Scandale des élevages de chiens : quelles sont les règles à respecter ?
En France si les régles à respecter pour détenir un élevage de chiens sont très strictes, cela n'empêche pas l'existence d'élevages-usines où les conditions de vie des animaux sont terribles. Agnès Maatoug, juriste titulaire du diplôme de droit animalier de l'université de Limoges, explique en détail la législation en vigueur pour France-Soir.
L'affaire fait grand bruit début avril à Laval, 300 chiens et chiots issus d'un élevage placé en liquidation judiciaire, devaient faire l'objet d'une vente aux enchères, afin d'aider au remboursement des créanciers[1]. Face à la pression des associations de protection animale, la vente aux enchères a été annulée, mais si une centaine d'animaux ont été retirés de la vente et placés au sein d'associations de protection animale, pour des raisons administratives et/ou médicales, 200 autres ont été vendus directement à ce que la Fondation 30 Millions d'Amis qualifie "d'élevage usine"[2].
Cette sordide affaire a le mérite de mettre en lumière deux tristes réalités.
Tout d'abord, l'animal de compagnie, bien que reconnu comme être vivant doué de sensibilité par le droit, n'en demeure pas moins soumis au régime des biens et peut à ce titre, faire l'objet d'une procédure collective et donc d'une vente aux enchères. Sur ce point, il est indispensable de lire le très intéressant article de la jeune juriste Camille Berthet, intitulé "Le sort des animaux dans le cadre des procédures collectives" paru sur son blog de droit animalier, le 25 février 2019[3].
Ensuite, au-delà de cet aspect, cette affaire peut surprendre un certain nombre d'entre nous et nous amener à nous interroger sur le nombre maximal d'animaux que peut détenir un éleveur de chiens (ou de chats). En effet, nous entendons régulièrement parler de scandales au sujet des tristement célèbres usines à chiots des pays de l'Est, qui approvisionnent une part importante du marché français, mais nous pouvions douter de l'existence de telles structures sur notre territoire, réputé plus respectueux du bien-être des animaux de compagnie.
Malheureusement, force est de constater que des élevages-usines existent bel et bien en France, qu'il s'agisse d'élevages clandestins, mais aussi d'élevages disposant de toutes les autorisations nécessaires, comme le très tristement célèbre élevage intensif de chiens destinés aux laboratoires, situé à Mézilles[4]. A titre d'exemple, le 8 octobre 2018, la Fondation Assistance aux Animaux et la Fondation 30 Millions d'Amis libéraient 121 chiens (sur)vivant dans des conditions déplorables dans une "usine à chiots" située dans la Meuse[5]. Dernièrement, le préfet de la Manche a accordé un permis de construire à un élevage intensif de chiens sur une zone Natura 2000 au Tanu, malgré l'opposition du conseil municipal, la mobilisation de 200 personnes et les 35.000 signataires d'une pétition[6]. Au total, le chenil devrait accueillir 40 chiennes de races bichons et schnauzer nains, qui vivront par 3 dans des enclos grillagés de 180 m² avec cabanon et devraient "produire" deux portées annuelles de 3 à 8 chiots[7]...
Ainsi, il apparaît que notre réglementation n'interdit en aucun cas ce type d'établissements et se borne à encadrer leur activité, au regard du bien-être animal mais aussi et surtout de la protection de l'environnement.
En effet, au-delà d'un certain effectif, les élevages canins constituent des "installations classées pour la protection de l'environnement" (ICPE) qui sont définies par le code de l'environnement comme "les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique[8]. Ainsi, les élevages comptant plus de 9 chiens sevrés (de plus de 4 mois), figurent dans la nomenclature des ICPE[9] et sont à ce titre soumis à la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement[10]. En fonction du nombre d'animaux détenus, l'élevage devra procéder à une simple déclaration[11], un enregistrement (autorisation simplifiée)[12], ou encore une demande d'autorisation"[13].
Les élevages comptant entre 10 et 100 chiens, doivent faire l'objet d'un dossier de déclaration auprès de la préfecture et respecter les dispositions définies dans l'arrêté du 8 décembre 2006 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique n° 2120. Depuis le Décret n° 2018-900 du 22 octobre 2018 les élevages comptant de 101 à 250 chiens, bénéficient d'un régime d'autorisation simplifiée, dit d'enregistrement. Les prescriptions générales qui y sont applicables figurent dans l'arrêté du 22 octobre 2018[14] relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2120 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement. Enfin, les élevages de plus de 250 chiens doivent quant à eux faire l'objet d'une autorisation préalable. L'instruction de la demande implique une enquête d’utilité publique et des consultations. Ces élevages doivent par ailleurs respecter les prescriptions définies dans l’arrêté du 8 décembre 2006[15].
Certaines modifications ultérieures (modification de l'effectif, changement d'exploitant...) doivent faire l'objet de nouvelles démarches et des contrôles sont réalisés par l'Inspection des installations classées. Toutefois, il est à noter que toutes les prescriptions et contrôles portent sur la protection de l'environnement et non sur le bien-être animal, bien que ceux-ci puissent indirectement y contribuer.
Outre ces obligations liées à la protection de l'environnement, les élevages canins et ce quelque soit l'effectif, sont soumis à une réglementation spécifique issue du Code rural et de la Pêche maritime.
En application de ces dispositions et plus particulièrement de l'article L. 214-6-1, les éleveurs sont tenus de s'immatriculer auprès de la Chambre d'Agriculture[16] et du registre du commerce et des sociétés ou encore de respecter les règles relatives à la cession à proprement parler. (Pour plus d'informations à ce sujet, voir l'article "Vente et don de chiens et de chats: quelles sont les règles?" paru le 30 octobre 2018[17])
De plus, comme pour la plupart des activités en lien avec des animaux de compagnie, l'éleveur ou au moins l'une des personnes qu'il emploie au contact avec les animaux, doit être titulaire d'une attestation de formation ou d'une certification professionnelle[18]
Par ailleurs, l'éleveur doit disposer d'installations conformes aux règles sanitaires et de protection animale[19]qui doivent répondre aux prescriptions de l'arrêté du 3 avril 2014 fixant les règles sanitaires et de protection animale auxquelles doivent satisfaire les activités liées aux animaux de compagnie d'espèces domestiques relevant des articles L. 214-6-1, L. 214-6-2 et L. 214-6-3 du code rural et de la pêche maritime et son annexe I. La notice de ce texte indique que "cet arrêté précise les conditions dans lesquelles doivent s'exercer les activités en lien avec les animaux de compagnie d'espèces domestiques, en tenant compte des besoins biologiques et comportementaux des animaux selon les espèces d'animaux détenues ainsi que de l'importance, des caractéristiques et des impératifs sanitaires des activités en lien avec les animaux de compagnie d'espèces domestiques. Ce texte précise le contenu du règlement sanitaire qui doit être établi par les responsables de ces activités en collaboration avec leur vétérinaire sanitaire et les conditions de présence du titulaire du certificat de capacité mentionné au 3° du IV de l'article L. 214-6. Enfin, ce texte prévoit les conditions d'élaboration des guides de bonnes pratiques élaborés par et pour les professionnels, afin de faciliter l'application de cette nouvelle réglementation".
Les manquements à l'ensemble de ces obligations sont sanctionnés par une amende d'un montant de 7.500 euros en application de l'article L. 215-10 du code rural et de la pêche maritime.
De manière générale, les éleveurs sont tenus de s'abstenir de tous mauvais traitements et autres actes de cruauté ou de sévices graves envers leurs animaux[20].
Les élevages sont susceptibles de faire l'objet de contrôles de la part des services de l'Etat afin de vérifier le respect des obligations qui sont les leurs[21].
Toutefois, cet arsenal d'obligations et de contrôles suffit-il à garantir le bien-être des animaux en élevage? Au regard des affaires qui secouent régulièrement l'actualité, montrant les conditions de vie des animaux dans certains élevages, la réponse semble être négative.
De plus, on peut se poser la question de savoir si cette réglementation peut aboutir au bien-être et surtout au bonheur des animaux reproducteurs? Si les chiots qui ont vocation à quitter rapidement l'élevage pour vivre une vie de famille heureuse (en théorie), qu'en est-il des femelles reproductrices qui vivent dans des élevages de grande dimension et passent leur vie à faire des portées?
Sur ce point, il est intéressant de mentionner la question posée en octobre 2018 par le député, Monsieur Loïc Dombreval au ministre de l'agriculture et de l'alimentation[22] sur l'absence de réglementation relative au sort de ces reproductrices, "de la durée de leur exploitation comme reproductrice, au sein des élevages canins" notamment dans "bon nombre d'élevages usines, (qui) imposent aux femelles reproductrices une fréquence de gestations successives incompatible avec le bien-être et, au final, avec la santé des chiennes ainsi surexploitées jusqu'à l'épuisement et la mort prématurée".
Afin d'améliorer les conditions de vie de ces chiennes, le député Dombreval demandait au ministre de l'agriculture s'il lui semblait "possible d'envisager que le nombre maximal de portées autorisées par femelle reproductrice, par période de deux ans, soit ramené à deux, avec obligation de respecter une période de chaleur improductive entre deux nichées, et si d'autre part, un âge limite, au-delà duquel il serait interdit d'exploiter les femelles comme reproductrices, ne pourrait pas être fixé? Cet âge atteint, il incomberait alors à l'éleveur de réformer sa reproductrice et de lui attribuer un projet de vie, au sein de sa structure ou au moyen d'un programme d'adoption ou de placement".
Cette proposition reprend une préoccupation de longue date des associations de protection animale et malheureusement, au vu de la réponse formulée par le ministre de l'Agriculture en date du 25 décembre 2018, la situation de ces femelles reproductrices n'est pas prête de s'améliorer.[23]
Le ministère considère en effet, qu'"il ne paraît pas nécessaire d'imposer de nouvelles obligations aux éleveurs français mais de faire respecter la réglementation en vigueur et de faire reconnaître celle-ci comme modèle auprès des autres pays de l'Union européenne (UE)[24]". Il est fort à parier que ces personnes n'ont jamais vu arriver en refuge des femelles réformées d'élevages intensifs, avec des mamelles complètement distendues...
[1]http://www.francesoir.fr/actualites-societe-lifestyle/annulation-dune-vente-aux-encheres-de-300-chiens
[2]https://www.30millionsdamis.fr/actualites/article/15967-vente-aux-encheres-de-chiens-en-mayenne-plus-dune-centaine-danimaux-deja-epargnes/
[3]https://onzequarantesept.com/2019/02/25/le-sort-des-animaux-dans-le-cadre-des-procedures-collectives/
[4]https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/yonne/auxerre/elevage-mezilles-decision-justice-condamne-association-one-voice-1643104.html
[5]https://www.30millionsdamis.fr/actualites/article/14718-une-veritable-usine-a-chiots-demantelee-dans-la-meuse/
[6]https://www.lamanchelibre.fr/actualite-685595-elevage-canin-le-projet-valide
[7]https://actu.fr/societe/entre-granville-villedieu-poeles-mobilisation-contre-projet-delevage-intensif-chiens_21260167.html
[8]Article L511-1 du Code de l'environnement
[9]2120. Elevage, vente, transit, garde, détention, refuge, fourrière, etc. de chiens
[10]« Toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques ou de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains est une installation classée. »
[11]Arrêté du 08 décembre 2006 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées soumises à déclaration sous la rubrique n° 2120
[12]Arrêté du 22 octobre 2018 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2120 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement
[13]Article L512-1 du code de l'environnement
[14] Arrêté du 22 octobre 2018 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations relevant du régime de l'enregistrement au titre de la rubrique n° 2120 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement
[15]Arrêté du 08/12/06 fixant les règles techniques auxquelles doivent satisfaire les installations renfermant des chiens soumises à autorisation au titre du livre V du code de l'environnement
[16] Article L. 214-6-2 I du code rural et de la pêche maritime
[17]http://www.francesoir.fr/lifestyle-vie-quotidienne/vente-et-don-de-chiens-et-de-chats-quelles-sont-les-regles
[18] Article L. 214-6-1 du code rural et de la pêche maritime - Arrêté du 4 février 2016 relatif à l'action de formation et à l'actualisation des connaissances nécessaires aux personnes exerçant des activités liées aux animaux de compagnie d'espèces domestiques et à l'habilitation des organismes de formation
[19]Article L. 214-6-1 du code rural et de la pêche maritime
[20]Article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime
[21]Article L. 214-23 du code rural et de la pêche maritime
[22]http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-12551QE.htm
[23]Ibid
[24]Ibid
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