"Nuit debout" à République, dans l'attente d'un mouvement "qui est en train de naître"
Ils ne dorment pas, c'est la "Nuit debout". Ils n'ont pas tous les mêmes espoirs, pas les mêmes revendications, mais une même volonté. Ils appellent ça la "convergence des luttes". Depuis trois nuits (la première jeudi 31 mars), plusieurs centaines de manifestants occupent la place de la République, en plein cœur de Paris.
Bâches tendues entre les arbres, une scène où l'on improvise un rap au micro, sandwiches préparés par des bénévoles et des slogans qui ont comme un air de déjà vu. "Je lutte des classes", "Rêve générale", "Désobéis aux lois injustes".
Ici, les combattants sont plutôt jeunes, mais pas tous. Certains sont contre la loi Travail, d'autres dénoncent "les dérives sécuritaires", "les violences policières". D'autres encore insistent sur le combat pour le Droit au logement. Troisième "Nuit debout" depuis jeudi soir, dans la foulée de la manifestation contre la loi travail.
Au petit matin, les quelques dizaines qui sont encore là sont délogées par les forces de l'ordre. "Encore une fois... les flics pour +nettoyer+", twitte dimanche matin le compte @nuitdebout, ajoutant: "ça ne va pas arrêter notre mouvement".
"Il ne faut pas défendre la place de la République, mais défendre notre place dans la République", s'écrie samedi soir Michel au mégaphone. "Il faut arrêter de vouloir structurer un mouvement, sinon il arrête d'être un mouvement". Applaudissements dans la foule rassemblée sous la pluie.
Pas de structure. Des tentes disséminées sur la place, pas d'organisateurs, mais des commissions créées à la hâte: action, communication, intendance etc. "On décentralise, et on décide de tout en AG", explique Cassien, 24 ans.
"Quelque chose est en train de naître", analyse Oumar, 18 ans, un bandana multicolore sur la tête. "Maintenant je vois pas encore à quoi ça ressemble", ajoute-t-il.
Les indignés de la Puerta del Sol à Madrid, un mouvement spontané apparu en mai 2011 en Espagne pour dénoncer l'austérité et la corruption... La comparaison est tentante. "C'est le même mode d'action", reconnaît Anna, 23 ans, photographe. Mais pour elle, tout cela est "beaucoup plus prosaïque et désespéré"."Il faut redonner confiance en leur propre pouvoir aux gens. On leur a fait croire qu'ils étaient impuissants", poursuit-elle.
Mirage d'une société meilleure, détracteurs d'un système abîmé par la politique politicienne et un renvoi quasi systématique au pouvoir du "peuple", le discours rappelle les mouvements populaires du début des années 2010.
Killian, 20 ans, étudiant en audiovisuel, a déjà passé deux nuits à République et veut croire en "un +Occupy+ comme dans les autres pays". Béret noir, veste kaki, s'il attend surtout "le retrait de la loi El Khomri", il se prend à rêver d'une "révolution".
Emilie, 32 ans, est venue de l'Ardèche spécialement. "J'ai pris un duvet, deux culottes, deux paires de chaussettes et voilà je suis là!". "Non, elle ne vient pas pour la loi El Khomri", répond-elle en roulant une cigarette. "On vient dénoncer une fausse démocratie, en créer une vraie, participative, directe. Il faut sortir du capitalisme, y'a plus que le pognon qui compte (...)", s'énerve la jeune femme au piercing sous la lèvre, qui dénonce un "ras-le-bol général".
Trois jours que Sonia, 19 ans, est là. "J'attends de voir où le mouvement va, où il se dirige. Il est trop tôt pour dire si on est train de réinventer quelque chose". Elle hésite avant de préciser que oui, elle est "jeune communiste" (JC), comme Marco, 20 ans, à ses côtés et insiste sur l'importance d'aller "au-delà de ces clivages"."On est pas là en tant que JC, on est là en tant que +mobilisés+, +engagés dans la lutte+". Mais pour Marco, "le combat doit se construire et se structurer".
Etudiants, travailleurs, précaires, ils rêvent de réinventer un monde. A commencer par son calendrier, en ce "33 mars", comme ils le proclament déjà.
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