Marion Maréchal-Le Pen : un retour soigneusement préparé, pour tuer LR et le FN ?

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Pierre Plottu
Publié le 24 mai 2018 - 18:25
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Marion Maréchal Le Pen à la CPAC (Etats-Unis)
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Marion Maréchal-Le Pen à la CPAC, la grand-messe des conservateurs américains, en février.
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Officiellement "en retrait" de la vie politique depuis mai 2017, Marion Maréchal-Le Pen a pourtant été très active ces derniers mois. Entre le lancement d'un média tenu par ses troupes, des prises de parole remarquées et la création de sa propre école de sciences politiques, l'ex-députée de 28 ans prépare clairement son retour, tout en veillant à structurer soigneusement le "marionisme".

Elle n'est jamais vraiment partie, mais son retour fait quand même beaucoup de bruit. Marion Maréchal-Le Pen, qui avait annoncé se mettre "en retrait" de la vie politique après la présidentielle de 2017, refait surface: elle sera à la conférence organisée par le magazine d'extrême droite L'Incorrect pour "Débrancher mai 68" le 31 mai prochain et a annoncé le lancement de son école de sciences politiques (de droite) pour la rentrée prochaine. Une résurrection qui n'en est pas vraiment une pour celle qui disait partir dans le privé pour diversifier son parcours et consacrer plus de temps à sa fille, mais qui a en réalité continué à labourer le terrain.

Dès septembre dernier était ainsi lancé L'incorrect, un mensuel pour "réinventer le logiciel de la droite" et surtout tenu par les troupes "marionistes". Dans la foulée, en février, l'ex-députée FN prenait la parole au congrès des conservateurs américains pour dénoncer une Europe "tueuse de nations millénaires" et déplorer que la France "fille aînée de l'Eglise catholique (soit) en train de devenir la petite nièce de l'Islam". Elle avait aussi prévenu: "il y (a), en France, une jeunesse conservatrice prête au combat".

La veille, Marion Maréchal-Le Pen signait une tribune dans Valeurs actuelles pour clamer que "la droite a besoin d'union" et vanter l'école de sciences politiques qu'elle va lancer pour la rentrée de septembre. Objectif de cette "académie" installée à Lyon-ville où les identitaires, dont elle est proche, sont le mieux implantés: renverser la "domination culturelle" de la gauche et créer un "terreau dans lequel tous les courants de la droite pourront se retrouver".  Mais attention, cette école sera "libre" et "rattachée à aucun parti", a-t-elle assuré.

Voir: Marion Maréchal-Le Pen a présenté son projet d'académie devant un collectif proche du FN

Un point qui pourrait faire sourire mais qui est pourtant exact car le "marionisme", bien qu'ancré à l'extrême droite, est à ce stade un courant encore peu structuré. Il ne peut en outre être limité au seul cadre du FN ou d'un autre parti, un peu comme l'a été le macronisme d'avant En Marche.

Ce courant bien réel qu'incarne Marion Maréchal-Le Pen est national-libéral, islamophobe et identitaire tendance catholicisme intégriste. Autant dire peu susceptible de rassembler en l'état des droites dont une part significative des troupes, bien qu'en accord sur certains points de fond, restent peu enclines à basculer ouvertement dans un tel radicalisme. "Et si la droite française a le culte de l'homme providentiel -qui peut éventuellement être une femme- elle est surtout très attachée aux structures, aux partis", rappelle le politologue Jean-Yves Camus. Le spécialiste de l'extrême droite ne croit donc pas au lancement d'un "En Marche de droite" auquel appelle par exemple le jeune LR Erik Tegnér, interrogé récemment par France-Soir. "Mais c'est bien ce qui manque à Marion Maréchal-Le Pen, et plus largement à ce qu'on appelle la «droite hors les murs»: ils n'arrivent pas à se structurer".

Lire- "Il faut de la radicalité en politique": un cadre LR appelle à l'union des droites

Jeter les bases qui pourraient un jour servir de réceptacle pour rassembler les électorats des droites, de LR au FN et même au-delà, voilà ce que tente la petite-fille Le Pen. La première étape a donc été de créer un porte-voix pour diffuser, faire infuser, ses fondamentaux et l'idée d'une union. C'est le rôle de L'Incorrect que finance Charles Beigbeder, membre du think tank "L’avant-garde" de l’ex-UDF Charles Millon élu aux régionales de 1998 avec les voix du FN.

Dans ce mensuel de bonne facture et qui rencontre un succès modeste mais bien réel (son premier numéro a été en rupture avec 10.000 exemplaires écoulés), se côtoient des signatures ratissant large avec notamment l'épouse de Millon, Chantal Delsol (Le Figaro et Valeurs actuelles), et le très médiatique anti-mariage gay Thibaud Collin; mais aussi l'identitaire Damien Rieu (désormais responsable de la communication de la ville FN de Beaucaire), l’ancien de Minute Bruno Larebière, ou l'ex-chevènementiste Pierre-André Taguieff.

Ce sont les amis de Marion Maréchal-Le Pen, Arnaud Stephan et Jacques de Guillebon, qui sont à la manœuvre. Le premier, quadragénaire qui a pris sa première carte au FN il y a plus de 30 ans, est passé par le GRECE, think tank attaché à unir les droites par l'"ethno-différentialisme" (soit un racisme culturel plutôt que biologique). Pur "mariono-marioniste", Stephan dirigeait la communication de la députée et est son plus proche lieutenant, voire son maître à penser selon ses détracteurs. Le second, Guillebon, est un catholique traditionnaliste et ami de Marion Maréchal-Le Pen qui a déclaré, début novembre, qu'il faut "déclencher une guerre nucléaire culturelle" contre cette "immigration qui nous grandremplace (sic)" (source). Ce terme fait référence à la théorie quasi-conspirationniste voulant que la population française sera à terme remplacée démographiquement par celles d'origines maghrébine ou africaine. Celui qui a aussi écrit en 2012 que "l’homosexualité est un désordre mental" est directeur de la rédaction de L'Incorrect, et affirmait l'an passé à Marianne que "personne dans le journal n’est allergique à Marion".

"Marion Maréchal-Le Pen a besoin de troupes"

La seconde étape pour préparer le retour de Marion Maréchal-Le Pen a été de lui tailler une image à la mesure d'une ancienne cadre de parti ambitionnant désormais d'être la tête d'affiche. L'apparence de modernité séduit mais ne suffit pas: Marion doit devenir Maréchal, se "présidentialiser" en quelque sorte. C'est le sens de sa prise de parole au grand raout des conservateurs américains (la Conservative Political Action Conference, CPAC). La tante avait été raillée pour sa visite "privée" à la Trump Tower snobée par le propriétaire des lieux, élu mais pas encore investi, en janvier 2017. La nièce s'est offert le luxe de prendre la parole à la même tribune que Donald Trump, certes la veille mais une heure seulement après le vice-président Mike Pence. Elle en a aussi profité pour glisser qu'elle y avait déjà été invitée par le passé, mais avait décliné pour ne pas faire de l'ombre à sa tante...

La troisième étape est désormais la professionnalisation pour ses troupes, qui brillent par leur inexpérience. Si le marionisme est bien pourvu en penseurs avec Patrick Louis, secrétaire général du MPF de Philippe de Villiers, Chantal Delsol ou Sylvain Rousillon (ex-cadre dirigeant des monarchistes de l'Action française et secrétaire général du groupe FN au conseil régional Auvergne-Rhône-Alpes), d'un point de vue politique c'est le néant. "Il y a une moelle intellectuelle, mais les politiques sont novices ou n'ont que peu connu la victoire électorale", résume Jean-Yves Camus. Puis de poser l'équation: "Marion Maréchal-Le Pen a besoin de troupes mais n'est pas rejointe par des bataillons de cadres LR".

C'est la logique du lancement par l'ex-députée d'une école pour former ses cadres de demain, l'"Institut de sciences sociales, économiques et politiques" (ISSEP) à Lyon. Elle s'est inspirée pour cela de l'Institut de formation politique (IFP) de Paris, "école des droites au sens large" selon son directeur Alexandre Pesey cité par Le Monde qui décrit un "laboratoire de l'union des droites".

Le casting de l'ISSEP relève ainsi de l'inventaire des droites radicales. Derrière Marion Maréchal-Le Pen, le "conseil scientifique" de cette académie au cursus et au diplôme non reconnus par l'Etat -mais dont l'année coûte 5.500 euros- sera dirigé par Patrick Louis et Jacques de Guillebon, encore lui. Mais c'est surtout la liste des membres de ce conseil qui retient l'attention avec notamment Pascal Gauchon (passé par Ordre nouveau et fondateur du Parti des forces nouvelles, néofasciste), Yves-Marie Adeline (fondateur du parti Alliance royale, royaliste), le Britannique Raheem Kassam (Ukip, pro-Brexit) ou encore l'Américain Paul Gottfried (membre éminent, et radical, de l'"alt-right" américaine).

Enfin, pour mieux prendre ses distances avec sa famille et créer sa propre "marque", Marion Maréchal-Le Pen a décidé de tronquer son patronyme. Ne l'appelez plus "Le Pen": elle s'affiche désormais sur les réseaux sociaux comme "Marion Maréchal" uniquement. Comme si le nom de son grand-père, utile pour se faire connaître à ses débuts, était désormais un handicap pour percer le plafond de verre et attirer à elle un électorat moins radical au moins sur la forme.

Ne l'appelez plus "Le Pen": Marion Maréchal ampute son nom

Le marionisme est donc désormais fort d'un média, d'un centre de formation pour ses cadres et sa cheffe bénéficie d'une stature indéniable. Ne lui reste plus "que" à se constituer concrètement pour créer un réceptacle propre à rassembler les déçus du FN et de LR. Une gageure car, à y regarder de plus près, les moyens mis en œuvre sont pour l'heure encore très modestes. Jean-Yves Camus souligne ainsi que L'Incorrect, aussi bien fait soit-il, reste élitiste; que l'ISSEP accueillera pour le moment des promotions de 20 étudiants seulement et, enfin, que les fonds mis à disposition de la petite-fille Le Pen restent limités. Surtout, il lui faudra élargir sa base, trouver les arguments pour faire venir des électeurs venus réellement de toutes les droites. "En 1998, les alliances entre élus RPR et UDF d'un côté et FN de l'autre s'étaient construites avant tout et surtout sur un programme, un accord signé sur des propositions communes", rappelle Jean-Yves Camus.

"Si le modèle est celui de la CPAC et des conservateurs américains, il ne faut pas oublier qu'il est difficilement transposable en France en l'absence notamment de primaires où les électeurs font leur préchoix sur l'ensemble des postes, à tous les niveaux", rappelle le politologue. "La CPAC telle qu'on la connaît aujourd'hui est le fruit de 40 ans d'investissements en temps et en argent... Charles Beigbeder n'est pas Koch ou Mercer (richissimes bailleurs de fonds de la droite américaine), il n'a pas la surface pour financer un mouvement qui mettra 10 ou 15 ans à émerger réellement".

Objectif 2022 ou 2027?

Et si Marion Maréchal-Le Pen, âgée de 28 ans seulement (il faut le rappeler!), n'était en réalité pas de retour mais plutôt en phase de préparation? Sa tante est de nouveau à l'offensive, remise en selle par l'échec de Laurent Wauquiez à sortir son parti du marasme et peut lorgner le réservoir d'électeurs de LR. Les indicateurs sont également au vert: les sondages annoncent le FN deuxième aux européennes de 2019 et le parti pourrait conquérir bien plus de villes que les 14 actuelles aux municipales de 2020.

Mais l'élection reine en France reste la présidentielle. Si, comme tout porte à le croire, Marine Le Pen sera bien la candidate frontiste pour cette échéance, que se passera-t-il si elle encaisse un troisième revers? Elle n'aurait que 49 ans, mais son image serait de nouveau écornée, et elle a déjà dit qu'elle ne ferait pas de la politique toute sa vie... "Plutôt que de détrôner sa tante, Marion Maréchal-Le Pen ne prépare-t-elle pas plutôt un passage de relais après 2022 qui arrangerait tout le monde?", s'interroge Jean-Yves Camus.

Après quelques tensions, notamment pendant la dernière campagne présidentielle, les relations entre les deux femmes sont désormais cordiales. Marine Le Pen s'est par exemple dit sur BFMTV "épatée" par l'intervention de Marion Maréchal au CPAC, soulignant qu'elle a été "très jeune députée du Front national (elle avait 22 ans en 2012, NDLR), un député de très bon niveau". Une politesse que lui renvoie pour l'heure Marion, qui s'est par exemple bien gardée de critiquer sa tante après le fiasco de 2017.

Jean-Marie Le Pen a fondé le parti, sa fille Marine l'a érigé en première force d'opposition, sa petite-fille Marion sera-t-elle celle qui le portera au pourvoir? A voir, tempère en substance Jean-Yves Camus: "pour cela il va lui falloir recruter, élargir son assise et commencer à lever des fonds". A quatre ans d'un potentiel passage de témoin, et neuf ans de la date fatidique que serait alors 2027, il n'est pas trop tôt pour commencer.

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