Ajaccio : deux jours sous haute tension
"On est chez nous", "Arabes dehors", ont scandé samedi après-midi une centaine de manifestants venus protester pour la seconde journée consécutive dans plusieurs quartiers populaires d'Ajaccio contre l'agression de deux pompiers et un policier la nuit de Noël.
"Je suis contente qu'ils soient là", a témoigné une habitante des Jardins de l’Empereur, une cité populaire des hauteurs de la ville, interrogée par l'AFP: "ça fait cinquante ans que je vis là et ce n'est plus possible".
Un dispositif conséquent de gendarmes mobiles et CRS veillait à empêcher tout débordement dans ce quartier où les manifestants sont arrivés en milieu d'après-midi, avant de se diriger vers les quartiers voisins de Saint-Jean et Sainte-Lucie. Les portes vitrées de trois halls d'entrée du quartier de l'Empereur ont été brisées à coups de pierre par un manifestant, a constaté une journaliste de l'AFP qui n'a noté aucune violence à Sainte-Lucie, où un fumigène a simplement été lancé. Vers 18H00, le cortège de manifestants se dispersait, a-t-elle observé.
Vendredi, une salle de prière musulmane avait été saccagée, en marge d'une manifestation similaire, aux Jardins de l'Empereur, la cité où avait eu lieu l'agression des pompiers et du policier.
Ces actes ont été unanimement condamnés: le Premier ministre Manuel Valls qui a dénoncé une "agression intolérable de pompiers" et une "profanation inacceptable d'un lieu de prière musulman", tandis que Bernard Cazeneuve (Intérieur) évoquait "(des) exactions intolérables, aux relents de racisme et de xénophobie, (qui) ne sauraient rester impunies" et que la garde des Sceaux, Christiane Taubira, twittait "la lumière sera faite, les auteurs en répondront".
"A Ajaccio, pompiers agressés, lieu de culte saccagé, plus qu'un appel au respect de la loi, on attend de l’État autorité et fermeté", a twitté Alain Juppé (Les Républicains).
Le Front national a estimé que "quand les citoyens ont le sentiment légitime que l'Etat ne fait plus régner l'ordre républicain, quand ils voient des pompiers et des policiers pris en embuscade dans un des innombrables ghettos que compte la France, il y a le risque évident qu'ils veuillent se faire justice eux-mêmes (...)".
L'Observatoire national contre l'islamophobie du Conseil français du culte musulman (CFCM) a lui dénoncé une agression "qui se déroule en un jour de prière pour les musulmans et pour les chrétiens", Noël tombant cette année juste après le Mouled, la fête musulmane qui commémore la naissance du prophète Mahomet. Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande mosquée de Paris, a lancé un appel au "calme, au sang-froid et à l'apaisement".
Les dirigeants nationalistes, qui viennent de prendre les rênes de la collectivité territoriale de Corse, ont aussi fermement dénoncé ces violences: le président du conseil exécutif, Gilles Simeoni, a condamné une "agression initiale scandaleuse" affirmant "(qu')il est impensable d'imaginer qu'il existe des zones de non droit dans l'île". Gilles Simeoni a dénoncé les "dérapages racistes. Ces agissements sont contraires aux valeurs du peuple corse". Le président de l'Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni, a également dénoncé sur Twitter "l'importation d'idéologies complètement étrangères à la tradition politique corse".
Les incidents avaient débuté dans la nuit de jeudi à vendredi, lorsqu'un incendie avait été "volontairement allumé" dans les Jardins de l’Empereur, "pour attirer les forces de l’ordre et les pompiers dans un guet-apens", a indiqué la préfecture.
Selon le témoignage de l'un des deux pompiers blessés dans cette agression, ils sont d'abord tombés sur cinquante à soixante individus qui se trouvaient autour d'un feu et leur ont lancé des projectiles : pierres, parpaings, barre de fer.
Puis, alors qu'ils rebroussaient chemin, les pompiers ont a nouveau été pris à partie par un petit groupe : "Nous avons été pris dans un véritable guet-apens par une vingtaine de personnes armées de barres de fer, de battes de baseball, cagoulées. Ils ont essayé de nous porter des coups, d'ouvrir le camion, ils ont réussi à briser les vitres", a relaté le pompier sur i>Télé.
"C'est un tout petit groupe de jeunes", a nuancé Mehdi, un habitant des Jardins de l'Empereur, âgé de 35 ans, interrogé par l'AFP: "les parents abandonnent, le problème c'est l'éducation", a-t-il estimé : "mais nous, nous voulons tous vivre ensemble, sans problème".
Vendredi, une manifestation pacifique de soutien aux pompiers et policiers avait rassemblé quelque 600 personnes devant la préfecture d'Ajaccio mais, en fin de journée, environ 300 d'entre elles ont rejoint le quartier des Jardins de l'Empereur. Ces manifestants ont d'abord affirmé vouloir retrouver les auteurs de l'agression de la veille.
Un petit groupe s'est ensuite détaché pour saccager une salle de prière musulmane. Les casseurs ont tenté de mettre le feu, puis n'y arrivant pas, ont cherché à brûler une cinquantaine de livres, dont des exemplaires du Coran. Un restaurant kébab a été également dégradé.
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