Retraites : la CFDT craint une réforme technocratique qui ne résoudrait rien
INTERVIEW - Le gouvernement a lancé jeudi 31 mai une "large consultation citoyenne" pour préparer la réforme des retraites promise par Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle. L'objectif est de préparer le big-bang annoncé -ou craint- par les observateurs, en parallèle des concertations déjà ouvertes depuis fin avril avec les partenaires sociaux. Pourtant, explique pour France-Soir Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT en charge du dossier, l'heure n'est pas à l'urgence d'une réforme pour sauver un système somme toute plutôt bien portant économiquement, mais plutôt de repenser un outil dont la mission a été totalement chamboulée depuis sa création par le régime de Vichy, en 1941.
"La retraite par répartition, qui a été reconduite à la Libération, était à l'origine une assurance vieillesse au sens strict, c'est-à-dire pour lutter contre la pauvreté" créée par le grand âge empêchant de travailler, rappelle ainsi Frédéric Sève. Alors que les années à la retraite se comptaient sur les doigts d'une main, les Français y passent maintenant en moyenne 25 ans, rappelle le syndicaliste. "C'est désormais une période de temps libre", souligne-t-il: "tout un chacun attend sa retraite comme une libération, le moment où il, ou elle, pourra enfin «en profiter»".
La CFDT est entrée dans les négociations avec Jean-Paul Delevoye, missionné par le gouvernement pour préparer la réforme, avec des lignes rouges claires et non négociables -par ailleurs connues de longue date. Il s'agit notamment du maintien d'un strict système par répartition; du rejet ferme de toute mesure d'économies car "la situation est économiquement saine à ce stade", insiste Frédéric Sève; ou encore le refus de toute remise en cause des droits acquis ("mais je n'ai pas trop peur qu'on les augmente..." confie le cédétiste).
De la même manière les revendications de la plus grande centrale syndicale sont elles aussi claires, s'axant autour du principe d'universalité. Universalité du système, et donc la fin des régimes spéciaux, pour sécuriser les travailleurs en faisant disparaître le risque de faillite d'une caisse au périmètre trop limité; et universalité des mécanismes de solidarité pour les périodes de chômage, de maladie, de parentalité, etc. "Il y aura des gagnants et des perdants", concède Frédéric Sève. "Mais il faut en minimiser le nombre et éviter les injustices. C'est-à-dire que nous préférons que ce soient les salaires les plus élevés qui contribuent le plus".
Donner du sens
Mais, surtout, la CFDT veut à tout prix éviter une réforme purement technocratique, vide de sens, destinée à cocher la case d'un engagement présidentiel plus qu'à réellement repenser le régime des retraites. "Il n'y a pas d'urgence comme c'était par exemple le cas récemment pour les retraites complémentaires", insiste Frédéric Sève, soulignant que c'est la première fois depuis des décennies que la fenêtre de tir se prête à une réflexion de fond sur le rôle, l'utilité et les objectifs de la retraite.
"C'est une période de la vie qui correspond au temps libre, il y a une demande sociale en ce sens. Mais doit-elle l'être? Faut-il réfléchir à des moyens de créer du temps libre tout au long de la vie, par exemple avec le compte épargne temps que nous essayons de porter? La retraite n'est plus juste un outil de lutte contre la grande pauvreté, sinon le minimum vieillesse suffirait. C'est devenu autre chose, mais quoi?", interroge le secrétaine national.
Réfléchir le temps libre... pas tout à fait "start-up nation". Ni en accord avec la petite musique gouvernementale, qui voit par exemple les aides sociales comme des "trappes à inactivité" (lire ici). Pourtant, à en croire Frédéric Sève, le chiraquien Jean-Paul Delevoye est réceptif à ce message. "Mais il y a parfois loin de la coupe aux lèvres".
> La "consultation citoyenne", un outil pour court-circuiter les syndicats?
"Ça pourrait", concède Frédéric Sèvre quand France-Soir lui demande si le gouvernement ne risque pas d'utiliser cette concertation pour rabrouer les centrales en leur opposant la légitimité de ce mini (mais incomplet) référendum.
Puis de développer: "mais ce n'est pas l'objectif affiché. De toute façon la CFDT n'a aucune crainte à être confrontée à l'avis des citoyens tout simplement car nous aussi nous consultons: c'est comme ça que nous construisons nos revendications! Nous allons d'ailleurs nous aussi demander leur avis aux citoyens sur les retraites, comme nous l'avons déjà fait il y a deux ans avec l'enquête «Parlons travail»".
"Au fond, quelle utilité de demander aux Français s'ils veulent une retraite par points ou non? Cette enquête doit être utilisée pour définir des objectifs politiques et sociétaux, qui eux seront mis en œuvre via les négociations techniques".
Puis Frédéric Sève de conclure: "la légitimité de la CFDT vient de ses 624.000 adhérents, de sa présence dans des milliers d'entreprises et de ses 26% des voix aux élections professionnelles (l'organisation est arrivée en tête, devant la CGT lors du cycle 2013-2016, NDLR)".
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