Ordonnances : le plafonnement des indemnités de licenciements déjà contesté par la Cour de cassation

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Thierry Vallat, édité par la rédaction
Publié le 25 septembre 2017 - 16:30
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Des magistrats de la Cour de cassation
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©Martin Bureau/AFP
La Cour de cassation a rappelé en plein débat sur les ordonnances que l'évaluation des indemnités de licenciement relève du pouvoir souverain du juge.
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Le plafonnement des indemnités prud'homales pour licenciement abusif, contenu dans les ordonnances réformant le code du travail, a été très décrié par les syndicats, mais aussi par les juges qui y voient une atteinte à leur pouvoir souverain d'appréciation. Un pouvoir qu'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt passé inaperçu. De quoi pourtant laisser augurer un bras de fer entre les juges et le gouvernement, analyse Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, pour "FranceSoir".

Le président de la République a signé vendredi 22, en grande pompe et en direct télévisé, les ordonnances réformant le droit du travail. L’une des mesures les plus emblématiques et controversées est certainement l’instauration d’un barème des licenciements abusifs s‘imposant au juge.

Mais tout est-il déjà joué sur le plan procédural? Et si, en un facétieux clin d’œil dont elle a le secret, la Cour de cassation avait sonné la résistance en rendant un arrêt du 13 septembre 2017 passé inaperçu, mais certainement prémonitoire des joutes judiciaires à venir?

> Ce que change l’ordonnance Macron sur la procédure de licenciement

Avec la signature des cinq ordonnances réformant le code du travail, c’est tout le droit du travail qui va se trouver bouleversé et notamment les règles relatives aux licenciements. C’est l'ordonnance n°3 concernant "la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail" qui va donc nous intéresser sur ce sujet. Elle a notamment pour ambition de sécuriser les ruptures du contrat de travail et de limiter les contentieux.

Les règles relatives aux licenciements sont donc largement assouplies afin de décomplexer les employeurs les plus timides, et les indemnités régulées via un barème. Ce qui ne manque pas d’indisposer les magistrats qui voient ainsi leurs prérogatives d'appréciation souveraine des dommages singulièrement rognées.

Sur la forme tout d'abord, les règles vont radicalement évoluer puisqu'en cas de vice de forme lors d'un licenciement, la sanction ne pourra plus excéder un mois de dommages et intérêts, alors qu'aujourd'hui la sanction pouvait aller jusqu'à la nullité du licenciement, par exemple, en cas d'insuffisance de motivation de la lettre de licenciement.

Jusqu'à présent, la lettre de licenciement devait fixer les limites du litige et exposer clairement la motivation de l'employeur. Ce dernier ne pouvait pas soulever devant les prud'hommes des griefs non mentionnés dans la lettre de licenciement.

À l'avenir, un décret en Conseil d’Etat fixera les modèles que l’employeur pourra utiliser pour procéder à la notification du licenciement. Ces modèles rappelleront en outre les droits et obligations de chaque partie.

Mais autre grande nouveauté, les motifs mentionnés dans la lettre pourront être modifiés par l'employeur, voire même à la demande du salarié. Ce n'est qu'après ces éventuelles modifications que la lettre fixera les limites du litige.

Sur le fond, il existait un référentiel indicatif permettant au juge de fixer les indemnités prud'homales (articles L.1235-1 et R.1235-22 du code du travail) suite à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. La loi prévoyait un minimum obligatoire de six mois de salaire pour les salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté dans les entreprises de 11 salariés et plus (article L.1235-3 du code du travail).

L’article 2 de l’ordonnance supprime ce référentiel et établit un barème obligatoire en fonction de l'ancienneté du salarié, avec des planchers et des plafonds.

Dans les entreprises de plus de 11 salariés, les montants des indemnités vont varier d'un mois à 20 mois de salaire brut. Dans les entreprises de moins de 11 salariés, un montant minimal d'indemnisation est créé, entre 0,5 et 2,5 mois de salaire brut.

Ce nouveau barème d'indemnités ne sera en revanche pas applicable en cas de nullité du licenciement pour un motif de harcèlement, de discrimination ou de violation d'une liberté fondamentale. Dans de tels cas, l'indemnité minimale ne pourra pas être inférieure à six mois de salaire.

Attention aux délais: le salarié n'aura plus qu'un an maximum après un licenciement pour saisir les prud'hommes, quel que soit le type de licenciement. Actuellement, le délai est d'un an pour les licenciements économiques et de deux ans pour les autres licenciements.

Ces dispositions s'appliquent aux instances en cours à compter de la date de promulgation des ordonnances.

Les ordonnances signées doivent en effet ensuite être publiées au Journal officiel pour pouvoir être applicables (il faudra toutefois des décrets d'application pour certaines dispositions). Elles l'ont été samedi 23. Le Parlement devra enfin les ratifier pour que le texte devienne une loi pleine et entière, ce qui devrait être fait fin novembre.

Cela ne veut cependant pas dire pour autant que le barème des licenciements sera incontournable et plafonnera toutes les demandes.

> Ce qu’a dit le Conseil constitutionnel

Un premier contrôle pourra être opéré par le Conseil constitutionnel. Pas tout de suite toutefois puisque, saisi par des parlementaires, une décision du 7 septembre 2017 a déclaré constitutionnelle la loi d’habilitation et les projets d’ordonnances ont ainsi été validés.

Mais l'institution a pris le soin de rappeler d’une part que le juge administratif serait susceptible d'opérer un contrôle sur les ordonnances avant leur ratification si elles lui étaient déférées. D’autre part le Conseil constitutionnel pourra être saisi des dispositions législatives les ratifiant ou, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité, des dispositions ratifiées des ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution.

On pourrait donc imaginer dans quelques mois des recours contre les dispositions établissant le plafonnement des indemnités. Cela ne devrait pas cependant rassurer les salariés licenciés abusivement qui pourront, en revanche, retrouver un espoir du côté de la Cour de cassation.  

> Et la Cour de cassation dans tout ça?

Certains y verront un clin d'œil facétieux de la Cour de cassation pour se rappeler au bon souvenir du pouvoir règlementaire, seulement quelques jours avant la signature des ordonnances. Un arrêt de la 3e chambre du 13 septembre 2017 annonce de futurs -et intéressants- bras de fer devant les tribunaux pour déterminer les indemnisations des salariés licenciés.

En effet, dans son arrêt du 13 septembre, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire précise:

- Que l’existence d’un préjudice résultant du non-respect de la procédure de licenciement et l’évaluation qui en est faite relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond;

- Qu’Il résulte de l’article L. 1235-5 du code du travail que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.

La Cour de cassation rappelle donc opportunément que le juge doit rester souverain pour estimer le dommage subi par le salarié en raison d’un licenciement qui s’avérerait injustifié, peu importe le barème applicable qui ne saurait encadrer à lui seul l’indemnisation du licenciement abusif.

En d’autres termes, un conseil de prud’hommes ou une cour d’appel saisis de demandes de réparation de préjudices distincts seront tout à fait autorisés d’aller au-delà de la simple application servile de l’indemnisation résultant du barème et pondérer leur appréciation, au cas par cas, avec des montants complémentaires.

Par exemple, un salarié plus âgé qui aura vraisemblablement plus de difficultés pour retrouver un emploi après un licenciement pourra solliciter, comme c’est d’ailleurs le cas aujourd’hui, des dommages et intérêts réparant sa perte d’emploi injustifiée.

Et rappelons le, le barème référentiel ne s’appliquera pas en cas de harcèlement ou discrimination, ainsi que dans l’hypothèse de violation d’une liberté fondamentale, que l’on devrait donc retrouver systématiquement désormais plaidé pour éviter le plafonnement.

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