnant la campagne sur les effets soi-disant « mortels » de l’hydroxychloroquine, effets qui justifient d’attendre comme le Messie les résultats de Discovery : devant les députés, Olivier Véran cite une étude américaine dans laquelle l’hydroxychloroquine a été donnée à des vétérans mourants !
Les rares critiques contre Discovery n’ont porté, en avril, que sur le remplacement d’une bithérapie précoce par une monothérapie tardive (dans Marianne, Canard Enchaîné, FranceSoir). La critique la moins molle venant du Pr Perronne : « absence d’éthique ». La première enquête a fait le point sur ces critiques le 14 avril, puis une autre dans le blog du Club de Médiapart le 28 avril.
En mai : ça commence à s’agiter.
Le 1er mai, « Le Monde » ouvre la boîte de Pandore en douceur, avec une interview de l’infectiologue Yazdan Yazdanpanah par Hervé Morin. Il obtient des réponses claires et la mise en accusation de l’Europe, qu’il met en titre. Les populistes anti-européens engrangent cette étonnante double caution.
Le 3 mai, Hervé Morin s’associe à 4 journalistes du « Monde » (démarche peu courante) pour dénoncer des scientifiques qui ont critiqué Raoult, tout en ne respectant pas, eux non plus, les usages. Ils dénoncent ainsi une équipe de l’APHP ; pas encore Discovery, mais ça approche, c’est le même camp, le même milieu, les mêmes labos.
Le 5 mai, spectaculaire contrefeu présidentiel, Emmanuel Macron, devant les télés, confirme sa confiance en Discovery et son caractère « européen ». Il annonce qu’il prendra des décisions le 14 mai, au vu des premiers résultats, et fait un subtil exercice verbal pour intégrer la présence de l’azithromycine ! C’est d’autant plus étonnant que Discovery ne teste que des monothérapies, afin de respecter le protocole présenté comme le « fin du fin ».
Quatre heures après, France 5 diffuse un dossier de Nelson Getten qui dément le caractère européen, annonce l’extrême faiblesse des effectifs au point que les résultats ne seraient encore pas publiés le 14 mai, (soit 3,5 fois le délai de 15 jours initialement promis).
Le 6 mai, devant le Sénat, Florence Ader essaie de rattraper les aveux au « Monde » et l’accusation de l’Europe. Cependant la faille apparait : le nombre de patients non français a été multiplié par 2, pour atteindre un total de 2 patients, au lieu des 2400 promis. Enfin, elle dénonce :
- ses collègues français et leur « épidémie d’essais » (plus de 20) avec des effectifs ridicules
- ses collègues européens, qui n’ont pas les moyens de se payer un essai sérieux comme le sien ! (Essai à 5000 € le patient, soit près de 4 M. € pour la France, pour l’échec que l’on découvre).
Parallèlement, à l’Assemblée nationale, le groupe LAREM exclu Martine Wonner, une des médecins qui essayent de faire connaître une étude à l’opposé de Discovery, celle des « 88 cas ». De plus, les liens de certains responsables de Discovery avec le laboratoire américain, qui produit un des médicaments testés, sont évoqués dans des médias en ligne.
Le jeudi 7 mai, l’audition des responsables de Discovery au Sénat est rapportée dans quelques médias (dont : Le Figaro, …etc, à partir d’une dépêche de l’AFP).
Vendredi 8 mai, Marie-Paule Keny, de l’Inserm, n’a aucune question gênante de France Info pendant 30 minutes d’antenne. Elle évoque seulement quelques « problèmes de communication » avec les autres pays et ose déclarer l’essai « aveugle » en expliquant que ceux qui analysent les chiffres ne sont pas les soignants ! Manière fort étrange de jouer avec les mots sur un sujet pourtant essentiel. De son côté, BFM TV commente l’affaire, mais seulement sur le quantitatif et l’Européen.
Perspectives au 11 mai : la tempête tout de suite, ou d’ici l’été ?
Ce lundi 11 mai, le comité « indépendant », responsable d’analyser les résultats de Discovery, doit décider s’ils méritent d’être enfin communiqués. Mais, au total, Discovery porte seulement sur 750 patients, soit un très faible effectif de seulement 150 patients par « bras » (c’est-à-dire par traitement testé). Ou alors, il décidera encore « silence radio » en attendant l’éventuelle 2ème vague, dans l’espoir d’avoir plus de patients.
Le prochain feuilleton de l’été ?
Les sénateurs rêvent de rejouer une « affaire à la Benalla » tout cet été, avec des auditions télédiffusées chaque jour, sur un sujet infiniment plus grave qu’un coup de poing et trois passe-droits. En tout état de cause, la création d’une Commission d’Enquête est dans l’air. Ce qui semble certain, c’est que le principal reste à sortir dans les grands médias. Sans doute par petits morceaux, bien saucissonnés, pour le « teasing » l’effet « feuilleton ». Il faut bien reconnaître que les sujets de rebondissement abondent :
1) Les conflits d’intérêts des nombreux responsables de Discovery. En particulier la non-déclaration de ces conflits dans les médias depuis 2 mois qu’ils y campent.
2) La substitution, occultée pendant au moins 45 jours, d’une monothérapie tardive à une bithérapie précoce, alors qu’il y a des milliers de vies en jeu.
3) Un essai non aveugle et sans groupe placébo, après avoir donné des leçons de rigueur à leurs collègues français, européens, et même de l’OMS, aux « critères moins contraignants ».
4) La dépense importante que représente la prolongation d’un essai cumulant en définitive : doublons, coût record, fragilités méthodologiques, et effectifs par « bras » très faibles.
5) Les vraies raisons que chacun des 7 pays européens a eu pour refuser d’impliquer des patients. A minima, comprendre pourquoi deux pays n’ont envoyé qu’un seul patient chacun, par exemple, le Luxembourg, alors que 60 patients lui avaient été « commandés » par l’Inserm.
6) Le but réel de ce montage, qui ne pouvait aboutir, comme prévu par écrit, qu’à « jouer la montre » au profit d’éventuels nouveaux médicaments très chers.
7) La complexité de la vingtaine d’essais parallèles et concurrents, dont pas un seul ne semble reprendre le protocole « précoce » de Raoult, à l’exception de « l’étude des 88 cas ».
8) Les raisons pour lesquelles, ni Violaine Guérin durant 2 h sur LCI, ni Martine Wonner sur RTL (toutes deux médecins spécialistes) n’ont pas pu parler de cette étude des « 88 cas », sans doute la seule où la bithérapie est testée avant hospitalisation.
9) Les fake news diffusées pour cacher, des semaines entières, l’échec de Discovery, sa nature étroitement franco-française, sa méthodologie peu « robuste », etc.
10) L’effet nocébo, sur des vies humaines, de la campagne brusquement lancée sur les effets soi-disant « mortels » de l’hydroxychloroquine, pour justifier Discovery et son attente.
Sans enlever de saveur à l’éventuel feuilleton de l’été :
L’INSERM aurait-il réussi à prendre la grenouille pour un boeuf ? Et ce pendant 45 jours.
Cette particularité française a une grande importance pour la science française car elle révèle les méthodes des protagonistes d’un combat de fond : le combat qui dépasse cent fois la polémique sur l’hydroxychloroquine, c’est-à-dire le combat sur toute l’organisation à venir de la recherche française.
Avec, depuis des années, Raoult et Inserm comme acteurs principaux, dans les rôles respectifs du décentralisateur, et des jacobins, comme remarquablement décortiqué par « Marianne »
- Si la bithérapie de Raoult s’avère inefficace, l’Inserm et ses méthodes l’emporteront
- Sinon, l’INSERM pourrait perdre en crédibilité, et il pourrait y avoir séisme politique, car le nombre de morts serait infiniment supérieur aux quelques centaines de l’affaire « sang contaminé ».
Notes :
[1] : Sous le nom Inserm sont inclus dans ce texte tous les organismes et comités qui gravitent autour, à propos de Discovery : « réacting », …etc
[2] : Il faut catégoriquement distinguer « hydroxychloroquine » et « bithérapie précoce préconisée par le Pr Raoult », car c’est en créant une confusion entre les 2 que, depuis le 22 mars, la France attend des vérifications qui ne pourront jamais venir. D’autant que, selon plusieurs observations de terrain, dont l’étude « des 88 cas », c’est peut-être l’azithromycine qui serait la plus efficace, dans la bithérapie !
[3] : https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/32223-L-essai-europeen-Discovery-traitements-phase-test
Autres liens importants pris en considération :
https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT04315948
https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.16.20065920v2
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755775&categorieLien=id
https://stopcovid19.today/
https://blogs.mediapart.fr/enzo-lolo/blog/150420/debunkage-de-quelques-arguments-mediatiques-sur-le-traitement-de-lihu-de-marseille
https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/infectiologie/etude-lappui-un-collectif-de-medecins-plaide-pour-la-liberte-de-prescrire-en-ville
https://blogs.mediapart.fr/laurent-mucchielli/blog/060520/le-remdesivir-l-industrie-pharmaceutique-et-la-crise-du-covi
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