La mairie de Paris contre "les cadenas de l'amour" du Pont Neuf
Parmi quelques passants matinaux, un jeune homme rode. Au passage d'un couple, il marmonne "Locks! Locks!" ("cadenas, cadenas") en brandissant un trousseau de petits cadenas noirs. Ravindu est Sri Lankais. Il s'agit pour lui de vendre un maximum de ces "cadenas d'amour" que les touristes, bien plus que les Parisiens, aiment accrocher aux grilles des ponts avant de jeter la clé dans la Seine en gage "d'amour éternel".
Il en vend une vingtaine par jour, un peu plus quand "les groupes de touristes chinois viennent", "de 5 à 10 euros selon la taille", dit-il dans un français mêlé d'anglais. Cette semaine, la mairie de Paris a cependant entamé une nouvelle campagne pour dissuader les touristes d'en acheter et plusieurs affiches incitent à ne plus y recourir. "Nos ponts ne résisteront pas à votre amour", clame un slogan sur une barrière de chantier camouflant une grille affaissée par le poids des cadenas.
Ces cadenas "bouchent les perspectives sur la Seine, une des plus belles perspectives au monde, classée par l'Unesco. C'est un atout patrimonial majeur pour Paris", explique Bruno Julliard, Premier adjoint à la maire de Paris, Anne Hidalgo. Outre la préservation du patrimoine, la sécurité doit être assurée car ces cadenas provoquent des risques de chute. "Ce sont des centaines de kg et les panneaux tombent", prévient-il.
Sur la place du Pont Neuf, les cadenas vont du doré clinquant aux teintes ternies par la rouille, en passant par des cadenas de toutes les couleurs. Des prénoms et des cœurs sont gravés en arabe, anglais ou chinois.
Stéphane et Christine, qui préfèrent ne pas donner leur nom, n'ont pas résisté à l'appel de Ravindu. Ils ont acheté un petit cadenas, ont inscrit au feutre "S+C" dessus. "J'ai bien vu les affiches d'interdiction, mais cela fait quand même 21 ans que nous sommes ensemble, il fallait marquer le coup, avant que notre fille ne le fasse avec son amoureux", plaisante Christine.
Jaycean West, Australien, prend des photos de la vue. "Je trouve ce pont vraiment génial", souligne-t-il en s'interrogeant cependant sur les "risques pour l'environnement et les gens qui passent sous le pont".
Dans sa lutte anti-cadenas, la Mairie de Paris a remplacé en 2015 les grilles du Pont des Arts par des panneaux vitrés. Dans d'autres capitales confrontées au même problème, le choix a été comme à Rome et Moscou d'installer des arbres et poteaux dédiés aux "cadenas d'amour". Sur le Pont Neuf, un vieil homme au visage mangé par une grosse barbe grise, maraude le long des grilles, en portant un sac à dos en jean usé. Guido, 78 ans, pioche dans un attirail de clés miniatures avant de forcer les verrous jusqu'à ce qu'ils cèdent.
Le vieil homme s'est fait une mission d'enlever les cadenas, qu'il emporte avec lui pour les jeter plus tard : "Il faut débarrasser le pont de ces horreurs! Ça abîme le patrimoine français", dit-il. Ce Napolitain de naissance récolte "une centaine de cadenas par jour". "Quelle drôle de conception! L'amour ce n'est pas s'enchaîner", dit-il.
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