Italie : vers un gouvernement eurosceptique ?
"Aujourd’hui commence la troisième République, et ce sera la République des citoyens italiens". C’est par ces mots, que Luigi di Maio, jeune leader du Mouvement 5 étoiles (M5S) commente le résultat record obtenu par le parti aux élections législatives du 4 mars 2018.
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Cette journée a donc mis un terme à une période électorale très tendue. L’immigration a été l’une des thématiques centrales de cette campagne. Depuis 2014, 600.000 personnes sont arrivées en Italie, dans un pays déjà miné par le chômage (source Eurostat), en particulier chez les plus jeunes. Plusieurs faits divers récents attestent de la montée de l’intolérance. L’apogée de cette tension a lieu à Macerata le 3 février 2018, quand un Italien militant d'extrême droite fait feu sur des migrants, blessant six Africains, au prétexte de venger une jeune femme victime d'un fait divers sordide attribué à un nigérian. Depuis le début de la crise migratoire, l’Italie plaide sur la scène européenne pour une juste répartition des arrivées sur le territoire européen et une réforme de la procédure de Dublin, qui attribue la compétence de la demande d’asile à l’Etat membre d’arrivée. Cette solidarité européenne se manifeste au compte-goutte, ce qui explique en partie la défiance des Italiens envers l’Union européenne que reflète le résultat des récentes élections législatives.
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Trois camps principaux se sont affrontés au cours de cette campagne. La coalition dite de centre-droit est arrivée en tête avec 37% des voix. Celle-ci est formée du parti Forza Italia de Silvio Berlusconi, du parti Fratelli d’Italia, héritier du parti néo-fasciste Mouvement social Italien, dirigé par Giorgia Meloni, ainsi que de la Ligue du Nord de Matteo Salvini, allié de Marine Le Pen au Parlement européen. Alors que l'on attendait de Forza Italia qu'il remporte le plus de voix à l'intérieur de cette coalition, c'est en fait le parti d'extrême droite de Matteo Salvini qui a créé la surprise en remportant 17% des voix, se plaçant à la tête de ce trio.
Le Mouvement 5 étoiles, parti populiste, auto-proclamé anti-establishment et partisan d'un dégagisme, a fait pendant longtemps de "l'anti-européisme" son argumentation principale. Au Parlement européen, le M5S est dans le même groupe politique que le parti UKIP britannique. Au cours de la campagne, le M5S a adouci ses positions allant jusqu’à déclarer que l’Union européenne était la maison naturelle de l'Italie mais aussi du M5S. Le parti, qui s’est présenté seul, a obtenu 32% des voix.
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La coalition de centre gauche composée majoritairement du Parti démocrate et d’autres petits partis pro-européens, tels que le nouveau parti "+Europa" ("+d’Europe") d’Emma Bonino a obtenu 22% des voix.
Les forces qui ressortent victorieuses de cette élection, le Mouvement 5 étoiles en tête et la Ligue du Nord, ont affiché une ligne anti-immigration très dure et populiste. Le Parti démocrate et Forza Italia, partis traditionnels, ont fait des résultats décevants avec 18% pour l'un et 14% pour le second, dont on attendait pourtant un retour en force. Les Italiens avaient déjà exprimé leur refus des politiques menées par le Parti démocrate, lors du référendum pour un projet de réforme constitutionnelle porté par Matteo Renzi, alors président du Conseil, le 4 décembre 2016. Ce dernier avait démissionné de son poste de chef de gouvernement suite à ce vote négatif à plus de 60% et des élections étaient attendues depuis cette date.
Les résultats des élections ont provoqué une crise interne (source Le Courrier international) au Parti démocrate, et Matteo Renzi, secrétaire général, a annoncé sa démission dès la formation du nouveau gouvernement, tout en rappelant que le parti se trouverait dans l'opposition. Personne n'exclut la possibilité d'une scission au sein du parti, dont une partie des parlementaires pourraient rejoindre le M5S.
Le système italien, majoritairement proportionnel mais doté d'un système de calcul complexe, laissait prévoir la possibilité d’un parlement suspendu suite aux élections puisqu’un parti ou une coalition doit réunir environ 40% des voix au moins pour pouvoir espérer proposer un gouvernement, selon la toute nouvelle loi électorale "Rosatellum" favorisant les coalitions. En effet, à l’annonce des résultats définitifs (source Corriere della Sera) des élections le lundi 5 mars, aucune des coalitions et partis en lice n’arrivaient à ce seuil, ce qui laisse prévoir une longue période de tractations, à la suite de laquelle il reviendra au président de la République, Sergio Mattarella, de désigner quel chef de parti pourra former un gouvernement.
Aujourd'hui, il est difficile d'anticiper si De Maio, à la tête du M5S, ou Salvini, maintenant à la tête de la coalition droite-extrême droite, ou une tierce personne, seront chargés de former le prochain gouvernement. Il est extrêmement probable que le Mouvement 5 étoiles, force majoritaire à la chambre des députés, ainsi qu'au sénat, sera l'épicentre de ce gouvernement. Ce nouveau-né de la politique italienne, qui s'est toujours refusé d'entrer dans des coalitions, devra discuter avec d'autres forces politiques pour pouvoir créer une majorité gouvernementale. Matteo Salvini a réfuté l'option d'une "majorité étrange" avec le M5S, mais sa coalition ne peut pour autant former un gouvernement, et le programme de son parti avait plusieurs points de convergence avec celui du M5S, notamment sur l'immigration et l'euroscepticisme.
La montée en force de partis eurosceptiques et populistes est extrêmement inquiétante pour l'Union européenne, dont les responsables misaient plutôt sur une alliance Parti démocrate-Forza Italia, sur le modèle de la grande coalition allemande. Les résultats obtenus par ces deux partis rendent cette option impossible et il est probable que s'ajoute à la table du Conseil de l'Union européenne une nouvelle voix europhobe.
(Avec la contribution du Centre d’Information Europe Direct de la Maison de l’Europe de Paris)
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