Absentéisme, suicides... le profond malaise des salariés de La Poste
Un profond mal-être, rendu public à travers la médiatisation de cas de suicides, règne à La Poste, dénoncent des syndicats, experts, salariés interrogés par l'AFP ainsi que l'avocat de la famille d'un cadre qui s'est suicidé en 2013. Certains font un parallèle avec France Télécom, devenu Orange, touché par une vague de suicides en 2008 et 2009, une affaire dont le procès doit s'ouvrir prochainement. Face aux critiques, la direction a annoncé des négociations sur les conditions de travail des facteurs et de leurs encadrants qui débutent mercredi 26.
C'est SUD-PTT qui a tiré la sonnette d'alarme fin septembre en faisant témoigner des salariés victimes d'accidents au travail et des proches de ceux qui se sont suicidés. Parmi eux, Emeline Broequevielle, 25 ans, ex-CDD de La Poste dans le Nord, partiellement paralysée après un AVC sur son lieu de travail et qui a porté plainte pour "non-assistance à personne en danger". Et le fils de Charles Griffond, facteur de 53 ans, qui s'est pendu le 17 juillet à Pontarlier (Doubs). "Ils m'ont totalement détruit", "bougeons avec La Poste et mourons grâce à La Poste", écrivait ce facteur dans une lettre expliquant son geste. "Ce mal-être n'est pas récent, il touche tous les métiers", dit Valérie Mannevy de la fédération CGT des activités postales et de télécommunication (1e force syndicale) qui dénonce "une marchandisation du réseau de facteurs", chargés d'une multitude de nouveaux services payants.
Le taux d'absence, de 6,65 % contre 4,5% en moyenne ailleurs (rapport social 2015), est "très révélateur", dit Régis Blanchot (SUD-PTT), membre du conseil d'administration. A FO (4e force syndicale), Philippe Charry dénonce "une réorganisation anxiogène" et des "burn-out" à la direction du système d'information (DSI) de la branche courrier. La CFDT (2e) déplore "un fonctionnement qui n'est plus en phase avec la stratégie de l'entreprise".
La responsable des ressources humaines de la branche courrier, Line Exbrayat, s'en défend. Elle souligne que "seulement trois suicides ont été reconnus comme accidents du travail depuis 2012", mais "comme dans tout grand groupe (260.000 personnes), il y a des situations individuelles qui demandent de l'attention". Mme Exbrayat met en avant un "dispositif d'accompagnement et de prévention renforcé" à La Poste et l'installation de "1.000 responsables des ressources humaines, formés à l'évaluation des risques psycho-sociaux".
Huit cabinets d'experts auprès des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de La Poste ont adressé une lettre ouverte au président du groupe, Philippe Wahl, le 13 octobre, une démarche inhabituelle. Ils y dénoncent "la dégradation des conditions de travail, le mépris du dialogue social" et une "situation préoccupante du fait de la rapide dégradation de l'état de santé des agents". Une liste officieuse établie par des postiers et des syndicats, dont l'AFP a eu copie, comptabilise jusqu'à 150 suicides ou tentatives de suicides depuis 2007. "Rien ne permet d'affirmer qu'ils sont la conséquence directe des conditions de travail", disent-ils, mais "il est important d'instruire le lien travail-santé dans ces drames".
Avocat dans le dossier France Télécom, Jean-Paul Tessonnière défend Ilma Choffel, veuve de Nicolas Choffel, ancien directeur des médias internes à La Poste qui s'est donné la mort le 25 février 2013. Cette Néerlandaise, qui a porté plainte avec constitution de partie civile, lutte contre "l'enfer du burn-out" qui a frappé son mari. "En arrêt maladie, il recevait encore sans cesse des sms et courriels de sa direction", dit-elle. Son suicide a été reconnu comme accident du travail. Ce cas, dit Me Tessonnière, est "très révélateur des méthodes de management à La Poste comme ailleurs: on fixe aux salariés des objectifs impossibles et on les met face à leur échec".
Une ancienne cadre de la direction générale de La Poste a raconté à l'AFP, sous couvert d'anonymat, comment elle a été victime "d'un management pathogène" et "pris conscience tardivement de l'omerta qui règne au sein du groupe".
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