Le Bitcoin, « actif spéculatif » ou monnaie ?

Auteur(s)
Philippe Simonnot, journaliste pour FranceSoir
Publié le 16 février 2021 - 18:07
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Le Bitcoin, « actif spéculatif » ou monnaie ?
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François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a dénié ce 16 février sur France Inter toute qualité monétaire au Bitcoin, le ramenant au rang d’ « actif spéculatif ».  Le gouverneur est dans son rôle de banquier central et donc de gardien de la monnaie lorsqu’il fustige cette bizarre monnaie numérique, un éventuel concurrent dans le champs monétaire qui est le sien.  Qui plus est, la Banque de France appartient à un système monétaire européen,  dominé par la Banque Centrale Européenne, en principe à l’abri des manipulations monétaires qui ont fait les délices  de ses prédécesseurs dans le très confortable fauteuil de Gouverneur, rue de la Vrillière, ( Paris 1er) lorsque l’on pouvait  de temps à autre dévaluer la monnaie nationale, à savoir le Franc, pour sortir notre économique d’une ornière récurrente.

 

Toutefois, la réponse de  François Villeroy de Galhau n’explique en aucune façon ni la naissance ni le succès foudroyant du Bitcoin, dont le nom dit bien ce qu’il est, coin signifiant pièce de monnaie et bit unité élémentaire d'information  numérique. Il est donc nécessaire d’en dire un peu plus ici.

Rappelons que le Bitcoin a été créé en 2008, l’année de la plus grande crise financière depuis 1929, par un certain Satoshi Nakamoto, qui est peut-être aujourd'hui l’homme le plus riche du monde, puisqu’au moment où lance la nouvelle monnaie, elle vaut à peine un dixième de dollar alors qu’elle en vaut aujourd'hui près de 50.000 dollars (soit 500.000 fois plus qu’à sa création). Ne cherchez pas son nom dans l’annuaire. Ce génie de la finance se cache derrière un pseudo.

 

En douze ans d’existence, le Bitcoin a certes été secoué par de violents soubresauts, et pas seulement à cause de ses accointances avec les marchés de la drogue et le blanchiment d’argent sale. Mais de ces crises, il est toujours sorti par le haut ; en même temps des dizaines de cryptomonnaies ont été lancées dans son sillage.

 

Pourquoi une telle persévérance dans l’être ?

Pour répondre à cette question, il faut d’abord s’interroger sur ce qu’est la monnaie, même si notre brave gouverneur nous interdit d’aller dans cette direction  en ce qui concerne le Bitcoin, ramené péjorativement au rang d’ « actif spéculatif », comme on vient de le voir.

 

Disons-le carrément, à l’encontre  de ce que l’on enseigne sur le banc des grandes écoles de la République  qu’a evidemment fréquentées notre Gouverneur :  la monnaie est une invention des marchands pour faciliter les échanges — et non une invention de l’État comme on l’affrime en France où l’on qualifie la monnaie d’ « attribut régalien ». Que l’État se soit ensuite, très vite, approprié cette invention admirable du génie humain de l’échange pour le pervertir à son profit, notamment en fabriquant de la fausse monnaie, ne change rien au fait qu’à l’origine la monnaie est un produit du marché.

 

Pendant des millénaires, la monnaie tirait sa valeur intrinsèque de son contenu métallique (fer, bronze, argent, or) — ce qui avait un avantage considérable pour la régulation de l’ensemble de l’économie :

Toute hausse générale de prix des marchandises se traduit par une baisse de la valeur de la monnaie puisque la même quantité de métal permet d’acheter moins de marchandises qu’auparavant. Et cette baisse de la valeur de la monnaie entraîne tôt ou tard une diminution de la production de monnaie, et par conséquent de l’offre de monnaie, ce qui à terme va finir par faire baisser les prix.

Inversement, toute baisse générale des prix des marchandises équivaut à une hausse de la valeur de la monnaie, puisque la même quantité de métal permet d’acheter plus de marchandises qu’auparavant. Et cette hausse de la valeur de la monnaie entraîne tôt ou tard une augmentation de la production de monnaie, et par conséquent de l’offre de monnaie, ce qui à terme va finir par faire hausser les prix.

 

Ce mécanisme stabilisateur ne nécessite — faut-il le souligner —   aucune intervention d’aucune autorité d’aucune sorte. La régulation se fait d’elle-même parce que la monnaie en question est elle-même ancrée dans la réalité la plus matérielle — une particularité qui devrait intéresser les écologistes, soit dit en passant, mais aussi nos banquiers centraux qui sont à la recherche éperdue d’une règle pour leur politique monétaire. Le 2% Inflation Standard que la Banque Centrale Européenne a adopté depuis un quart de siècle, se mettant hélas !  à la remorque de la banque centrale américaine,  n’aboutit qu’à noyer toujours plus les moteurs de l’économie sous une mer de liquidités. La crise sanitaire a  transformé cette mer en un véritable déluge, dont personne ne peut dire aujourd'hui qui s’en sortira indemne, mis à part les petits malins proches de la Pompe à Phynances, comme eût dit le Père Ubu.

 

C’est là que l’on voit que le mystérieux Satoshi Nakamoto connait ou connaissait  parfaitement l’histoire monétaire

Pour résumer toute cette histoire en une seule formule, on dira que la banque centrale joue  le rôle de « tiers de confiance » entre l’émetteur de la monnaie et son utilisateur, puisqu’elle est censée être la gardienne de la monnaie .  Or, c’est  justement ce rôle de « tiers de confiance » dont l’inventeur du Bitcoin veut nous dispenser grâce à l’invention, elle aussi géniale, de la Blockchain.

La Blockchain  permet en effet de garantir sans falsification possible les  relations pair à pair (P2P), c’est-à-dire sans intermédiaire.

Aucune banque centrale n’est désormais nécessaire à la fabrication monétaire. La Banque Centrale Européenne passe à la trappe, et avec elle, la Vieille Dame de la rue de la Vrillière. En résumé, la Blockchain est  un gigantesque livre de comptes, infalsifiable dans l’état actuel du savoir numérique, auto-contrôlé, où la moindre opération est enregistrée et vérifiée, chaque bitcoin étant a absolument impossible à dupliquer et donc étant absolument unique.

 

Qui garde les gardiens eux-mêmes ?

Ainsi la Blockchain permet de répondre à la vieille question : Comment et pourquoi, en effet, faire confiance à des « tiers de confiance », même s’ils ont l’agrément des deux parties ?

Un certain Juvénal, satiriste latin du premier siècle après J.-C., un tantinet misogyne, se préoccupait surtout de la garde de la vertu des femmes, et posait la question : Quis custodiet ipsos custodes? Qui garde les gardiens eux-mêmes ? Il supposait que le pouvoir érotique des femmes était tel que les hommes préposés à leur garde céderaient tôt ou tard à leurs charmes. Même des eunuques succomberaient, craignait-on. La question est fascinante non tant par le problème que posait Juvénal, mais parce qu’elle est infiniment « régressive ». De fait, à supposer que l’on trouve un gardien pour garder les gardiens, qui gardera ce gardien, et ainsi de suite. La confiance est impossible en elle-même.

 

Aussi bien, la question de Juvénal a-t-elle été évoquée, et même convoquée, au cours des siècles, pour toutes sortes de sujets moins frivoles, comme par exemple la Loi fondamentale de tel ou tel pays (qui garde les gardiens de la Constitution ? et qui garde le spécialsite de droit constitutionnel ). Ou encore pour le système bancaire. La banque centrale est en charge de la surveillance des banques, mais qui garde la banque centrale ?

Une autre cause importante du succès du Bitcoin est sa manière de parodier la monnaie métallique, sonnante et trébuchante.

 

Ce n’est pas un hasard, en effet,  si le Bitcoin a une véritable dévotion pour le langage minier (mineurs, minage, etc.). Chaque Bitcoin qui sort de cette gigantesque forge numérique est le produit d’un travail de vérification demandant une puissance de calcul démentielle et dévoreuse d’énergie, comme dans une mine où les galeries s’enfoncent de plus en plus sous terre.  Ce n’est pas non plus un hasard si une grande partie du succès de cette monnaie provient de ce que la quantité des bitcoins émis est à terme strictement limitée. Aucune autorité dans le système, a-t-on annoncé d’emblée, ne peut « imprimer » des bitcoins à volonté comme le font les banques centrales depuis qu’elles existent. Donc pas de quantitative easing, la forme moderne de la planche à billets.

 

Ce ne sont pas des hasards, car l’économie mondiale est hantée par le fantôme de l’étalon-or, abandonné en août 1914, qu’elle s’empêche de penser à causer du tabou hérité du célèbre économiste britannique John Maynard Keynes, qui règne encore sur de nombreux esprits, particulièrement en France – le Gouverneur n’a pas manqué de le citer dans son interview. La célèbre formule keynésienne  fustigeant « l’or comme relique barbare » fait encore des ravages chez ceux qui ont un intérêt évident à fabriquer de la monnaie ex nihilo, mais aussi chez la plupart des économistes, élevés au biberon de la fiat money et autres papiers-monnaies.

 

Sans doute, effet, le Bitcoin, comme l’or, sont aujourd'hui , des « actifs spéculatifs », mais il en est ainsi parce que les monnaies dont nous nous servons sont de plus en plus fausses.

Ps : Philippe Simonnot, chroniqueur à France-Soir, ex professeur d'économie du droit à Paris Sorbonne et Nanterre, donne une conférence par zoom le jeudi 18 février à partir de 13h30 sur la question : en quoi le Bitcoin est-il une monnaie ? Il y rappelle les circonstances de l'invention du Bitcoin, les conditions à remplir pour une en faire une monnaie authentique, et la déréliction depuis plusieurs années des monnaies en circulation.  .

https://bit.ly/3dkW2zvRendez-vous ZOOM

 

 

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