Attentats : le directeur de la DGSI évoque les "angles morts" du renseignement
Les services du renseignement intérieur sont confrontés à trois défis majeurs dans la lutte antiterroriste, a estimé le 24 mai leur patron Patrick Calvar devant la commission d'enquête parlementaire sur les attentats de 2015. Son audition, à huis clos, a été rendue publique ce mardi 12.
Pour la commission, le cas de Samy Amimour, assaillant du Bataclan qui a pu aller en Syrie en 2013 malgré une mise en examen et une interdiction de sortie du territoire, est "emblématique des défaillances du contrôle judiciaire".
Pour ne pas porter "atteinte aux droits de la défense", les services ne peuvent "plus suivre ni intercepter les gens les plus dangereux dès lors qu'ils sont mis en examen; à moins, s'ils sont impliqués dans un autre projet, qu'une autre enquête soit ouverte", a expliqué M. Calvar, directeur général du renseignement intérieur (DGSI), interrogé sur le suivi d'Amimour.
"Il s'agit d'un angle mort", a-t-il estimé, ajoutant qu'"il appartient à un contrôle judiciaire de permettre le suivi de l'intéressé". Au 4 juillet, 256 personnes ont été mises en examen dans des enquêtes sur des filières djihadistes irako-syriennes: 162 sont en détention provisoire, 94 sous contrôle judiciaire.
Pour le DGSI, "il est nécessaire de prévoir des mesures de contrôle judiciaire qui soient très fortes et appliquées à la lettre". La commission parlementaire demande l'adaptation des "obligations dans le cadre du contrôle judiciaire des personnes mises en examen pour des infractions à caractère terroriste" et de "renforcer les modalités du contrôle".
Pour le patron de la DGSI, "le renseignement technique est aujourd'hui un enjeu majeur". Cet aspect est pourtant absent des propositions du rapport parlementaire. Selon lui, les 3.000 agents du renseignement intérieur se heurtent "au quotidien au problème du chiffrement, à la multiplication des moyens de communication, aux masses de données" recueillies.
Whatsapp, Viber, iMessage, Telegram... Ces messageries, très prisées des groupes djihadistes et notamment de l'organisation Etat islamique (EI), sont devenues le cauchemar des services antiterroristes, incapables de casser leur chiffrement dont seul l'utilisateur a la clé.
"Le chiffrement est assurément une question majeure que seules des conventions internationales pourront régler, les frontières des Etats étant désormais le plus souvent inopérantes pour fixer les termes de la loi", a affirmé Patrick Calvar. "Nous aurons un jour ou l'autre un bras de fer avec les opérateurs et pas seulement les opérateurs américains - le principal réseau utilisé par les terroristes, Telegram, est russe", a-t-il prédit.
Aux Etats-Unis, les autorités avaient demandé en vain au géant Apple de débloquer le téléphone d'un des auteurs de la fusillade de San Bernardino, en Californie, qui avait fait 14 morts en décembre. Elles avaient finalement réussi à trouver par elles-mêmes un moyen d'accéder aux données du téléphone.
Autre enjeu, qui implique la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE): trouver des outils de "big data" pour "faciliter le travail des enquêteurs" parfois noyés par la masse des renseignements recueillis.
Certains des djihadistes des attentats du 13 novembre à Paris étaient rentrés de Syrie en empruntant la route des migrants et en utilisant de faux papiers d'identité. Il est toujours impossible à ce jour de retracer le trajet emprunté par Abdelhamid Abaaoud - un des organisateurs du 13 novembre - alors qu'il est établi qu'il a fait des allers retours entre la Syrie et l'Europe.
"Les identités n'ont de nos jours plus grande signification du fait des contrôles aléatoires et des possibilités de falsification grandissantes", a estimé M. Calvar. "Faire des contrôles d'identité n'a plus aucun sens".
"Aussi convient-il désormais d'introduire systématiquement des éléments de biométrie, incluant la possibilité de croisement des fichiers", a-t-il recommandé.
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