Plus de contractuels dans la fonction publique ? Les limites de la stratégie du gouvernement

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 06 novembre 2018 - 13:02
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Manifestation des agents de la fonction publique, le 10 octobre 2017 à Bordeaux
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© Mehdi FEDOUACH / AFP
Le recours aux contractuels ne répond pas aux questions liées à la mobilité, cœur du blocage de la fonction publique.
© Mehdi FEDOUACH / AFP
L'exécutif envisage, dans le cadre de sa réforme de l'Etat, de développer le recours aux contractuels, déjà nombreux. Si cette option peut être une solution bienvenue pour fluidifier le marché de l'emploi public, le vrai problème du statut n'est pas la garantie d'emploi à vie mais la très faible mobilité des agents publics. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

Le gouvernement a annoncé un "élargissement" du recours aux contractuels dans les services publics. S’il s’agissait de contrats à durée indéterminée, la France évoluerait d’une "fonction publique statutaire" vers une "fonction publique contractuelle", comme bien d’autres pays, mais les différences entre ces deux modèles sont en pratique assez limitées.

Il s’agit toutefois en fait de contrats à durée déterminée qui ont le grand avantage de suppléer la faible mobilité des fonctionnaires mais qui ne pourront pas être beaucoup plus nombreux qu’aujourd’hui. Il faudrait surtout renforcer les obligations de mobilité des fonctionnaires car cette mobilité est aujourd’hui insuffisante pour adapter les services publics à l’évolution des besoins et des technologies.

Les différences entre un statut et des contrats à durée indéterminée sont limitées

Dans plusieurs pays européens, comme la Suède ou la Suisse, le statut est réservé à des catégories très particulières de fonctionnaires (les magistrats par exemple). La grande majorité des agents publics est recrutée sur des contrats de droit commun, donc en principe à durée indéterminée, comme dans le secteur privé. Dans la plupart des pays, les fonctionnaires statutaires et contractuels sont mélangés dans des proportions variables.

Les fonctionnaires sous statut sont recrutés par concours pour toute la durée de leur vie active, et bénéficient donc d’un emploi à vie (sauf en principe en cas de faute ou d’insuffisance professionnelles), ce qui est souvent considéré comme la principale différence avec des contractuels. Ces derniers bénéficient toutefois également d’une protection de fait contre les licenciements économiques car les employeurs publics doivent proposer un reclassement aux agents dont le poste est supprimé. Or l’Etat, les grandes collectivités locales et les principaux établissements publics sont tellement grands qu’un reclassement est toujours possible. Dans les petites communes où le reclassement est impossible, cette obligation est souvent transférée à des centres intercommunaux de gestion des personnels.

Les rémunérations, les avantages sociaux, les conditions de travail, le déroulement de carrière peuvent être les mêmes dans le cadre du statut et d’un contrat de droit privé relevant d’une convention collective suffisamment généreuse. S’agissant de la retraite, le statut peut prévoir un régime spécial plus favorable, mais les conventions collectives peuvent aussi prévoir que l’employeur complète les pensions de droit commun. En pratique, en France comme dans les autres pays, on ne peut pas mettre en évidence des différences significatives entre les contractuels à durée indéterminée et les fonctionnaires statutaires.

Il est souvent affirmé en France que le statut permet de garantir le respect des valeurs du service public (neutralité, adaptabilité, continuité…) par les agents publics, mais cette affirmation n’a jamais été démontrée. Les contractuels des administrations scandinaves ne sont pas moins impartiaux que les fonctionnaires français et la continuité des services publics français n’est pas toujours exemplaire.

> Les contrats dans les administrations publiques sont à durée déterminée et permettent de suppléer la faible mobilité des fonctionnaires

Actuellement, la loi n’autorise le recrutement de contractuels que sur des contrats à durée déterminée de trois ans au maximum, renouvelables une fois, et pour répondre soit à un besoin temporaire soit à un besoin permanent qui ne peut pas être satisfait par des fonctionnaires, notamment parce qu’il faut avoir des compétences très particulières qui ne se trouvent pas dans la fonction publique.

Par construction puisqu’il s’agit de contrats courts (même s’ils sont plus longs que dans le secteur privé), les contractuels sont plus mobiles que les fonctionnaires: 10,7 % des contractuels ont changé d’employeur (ministère pour l’Etat, collectivité locale ou établissement de santé) et 6,3 % ont changé de bassin d’emploi en 2016. Cette même année, 3,9 % des fonctionnaires statutaires ont changé d’employeur et 3,5 % de bassin d’emplois. Les mobilités des fonctionnaires entre les trois versants de la fonction publique (Etat, hôpitaux et collectivités territoriales) sont très limitées (moins de 0,5 % par an de la fonction publique d’Etat vers l’une des deux autres).

Surtout, la mobilité des fonctionnaires résulte pour 84 % du choix de l’agent et non de celui de son employeur. Les fonctionnaires occupent souvent un premier poste peu attractif puis se rapprochent du poste ou du lieu de travail souhaités au cours de leur carrière. Les moins expérimentés se trouvent sur les postes les plus difficiles et les plus anciens sur ceux qu’ils préfèrent. Les mutations des fonctionnaires dans l’intérêt du service sont donc limitées alors que cette mobilité est de plus en plus nécessaire.

En effet, les fonctionnaires statutaires sont recrutés pour plus de 40 ans, mais personne ne sait quels seront les besoins en enseignants ou en infirmiers, par exemple, dans telle ou telle région dans seulement dix ans. Les nouvelles technologies pourraient complètement transformer les conditions d’exercice de certaines activités.

En outre, les 120.000 suppressions de postes programmées à l’horizon de 2022 dans les administrations obligeront à ne pas remplacer des départs en retraite dans des unités en sous-effectifs alors que d’autres unités resteront en sureffectifs malgré le non remplacement des départs. Pour réduire les effectifs sans dégrader la qualité des services publics, il faudrait transférer des agents des deuxièmes unités vers les premières, ce qui est en pratique très difficile.

Pour contourner cet obstacle, le gouvernement envisage de majorer les indemnités de départ versées à ceux qui acceptent de quitter la fonction publique dans les services en sureffectif et de recruter des contractuels à durée déterminée dans les services en sous-effectif.

> Les contractuels ne seront pas beaucoup plus nombreux dans les administrations

Si les conditions de recrutement des contractuels sont en principe actuellement assez restrictives, elles sont loin d’être toujours respectées en pratique. Il arrive en effet souvent que des contractuels exercent des activités que des fonctionnaires pourraient assurer. Il n’est pas non plus rare que ces contrats à durée déterminée soient renouvelés plusieurs fois et finissent par être transformés en contrats à durée indéterminée. Cela explique la part déjà élevée des contractuels dans les effectifs des administrations publiques.

Ils représentaient en effet 18 % des effectifs des trois fonctions publiques au 31 décembre 2016 (22 % si on compte tous ceux qui ont eu un contrat au moins une fois dans l’année), soit 16 % pour la fonction publique de l’Etat, 18 % pour celle des hôpitaux et 19 % pour celle des collectivités locales.

Cette proportion augmenterait si la loi permettait de recruter des contractuels pour pourvoir des postes que des fonctionnaires statutaires pourraient occuper. Toutefois, comme il s’agit en principe de contrats à durée déterminée, la précarité serait accrue alors que le gouvernement entend la réduire dans le secteur privé, par exemple en majorant les cotisations d’assurance chômage prélevées sur les contrats courts.

Pour atténuer cette incohérence, Gérald Darmanin le ministre de l'Action et des Comptes publics a évoqué la création de contrats de mission allant jusqu’à 15 ans dans le secteur public, ce qui constituerait une innovation radicale mais soulève beaucoup de questions auxquelles il n’y a pas encore de réponses: quelles personnes et quels organismes pourraient les signer? Dans quelles conditions? Selon quels critères leur durée serait-elle fixée? Quelles seraient les motifs admissibles, la procédure à suivre et les indemnités dues en cas de rupture? En outre, on voit mal pourquoi de tels contrats existeraient dans le secteur public et pas dans le secteur privé, ce qui ouvrirait des débats difficiles.

Lire aussi - Fonctionnaires: première rencontre sur le recours accru aux contractuels

Pour une grande partie de ceux qui seraient recrutés ainsi, une reconversion dans le secteur privé après 15 années de travail dans une administration pourrait s’avérer difficile et il est fort probable que leur titularisation dans la fonction publique leur serait alors proposée. Une quinzaine de plans de titularisation ont déjà permis depuis 1946 la transformation des CDD en CDI ou l’intégration des agents contractuels dans un corps de fonctionnaires. Pour que la part des contractuels augmente fortement et durablement dans les administrations, il faudrait renoncer à tout nouveau plan de titularisation ce qui est peu réaliste au vu de l’expérience du passé.

Pour que le nombre de contractuels augmente fortement et durablement, il faudrait qu’il s’agisse de CDI, mais le gouvernement ne l’a pas annoncé puisqu’il est seulement question de contrats de 15 ans. S’il s’agissait de CDI, les avantages et inconvénients par rapport au statut seraient toutefois limités comme on l’a vu précedemment

> Il faudrait surtout accroître la mobilité des fonctionnaires

Le vrai problème que le gouvernement essaye en fait de résoudre est la faible mobilité des fonctionnaires. Plusieurs des mesures qu’il vient d’annoncer la renforceront comme une meilleure couverture des frais liés aux mutations, la compensation pendant six ans de la perte de rémunération en cas de changement de poste, la création d’un fonds de 50 millions d'euros et d’une structure de pilotage pour faciliter les évolutions de carrière (bilans de compétence, accompagnement des familles…) etc.

Elles risquent toutefois d’être insuffisantes car elles ne suppriment pas les principaux obstacles: l’hétérogénéité des régimes indemnitaires (la part des primes dans la rémunération des agents, à niveau hiérarchique équivalent, peut varier du simple au double d’un ministère ou d’un corps à l’autre), l’existence de deux régimes de retraite des fonctionnaires (l’un pour l’Etat et l’autre pour les hôpitaux et collectivités locales) dont les taux de cotisation sont très différents, l’absence d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences; la préférence des organisations syndicales pour une gestion centralisée des agents par ministère ou par corps…

Voir aussi - Fonction publique: objectif de 2.000 postes supprimés à Bercy en 2019

Surtout, si on met à part les cadres supérieurs, il est très difficile en pratique d’obliger un fonctionnaire à changer de poste s’il refuse. Or l’obligation de mobilité est une contrepartie de l’emploi à vie, mais elle a été assez largement perdue de vue en pratique. Si un fonctionnaire n’accepte aucun des trois postes qui doivent lui être proposés dans le cadre d’une réorganisation, un licenciement est en principe possible mais cette sanction est exceptionnelle.

Le refus répété des propositions de nouveau poste doit être plus souvent sanctionné par un licenciement. Si c’était le cas, les fonctionnaires titulaires et les contractuels seraient quasiment dans la même situation, l’emploi à vie sous condition de mobilité, et les débats sur le statut n’auraient plus vraiment d’objet.

Retrouvez les analyses de François Ecalle sur le site de l'association "Finances publiques et économie" (FIPECO)

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