"Les flammes de la guerre 2" : l'Etat islamique entre dans une nouvelle phase de djihad et d'attentats
Un pied-de-nez doublé d'un message précis. C'est peut-être ainsi qu'il faut comprendre la dernière production vidéo de l'Etat islamique, Les flammes de la guerre (2) (analyse complémentaire à lire sur Historicoblog4), mise en ligne par le média al-Hayat de l'organisation (tourné vers le public international non-arabe) le 29 novembre 2017. Alors que le territoire de Daech en Syrie et en Irak se réduit comme peau de chagrin, bien que le groupe ait organisé depuis longtemps son retour à l'insurrection, et que la propagande de l'organisation djihadiste continue un déclin qui a débuté à l'été 2015, son appareil médiatique reste bien présent et capable de réserver des surprises.
Les flammes de la guerre (2) est la suite d'une vidéo du même nom parue en septembre 2014, de la même durée environ (près d'une heure) et qui reposait déjà sur la même structure. On y voyait notamment l'exécution de prisonniers du régime syrien capturés durant les offensives de l'été 2014 contre différentes bases militaires, notamment par des combattants étrangers dont le Français Maxime Hauchard. L'Etat islamique, qui privilégie désormais dans ses vidéos de propagande des formats courts, n'avait plus mis en ligne de montages de près d'une heure depuis la bataille de Mossoul (avril 2017).
Sur le même sujet: "Le djihad médiatique, c'est la moitié du djihad": comment l'EI fait évoluer sa propagande en vidéos militaires
Cette production, en anglais (voix off et sous-titres), est remarquable à plusieurs titres. D'abord par son spectre géographique: elle montre des opérations militaires à la fois en Syrie, en Irak, mais aussi dans le Sinaï, branche en pleine expansion depuis des mois. En outre, l'Etat islamique a sciemment conservé pour cet énorme montage les images de la reprise de Palmyre en décembre 2016, qui jusqu'ici n'étaient pas apparues dans une vidéo longue de l'organisation. L'EI est coutumier du fait: après avoir écrasé l'offensive des milices du régime sur Raqqa, au sud de Tabqa, fin juin 2016, le groupe n'avait utilisé les images de cette victoire que dans une vidéo de novembre 2016 (source Historicoblog4), au moment où les Forces démocratiques syriennes avaient annoncé le lancement de l'opération Colère de l'Euphrate pour reprendre Raqqa. En ce qui concerne les autres séquences, les images montrées, pour celles que l'on peut dater, sont plutôt récentes: la séquence concernant la wilayat Sinaï remonte pour partie à septembre 2017, et celle mettant en scène la nouvelle wilayat al-Badiyah (ancienne al-Jazirah), en Irak, date d'octobre 2017. La seule séquence de remploi de la vidéo est celle de la wilayat al-Khayr (Deir Ezzor, Syrie), qui reprend une vidéo d'août montrant des images de juillet.
A Palmyre, l'EI a engagé un nombre relativement important de combattants, comme le montre certains plans. Capture d'écran.
Les flammes de la guerre (2) confirme que l'organisation djihadiste avait engagé des moyens matériels conséquents dans la campagne menant à la reprise de Palmyre, en novembre-décembre 2016. Le groupe livre les images du tir de missile antichar Fagot ayant détruit un hélicoptère russe Mi-35 posé au sol (3 novembre 2016). En outre l'EI a engagé durant la campagne de nombreuses équipes antichars sur lanceurs Konkurs, Fagot et probablement Milan, qui ont détruit de nombreux blindés du régime syrien. De la même façon, les fantassins djihadistes, présents en nombre (des scènes montrent plus de 50 hommes, l'une plus de 75), ont été bien soutenus par des chars T-72AV, T-55 (reconditionnés par les ateliers de l'EI), des technicals (véhicules armés) et autres moyens d'appui. Chose rare, l'Etat islamique a engagé un char T-55 détourellé et sommairement reblindé comme véhicule kamikaze pour pulvériser la défense installée par le régime près des silos de Palmyre, à l'est de la ville. Bien armés, les combattants du groupe terroriste infligent de lourdes pertes à leurs adversaires: une trentaine de corps au moins sont filmés, sans compter les prisonniers. Le groupe ne montre qu'une petite partie de l'énorme butin matériel saisi sur le régime syrien et son allié russe, qui prouve aussi la présence de Liwa Fatemiyoun. Ceci en dépit de l'intervention massive de l'aviation et d'hélicoptères russes envoyés en renfort. Daech n'hésite pas non plus à montrer ses pertes, puisque l'on peut voir cinq morts et cinq blessés au minimum dans la vidéo.
Avec un missile antichar Fagot, l'EI a détruit un hélicoptère de combat russe Mi-35 posé au sol (3 novembre 2016). Capture d'écran.
Des autres séquences, la plus intéressante est sans doute celle de la branche Sinaï, qui commence par montrer une embuscade sur un convoi militaire composé de quatre véhicules blindés Fahd 240, avec tourelle BTM308, peut-être des Central Security Forces, du ministère de l'Intérieur égyptien. Le schéma d'attaque est classique: un véhicule kamikaze maquillé en un pick-up traditionnel explose au milieu des véhicules blindés, et la détonation est suivie de l'assaut d'inghimasiyyi qui, on peut le remarquer, sont tout de même bien moins équipés que sur le théâtre syro-irakien.
Pour fracasser les défenses du régime près des silos à l'est de Palmyre, l'EI lance un char T-55 détourellé reconverti en véhicule kamikaze. Capture d'écran.
Voir aussi: Bataille de Raqqa: les inghimasiyyi, les troupes de choc de l'Etat islamique
La suite de la séquence montre un assaut, à l'aube, sur une position de l'armée égyptienne, qui est emportée malgré l'intervention d'un F-16 qui tente de bombarder les positions de l'EI. Pour les wilayats al-Badiyah et al-Furat, on retrouve le schéma visible depuis des mois de raids mécanisés comprenant des technicals et des véhicules transports de troupes improvisés, embarquant une infanterie surarmée d'inghimasiyyi visant un adversaire à portée (miliciens chiites), par surprise.
Le moment où le véhicule kamikaze explose au milieu de la colonne de véhicules blindés égyptiens. L'attaque remonte au 13 septembre dernier. Capture d'écran
Les flammes de la guerre (2) renoue aussi avec les exécutions spectaculaires. Comme dans le premier volet, l'avant-dernière séquence voit cinq prisonniers du régime syrien être égorgés et décapités par leurs bourreaux, tandis qu'un autre, armé d'un sabre, tranche la tête de deux prisonniers supplémentaires. Un pilote du régime syrien qualifié par l'EI d'ismaëlien (branche du chiisme) est ensuite brûlé vif, mise à mort qui rappelle celle particulièrement sordide du pilote jordanien Muath Al-Kasasbeh, exécuté de cette façon en janvier 2015, ou celle des deux soldats turcs également brûlés vifs dans une vidéo mise en ligne en décembre 2016. Dans la dernière séquence de la vidéo, trois autres prisonniers, d'Irak et de Syrie, sont abattus par pistolet après avoir creusé leur propre tombe -là encore une mise en scène qui rappelle le premier volet des Flammes de la guerre en 2014.
Trois prisonniers creusent leur propre tombe avant d'être exécutés par leurs bourreaux. Dans cette vidéo, l'EI renoue avec le premier volet de Flammes de la guerre qui était déjà destiné au public occidental en 2014.
Autre élément remarquable de la vidéo, le montage. La qualité visuelle et les effets spéciaux mis en œuvre dans la production sont significatifs et sans commune mesure avec les réalisations précédentes de cette année. Si l'introduction moque les présidents américain Obama et surtout Trump, et souligne les pertes civiles infligées par les frappes aériennes de la coalition, l'Etat islamique y insère aussi des cartes revendiquant ses attaques aux Etats-Unis et en Europe. Dans le premier cas, la carte montre les attentats au Curtis Culwell Center au Texas (mai 2015), à San Bernardino (décembre 2015), Orlando (juin 2016) et Manhattan (31 octobre 2017), mais elle revendique aussi la tuerie de Las Vegas (1er octobre 2017).
La carte des Etats-Unis montre cinq lieux où se sont déroulés des attentats revendiqués par l'EI, dont Las Vegas. Capture d'écran.
La carte d'Europe place, étrangement, et de manière erronée géographiquement, la ville de Lyon en France, à côté d'autres lieux touchés par des attentats. Capture d'écran.
La carte de l'Europe montre plusieurs pays frappés par l'Etat islamique (Espagne, Belgique, Allemagne), mais seuls deux pays montrent les noms de villes touchées, l'Angleterre avec Londres et Manchester, et la France avec Paris et Nice mais aussi Lyon, ce qui est curieux -d'autant plus que la ville est mal placée sur la carte- car aucun attentat n'y a été commis. Dans son récit, la vidéo fait appel à de nombreux discours audio de son porte-parole, Abou al-Hassan al-Muhajir, à un discours audio de son prédécesseur Abou Muhammad al-Adnani (qui donne le sous-titre: Jusqu'à la dernière heure), et à de nombreux versets du Coran servant à justifier le propos. La vidéo se termine, en acmé, par un extrait de discours du calife lui-même, Abou Bakr al-Baghdadi.
Comment résumer l'intention de cette vidéo qui tranche avec la production récente de l'organisation? Peut-être en reprenant le slogan qui apparaît juste après le titre, au bout de cinq minutes: "Le djihad entre dans une nouvelle phase".
"Le djihad entre dans une nouvelle phase; purification pour les croyants, destruction pour les mécréants". La vidéo résumée en une phrase, au début.
Manifestement, l'Etat islamique, qui n'a pas perdu son outil de propagande même si celui-ci produit de moins en moins depuis deux ans, cherche à faire passer un message. Lequel? Le premier verset du Coran qui est cité appelle les djihadistes et leurs partisans à tenir bon malgré les épreuves. C'est aussi le message envoyé par la séquence montrant la reprise de Palmyre: des succès sont encore possibles, même dans une situation difficile, mais il faudra les payer au prix du sang. Le premier discours audio d'Abou al-Hassan al-Muhajir incrusté dans la vidéo invite les djihadistes à mener un combat à mort, n'importe où, contre les "mécréants". De la même façon, un combattant s'adressant à ses camarades avant le départ du raid dans la wilayat al-Badiyah cite un verset du Coran où il est question du choix des meilleurs combattants, d'une élite capable de défaire des forces bien supérieures en nombre. Toute la vidéo infuse l'idée selon laquelle l'EI remporte la victoire non pas en raison du nombre, de ses armes ou de son équipement, mais grâce à sa foi en Allah. La victoire viendra, comme l'exprime le groupe terroriste dans cette vidéo, de la peur que les djihadistes ont de leur seigneur, Allah. C'est aussi l'idée formulée par le discours audio d'Abou Bakr al- Baghdadi: le monde se divise en deux camps, l'Etat islamique et ses adversaires. Il n'existe aucun intermédiaire, aucune "zone grise". Privée de territoire, l'organisation salafiste, malgré tout, survivra: cette vidéo vient tristement le confirmer.
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