Les vrais chiffres de l'immigration en France
La population française "de souche" est-elle en train de se faire supplanter par des immigrés, qui débarquent en masse chaque année? Oui, à en croire une partie de la classe politique. Autrefois marqueur du discours du FN (devenu le RN), encore martelé par Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle de 2017, le crédo a été repris par Laurent Wauquiez. "Sur le quinquennat d'Emmanuel Macron, la France connaîtra un million d'immigrés en plus" a ainsi lancé le président de LR au Premier ministre Edouard Philippe jeudi 27 sur France 2. Problème: ce chiffre est faux.
Lancé avec aplomb, il peut faire peur: un million d'immigrés en seulement cinq ans... Mais qu'en sera-t-il dans vingt ans? Et dans un siècle? Il faut faire quelque chose!
Partons des faits. Laurent Wauquiez se base sur les 262.000 "premiers titres de séjour" -excluant donc les renouvellements- qui ont été délivrés par les autorités françaises en 2017. C'est 13,7% de plus qu'en 2016, selon ces données que le ministère de l'Intérieur rend publiques chaque année.
Premier écueil: si le président de LR parle d'immigration totale, son estimation est largement sous-estimée. Tout d'abord car une extrapolation sur le quinquennat donne plutôt 1.300.000 personnes (262.000 multiplié par cinq)... A moins qu'il ne parle des quatre années de mandat restantes à Emmanuel Macron?
Ensuite, Laurent Wauquiez ne prend pas en compte les migrations intra-européennes (qui ne nécessitent pas de titre de séjour) alors qu'elles représentent un gros tiers des installations en métropole chaque année selon les données de l'Insee. En les incluant dans le calcul, l'ordre de grandeur atteint cette fois 1.750.000 "migrants" sur cinq ans (ou 1.400.000 sur quatre ans) soit près du double du chiffre lancé à L'Emission politique jeudi!
Le président de LR se limite ainsi aux seules migrations légales de personnes provenant d'en dehors de l'espace Schengen -ce qui précise sa conception du "migrant"- qui ont donc donné lieu à 262.000 octrois de titres de séjour en 2017.
Dans le détail, ce nombre comprend 88.095 titres accordés à des étudiants non-européens (+19,6% par rapport à 2016) ainsi que 91.070 procédures de regroupement familial acceptées (+2,2%). Mais aussi 23.260 "passeports talents" délivrés à des chercheurs et autres profiles très qualifiés et/ou recherchés. Enfin, 40.305 titres humanitaires, dont près de 35.000 statuts de réfugié et assimilé (deux fois plus qu'en 2016) et quelques milliers de cas "divers" (anciens combattants, étrangers entrés mineurs...) complètent le tableau.
Mais dans le même temps d'autres quittent également le pays, par exemple les étudiants étrangers qui sont nombreux à regagner leurs pénates à la fin de leur cursus. Des Français partent aussi. En ce qui les concerne, le dernier chiffre solide donné par l'Insee date de 2013: 197.000 expatriations (contre 78.000 retours) dont 80% sont des personnes âgées entre 18 et 29 ans au moment de leur départ, laissant supposer qu'ils vont eux aussi étudier ailleurs. Environ 40.000 départs d'étrangers ont également été enregistrés la même année.
En incluant les migrations intra-européennes, toujours en 2013, 338.000 personnes sont venues s'installer en France tandis que 238.000 en partaient. Soit un solde migratoire positif de 100.000 personnes. A mettre en perspective avec les 811.510 naissances pour 569.236 décès (solde positif de 242.274 personnes) enregistrées pour la même année en France.
Mais le solde migratoire a ses limites. Pour caricaturer, il est possible d'obtenir le même chiffre avec 1,1 million d'arrivées (pour 1 million de départs), ce qui constituerait bien un tsunami migratoire. Vérifier qu'il est resté globalement stable dans sa structure depuis 2013, permettrait de tempérer sensiblement l'analyse de Laurent Wauquiez. Or, faute de données récentes, l'Insee n'a pas la réponse et n'émet qu'une "projection" de ce solde migratoire pour les trois dernières années. Un chiffre en réalité anecdotique: puisqu'il s'agit d'une simple moyenne des trois dernières années fiables (2011, 2012 et 2013)...
Seule certitude: le recensement des titres de séjours délivrés par l'administration, qui publie des données récentes et exactes. Ceux-ci font état d'une augmentation sensible depuis 2012, année où 193.120 titres ont été délivrés contre, donc, 262.000 en 2017 (+35,7%).
Cette explosion cache-t-elle le fameux tsunami migratoire? Pas vraiment. Déjà car sur une hausse -en valeur absolue- de près 70.000 titres délivrés, 30.000 concernent des étudiants (88.095 en 2017 contre 58.857 en 2012), qui ne sont par nature que de passage. Seul un total de 22.000 titres humanitaires supplémentaires -contre plus d'un million en Allemagne- ont été délivrés en France (40.305 contre 18.456). Le reste concerne les migrants économiques qualifiés (+11.000), le regroupement familial (+4.000) et 2.000 "divers".
Il faut écarter ces fameux "cerveaux" et autres étudiants du calcul, car la France fait beaucoup pour attirer les premiers, tandis que les seconds repartent massivement. Il serait en outre étonnant que Laurent Wauquiez regrette que ces catégories de populations s'installent en France.
Ainsi, en six ans, la hausse de la migration légale en France n'est finalement que d'une petite trentaine de milliers d'arrivées de ressortissant hors-Schengen chaque année. Loin du boum annoncé. En l'état actuel de la situation et de la dynamique, le tsunami migratoire d'un million d'immigrés sur cinq ans annoncé par Laurent Wauquiez n'est en réalité qu'une vaguelette de 200.000 à 250.000 personnes (quatre à cinq fois moins!). L'invasion présumée n'est qu'une vue de l'esprit.
De nombreux tours de vis ont en effet été donnés par les gouvernements successifs pour restreindre le droit d'asile et plus largement l'accueil des immigrés. Résultat, en 2017 et rapporté à sa population, la France a délivré peu de titres de séjour (elle se classe 17e sur les 28 pays de l'UE) et accepté peu de réfugiés (11e sur 28). De ce fait, ériger "l'immigration de masse" au rang des principaux sujets politiques du pays, malgré l'urgence climatique ou le marasme économique et social, est un non sens.
Enfin, pour être tout à fait complet, il faut toutefois élargir le champ aux migrations illégales, par nature beaucoup plus difficiles à dénombrer. Ainsi, seules circulent des estimations dont la plus récente, communiquée par Gérard Collomb en novembre 2017, fait état de 300.000 sans-papiers. Un chiffre à prendre avec des pincettes toutefois, car principalement établi à partir d'extrapolations de données policières (interpellations, etc.). Et qui serait à peu près stable sur les vingt dernières années: sous Jospin, en 1995, l'administration évoquait déjà une fourchette de 200.000 à 400.000 "illégaux" sur le territoire.
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