Loi "anticasseurs" : les Gilets jaunes masqués pourront-ils être interpellés samedi ?

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Thierry Vallat, édité par la rédaction
Publié le 12 avril 2019 - 16:03
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Un Gilet jaune lève le poing en manifestant sur les Champs-Elysées à Paris le 23 février 2019
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© Zakaria ABDELKAFI / AFP
La loi anticasseur interdisant de dissimuler son visage sera applicable lors de l'acte 22 des Gilets jaunes.
© Zakaria ABDELKAFI / AFP

L'acte 22 des Gilets jaunes sera le premier sous le nouveau régime de la loi "anticasseurs" en vigueur depuis mercredi 10. Celle-ci prévoit notamment de sanctionner les personnes dont le visage est dissimulé. Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, revient pour France-Soir sur les conditions de cette mesure, validée par le Conseil constitutionnel.

Pour la première fois samedi 13, les manifestations de Gilets jaunes seront encadrées par la loi "anticasseurs", celle-ci ayant été promulguée au journal officiel mercredi 10. Parmi les polémiques soulevées par ce texte s'est posée la question de l'interdiction de dissimuler son visage.

L'article 6 insère en effet dans le code pénal un article 431-9-1 rédigé ainsi: "Est puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l'issue de laquelle des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, de dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime".

L'idée est apparue pour certains opposants comme une "excuse" pour interpeller des manifestatns pacifiques. Cette disposition avait donc été contestée devant le Conseil constitutionnel par des parlementaires qui avaient dénoncé l'imprécision des éléments constitutifs de cette infraction, dont il aurait résulté une incompétence négative du législateur et une méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines.

Il s'agissait de savoir dans les faits quels comportements seraient sanctionnés. Les opposants à cette loi dénonçaient en filigrane une imprécision qui pouvait conduire:

> A ce qu'une personne masquée ne causant pas de troubles soit interpellée;

> Un risque d'interprétation variable du "trouble à l'ordre public" et de sa durée;

> L'imprécision sur le sens d'une dissimulation "volontaire" et "sans motif légitime"

Des éléments qui auraient pu entraîner une méconnaissance du principe de proportionnalité des peines.

Voir: La loi anticasseurs promulguée

Mais le Conseil constitutionnel a considétré que le législateur, en retenant comme élément constitutif de l'infraction le fait de dissimuler volontairement une partie de son visage, a visé la circonstance dans laquelle une personne entend empêcher son identification, par l'occultation de certaines parties de son visage. Il ne s'est ainsi pas fondé sur une notion imprécise.

Une personne qui dissimulerait involontairement son visage ou pour une bonne raison ne devrait pas être mise en cause. Est-ce à dire que ce sera à la personne interpellée d'apporter un "motif légitime" à la dissimulation de son visage puisque il s'agit d'une dissimulation volontaire du visage?

S'agissant d'un délit pénal, et donc d'application stricte, il semble au contraire que ce soit au ministère public d'apporter la preuve d'un mobile, car on peut se dissimuler le visage à cause d'une cicatrice ou de boutons d'herpès, ou porter un masque contre la pollution , voire contre l'usage intempestif et irritant de gaz lacrymogènes... Le port d'une cagoule, lui, serait vraisemblablement interprété comme une dissimulation volontaire du visage sans motif légitime. Mais l'appréciation du contexte et des éléments par le juge devrait être déterminante.

En deuxième lieu, en visant les manifestations "au cours ou à l'issue" desquelles des troubles à l'ordre public sont commis ou risquent d'être commis, le législateur a, d'une part, précisément défini la période pendant laquelle l'existence de troubles ou d'un risque de troubles doit être appréciée, qui commence dès le rassemblement des participants à la manifestation et se termine lorsqu'ils se sont tous dispersés. D'autre part, en faisant référence au risque de commission de troubles à l'ordre public, le législateur a entendu viser les situations dans lesquelles les risques de tels troubles sont manifestes.

En dernier lieu, en écartant du champ de la répression la dissimulation du visage qui obéit à un motif légitime, le législateur a retenu une notion qui ne présente pas de caractère équivoque, selon le Conseil constitutionnel.

Il en résulte que l'incrimination contestée ne méconnaît pas le principe de légalité des délits et des peines.

Rappelons que depuis le décret "anti-cagoule" n° 2009-724 du 19 juin 2009, il était déjà interdit aux participants à des manifestations publiques de dissimuler volontairement leur visage pour ne pas être identifiés. Ce texte (Article R 645-14 du code pénal) ne sanctionne cependant "que" d'une amende de 1.500 euros au plus (contravention de 5e classe) "le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d'une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l'ordre public". Le décret prévoit qu'en cas de récidive dans un délai d'un an, l'amende peut être portée à 3.000 euros.

On devrait donc tester très prochainement l'efficacité pratique de ce nouveau délit qui semble fort questionnable.

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