Europe : le retour des frontières
La crise actuelle des réfugiés apporte un flot d’images auxquelles les Européens ne sont plus habitués. Voir des gens attendre aux frontières européennes nous rappelle que ces frontières existent bel et bien. Pourtant, pour les citoyens européens, ces frontières n’existent plus vraiment. Se déplacer en Europe sans jamais voir un douanier est chose courante, et on regarde étonné ces personnes attendre l’ouverture de frontières que nous ne voyons même plus.
Notre liberté de déplacement est en effet tout à fait originale et constitue un des plus anciens acquis du droit européen. A l’origine, la liberté de circulation était garantie aux travailleurs, aux services et aux capitaux. Cette liberté se trouve dans le traité fondateur de la Communauté économique européenne, le traité de Rome de 1957. Il faudra attendre l’émergence de la citoyenneté européenne en 1993 avec le traité de Maastricht pour que cette liberté soit déconnectée de l’exercice d’une activité professionnelle. Aujourd’hui, la liberté de circulation et de séjour appartient à tous les citoyens européens.
Que vient faire Schengen dans tout ça? L’espace Schengen, effectif depuis 1995, constitue un espace de liberté, de sécurité et de justice. Tous les États membres de l'Union européenne n'en font pas partie: le Royaume-Uni et l'Irlande par choix, Chypre en raison de la partition de l'île, la Roumanie, la Bulgarie et la Croatie car les États membres de l'espace Schengen bloquent pour l'instant leur entrée. C’est au sein de l’espace Schengen que le contrôle aux frontières intérieures est aboli.
Schengen n’est donc pas à l’origine de la libre circulation des personnes, même s’il la facilite. Ainsi, un Irlandais ou un Roumain, citoyens européens dont les pays ne sont pas membres de l’espace Schengen, peuvent venir s’installer et travailler dans un autre Etat membre de l’Union européenne (sous certaines conditions pour un séjour au-delà de trois mois). Mais ils auront à passer un poste frontière.
Ces frontières peuvent être rétablies si l’ordre public ou la sécurité publique l’exigent. La France a par exemple souhaité rétablir des contrôles avec l'Italie en 2011 lorsque Silvio Berlusconi, alors Premier ministre italien, menaça d'accorder un permis temporaire de séjour à 25.000 migrants tunisiens fuyant la révolution dans leur pays. La décision récente de la chancelière allemande Angela Merkel de rétablir temporairement le contrôle aux frontières avec l'Autriche en raison d’un afflux massif de réfugiés ne constitue donc en aucune façon la fin de l'espace Schengen, mais s’inscrit au contraire dans les possibilités prévues par les traités.
Là où le bât blesse, c’est lorsqu’on s’intéresse aux frontières extérieures. Les instruments européens sont là, ils existent et permettraient de gérer ensemble une crise comme celle que nous connaissons aujourd’hui. Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne mentionne en effet que "l’Union développe une politique visant (…) à mettre en place progressivement un système intégré de gestion des frontières extérieures". Or, si les Etats ont bien mis en place une politique d’asile et d’immigration commune, ils font bien peu en matière de gestion commune des frontières extérieures.
L’Italie et la Grèce ont été les premiers pays à tirer la sonnette d’alarme: l’afflux massif et sans précédent de réfugiés sur leurs côtes dépassait, de loin, les capacités d’accueil de ces pays. Situation d’autant plus paradoxale que les réfugiés ne souhaitaient pas rester en Italie ou en Grèce mais poursuivre leur route. Pourtant, le règlement Dublin-II dispose que le pays qui examine la demande d’asile du migrant entré illégalement est le premier pays d’arrivée dans l’espace européen.
Face aux difficultés exceptionnelles rencontrées par l’Italie et la Grèce, la Commission européenne, garante de l’intérêt général européen, a proposé des solutions par la voix de son président Jean-Claude Juncker. Il faut rappeler que la Commission n’a pas de pouvoir décisionnel, pouvoir qui reste dévolu aux Etats (les ministres au Conseil de l’Union européenne) et aux députés européens (au sein du Parlement européen).
Le 27 mai 2015, Jean-Claude Juncker a ainsi proposé la relocalisation de 40.000 réfugiés, selon une clef de répartition prenant en compte divers facteurs: nombre d’habitants, PIB, taux de chômage et nombre de réfugiés déjà accueillis. Dans la proposition de la Commission, les États membres recevaient 6.000 euros par personne relocalisée sur leur territoire.
Cet embryon de solution a pourtant été stoppé net par le refus des chefs d’Etat et de gouvernement, réunis lors d’un sommet européen le 25 juin, de tout quota obligatoire. Chacun a présenté par la suite à la Commission le nombre de réfugiés qu’il était prêt à accueillir, souvent en deçà de ce qu'exige la situation. La France apparaît ici dans une position bien ambiguë: elle a refusé la clef de répartition au profit d’une base volontaire, pour finalement proposer d’accueillir le nombre exact de réfugiés demandé par la Commission.
Il faudra attendre le sursaut médiatique suscité par la publication de la photo du petit Aylan, 3 ans, retrouvé mort noyé sur une plage turque, révélatrice du drame humain qui se joue en Méditerranée depuis 2014, pour que certains réagissent. L’Allemagne a été la première, suivie par l’Autriche et la France. Lors de la réunion du Conseil de l’Union européenne le 14 septembre dernier, sur 28 États, quatre refusent toujours une gestion collective de la crise migratoire et la répartition des réfugiés: la Hongrie, la Slovaquie, la République Tchèque et la Pologne.
Pour la relocalisation selon des critères contraignants de 120.000 réfugiés actuellement en Italie, Grèce et Hongrie, l'Europe n'a donc pour l'instant pas de solution. Les ministres de l'intérieur européens se réunissent à nouveau ce mardi 22 septembre autour de cette question. En parallèle, les chefs d'Etats et de gouvernement se rencontrent le 23 septembre.
Cette crise révèle en définitive une nouvelle fracture au sein de l’Union européenne. Après la fracture économique Nord/Sud, se dessine une fracture Est/Ouest qui touche cette fois aux valeurs qui sont pourtant à l’origine de la construction européenne. Si la sauvegarde des droits de l’homme est un moyen de resserrer les liens entre les peuples européens, leur déni par certains membres de la famille européenne apparaît aujourd’hui comme le plus sûr moyen de les éloigner.
> La Maison de l’Europe de Paris organise une conférence sur la politique migratoire de l’Union européenne, autour de députés européens, le jeudi 24 septembre à 18h30. Pour plus d’informations, cliquer ici.
(Avec la contribution de la Maison de l’Europe de Paris)
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