La chasse à l’arc, une pratique ancestrale, écologique mais cruelle
Jean-Marc Neumann, président de TELAS Conseil, consultant en stratégie, politique et règlementation de la protection animale, revient pour France-Soir sur la chasse à l'arc. Une pratique méconnue du grand public en France mais qui rassemble pourtant de nombreux adeptes et à cause de laquelle des souffrances sont infligées aux animaux.
La chasse de façon générale est une activité "récréative" très contestée par une large majorité des Français (84% selon un sondage One Voice-Ipso).
Ce rejet est encore plus marqué pour certaines formes de chasse jugées cruelles telles que la chasse à courre pratiquée par 400 équipages et la chasse à la glu autorisée en France dans cinq départements: Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse.
En revanche il existe une chasse ancestrale qui a le vent en poupe (nombre de pratiquants qui a augmenté de 20% en trois ans) et qui est quasi-ignorée de nos concitoyens: la chasse à l’arc.
Cette dernière ne fait pratiquement jamais la Une des médias ni l’objet d’actions spectaculaires des opposants à la chasse telles que celles que l’on peut voir chaque semaine lors des chasses à courre.
Alors que la vénerie compte quelques 10.000 pratiquants, la chasse à l’arc en dénombre plus de 12.000, nombre en constante augmentation.
Cette pratique ancestrale est de plus en plus prisée par les chasseurs car pour certains elle est plus écologique (ne laisse pas de plomb dans la nature contrairement aux cartouches des armes à feu), offrirait davantage de "chances" de fuite aux animaux et serait plus sportive (il faut être à quelques 15-20 mètres de la "cible").
La lecture d’un article du quotidien allemand Thüringer Allgemeine paru le 11 mars 2019 faisant état d’un projet d’autorisation, à titre expérimental, de la chasse à l’arc pour abattre des sangliers prolifiques autour de la commune de Stahnsdorf dans le Brandebourg a attiré mon attention sur cette pratique méconnue.
La chasse à l’arc est actuellement interdite en Allemagne. Il s’agirait, en l’espèce, d’une autorisation encadrée par une étude scientifique. La question pour les initiateurs de cette idée est d’étudier si la chasse à l’arc est ou non compatible avec la règlementation allemande relative à la protection des animaux (Tierschutz).
L’idée d’autoriser à titre expérimental cette forme de chasse a immédiatement suscité de vives réactions dans un pays qui depuis longtemps interdit les chasses dites "traditionnelles" jugées cruelles (la chasse à courre depuis 1953).
Mais qu’en est-il en France? Depuis quand cette pratique est-elle autorisée? Quelle est la réglementation applicable? Le présent article a pour objet de faire le point sur cette pratique en pleine expansion.
I. La réglementation européenne
La chasse à l’arc est autorisée en application de la Directive 92/43 / CEE du Conseil "concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages" plus communément connue sous le nom de directive Habitats.
L’annexe VI de la directive précise les méthodes et moyens de capture et de mise à mort interdits. Si l’arbalète apparait sur la liste, la chasse à l’arc n'y figure pas. N’étant pas expressément interdite, elle est donc permise.
II. La réglementation française
Après l’abandon de la chasse à l’arc durant plus de deux siècles, cette pratique est réapparue il y a une trentaine d’années environ.
Dès 1985, la LFDA (Fondation Droit Animal, Ethique et Sciences) informée de l’existence du Bow Hunting Club et l'Association des chasseurs à l'arc région Aquitaine (ACARA), avait commencé un long combat judiciaire afin d’obtenir par voie judiciaire leur dissolution.
Après avoir obtenu satisfaction à hauteur d’appel dans les deux procédures de dissolution, la LFDA enregistra deux revers successifs devant la cour de cassation qui cassa les décisions des premières cours d’appel et renvoya les affaires devant des cours d’appel de renvoi. Ces dernières se conformèrent ensuite aux décisions de la plus haute juridiction.
Alors que la LFDA s’était une nouvelle fois pourvue en cassation contre les décisions des cours d’appel de renvoi, un arrêté ministériel autorisant la chasse à l’arc fut pris par Michel Barnier le 15 février 1995 sous la pression du lobby de la chasse.
La cour de cassation en 1996 devait confirmer les appels de renvoi.
La chasse à l’arc est donc officiellement autorisée en France depuis 1995. Initialement encadrée par l’arrêté du 15 février 1995 aujourd’hui abrogé, cette pratique l’est désormais par l’arrêté ministériel du 18 août 2008 "relatif à l’exercice de la chasse à l’arc".
Alors comment peut-on chasser à l’arc en France?
En vertu de l’article 2 de l’arrêté, tout chasseur muni d’un permis de chasse classique peut s’adonner à la chasse à l’arc dès lors qu’il a suivi une journée de formation obligatoire appelée JFO laquelle est organisée par les Fédérations départementales des chasseurs.
L’annexe 1 de l’arrêté précise le déroulement de la JFO. Une vidéo destinée aux chasseurs permet de visionner une journée de formation et de se faire une idée plus concrète. Cette journée de formation telle que décrite dans l’annexe 1 de l’arrêté et comme vous pourrez le voir sur la vidéo paraît très sommaire et de mon point de vue très largement insuffisante pour une pratique efficace de cette chasse. En tout cas, la formation est très inférieure à celle imposée au Danemark par exemple qui exige lors de la formation que cinq flèches sur six doivent toucher des organes vitaux de l’animal (cibles à forme d’animal avec parties vitales dessinées). En outre, la formation dispensée par l’association danoise des chasseurs à l’arc doit être approuvée par la Danish Nature Agency (équivalent de l’ONCSF).
Les modalités pratiques de la chasse à l’arc en France, notamment celles relatives aux caractéristiques des flèches pouvant être utilisées, sont précisées au chapitre 2 de l’arrêté.
Pour parfaitement identifier le chasseur adepte de cette pratique, il est stipulé à l’article 12 que "le chasseur détenteur d'un permis de chasser français est tenu de marquer, de manière indélébile et au numéro de son permis de chasser, toutes les flèches emportées".
Lorsque le chasseur à l’arc est en infraction par rapport aux obligations qui lui incombent en application de l’arrêté, il encoure diverses sanctions en application du code de l’environnement:
- pratique sans attestation de participation à une JFO: deux amendes de 5e classe (soit au maximum pour les deux amendes 3000 euros) en vertu de l’article R. 428-8 alinéas 3° et 6°.
- usage de flèches ou d’arc non conformes aux prescriptions techniques: une contravention de 5e classe en vertu de l’article R. 428-8 6°.
- transport à bord d’un véhicule d’un arc non débandé ou sans qu’il soit placé sous étui: une contravention pénale de 4e classe en vertu de l’article R. 428-9.
III. La chasse à l'arc est-elle cruelle?
Il s’agit là de la question centrale. Sans aucun doute la réponse à la question posée est affirmative. Oui les animaux souffrent beaucoup. Ils sont plus souvent blessés que tués sur le coup. On sait également que l’agonie des animaux peut être longue.
Dans un article paru dans le journal belge Le Dauphin libre, on peut lire "il faut savoir que nous devons nous attendre à une agonie d’environ 30 à 45 minutes lorsque la flèche a atteint le cœur ou les poumons (…). Une heure de traque ou plus seront nécessaires si l’animal a été touché au foie. Et il faudra compter huit à douze heures si la flèche a touché le ventre".
Il apparait à la lecture du rapport de la Animal Rights Coalition que selon une étude conduite aux Etats-Unis en 1988 par le Montana Department of Fish, Wildlife, and Parks (équivalent de l’ONCSF) sur un total de 2.370 chasseurs à l’arc ayant touché un élan avec une flèche seuls 49% ont retrouvé leur proie…
Dans le magazine Bowhunter -Big Game de 1991 l’article Make a Difference fait état d’une chasse à l’élan en Alaska. Tous les chasseurs à l’arc furent soumis à un examen écrit et un examen pratique de tir. L’examen écrit fut réussi par tous. En revanche l’examen pratique se révéla être une véritable catastrophe.
A voir aussi: Quand la randonnée vire au drame - les accidents mortels causés par des vaches
En effet, l’examen pratique imposait de réussir au moins trois tirs sur quatre au niveau du cœur ou des poumons dans un animal situé à 30 yards (27 mètres). Seuls cinq chasseurs réussirent le test… les 54 autres échouèrent. Ce qui représente un taux de réussite de seulement 9.25%!
Ceci montre deux choses:
-le taux de tirs réussis, à savoir atteinte des organes vitaux, est extrêmement faible;
-les animaux touchés par des flèches n’atteignant pas les organes vitaux souffrent longtemps avant de mourir vidés de leur sang ou demeurent à vie handicapés et donc condamnés à terme.
Il est peu probable que les chasseurs à l’arc français soient plus doués que leurs homologues américains et atteignent leur cible avec un taux de réussite beaucoup plus élevé, surtout avec une formation aussi peu exigeante.
Même si la législation française ne reconnaît pas encore (hélas) l’animal vivant à l’état de liberté comme un être sensible (en dépit de nombreuses demandes et propositions de loi en ce sens toujours rejetées sous la pression du lobby de la chasse), il ne demeure pas moins vrai que la souffrance de ces animaux est incontestable et doit être réduite au minimum.
L’encadrement actuel de cette activité en France paraît très insuffisant pour empêcher toute souffrance inutile aux animaux. La pratique devrait être interdite compte tenu du niveau de souffrance qu’elle engendre ou, à tout le moins, bien mieux encadrée (par l’Etat et non les fédérations de chasse). Il conviendrait en particulier d’être beaucoup plus exigeant quant aux compétences des archers.
A lire aussi:
"Réguler" le loup? Pourquoi Macron se trompe
Les policiers français peu formés à la gestion des chiens agressifs
Etats-Unis - Loi bâillon: une grande avancée pour les défenseurs des animaux
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.