Burkini : le CCIF loin de faire l'unanimité
Auréolé de sa victoire dans l'affaire du burkini, le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) est loin de faire l'unanimité: efficace association de lutte contre les actes antimusulmans pour les uns, le groupe est vu par d'autres comme le relais d'un islam politique à combattre. C'est sur saisine du CCIF, allié dans cette bataille à la Ligue des droits de l'Homme (LDH), qu'un premier arrêté anti-burkini, celui de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), a été suspendu le 26 août par le Conseil d'Etat. "Victoire de la liberté", a tweeté le directeur du CCIF, Marwan Muhammad, jeune statisticien et ancien diplomate de 38 ans, très à l'aise sur les plateaux de télévision.
Jurisprudence oblige, les deux associations ont depuis fait tomber d'autres interdictions de cette combinaison de bain islamique. Mais le militantisme du CCIF irrite, de la gauche offensive contre "l'islamisme mortifère" chère à Manuel Valls jusqu'au Front national, qui demande sa dissolution, en passant par la droite. Si le feuilleton de l'été a mis ce collectif en pleine lumière, il avait déjà récemment fait parler de lui avec l'état d'urgence décrété après les attentats djihadistes de novembre 2015, dénonçant des perquisitions qu'il jugeait injustifiées, en particulier à l'égard de musulmans. Mais l'émergence du CCIF est déjà ancienne. Fondé dès 2000, le collectif s'est concentré à partir de 2003 sur la lutte contre l'"islamophobie". Une notion qui elle-même divise: pour ses détracteurs, elle est brandie pour interdire tout débat sur l'islam, ce dont Marwan Muhammad se défend, affirmant ne pas inscrire son combat dans une lutte "antiblasphème".
Le CCIF s'impose quelques mois avant le vote de la loi de 2004 interdisant le foulard islamique à l'école, loi à laquelle il s'oppose, comme il critiquera en 2010 celle interdisant le voile intégral. "A l'époque ont surgi des discriminations à l'encontre de femmes voilées, et nous avons constaté que les associations féministes et antiracistes ne les prenaient pas en charge", assure à l'AFP Marwan Muhammad. Bernard Godard, ancien "Monsieur islam" du ministère de l'Intérieur, a vu grandir ce collectif "formé dans la mouvance frériste", celle qui gravite dans l'orbite des Frères musulmans - hérauts d'un islam politique - autour de l'islamologue Tariq Ramadan, très contesté en France, voire des courants "islamo-gauchistes". "Ils ont peaufiné leur organisation, en élaborant des statistiques, employant des juristes, menant des actions efficaces", explique l'ancien fonctionnaire, qui évoque un "lobbying à l'anglo-saxonne" tout en observant une "posture victimaire" dans les discours. Pour le politologue Haoues Seniguer, le CCIF a su "profiter du discrédit des institutions musulmanes officielles, de l'incapacité du Conseil français du culte musulman (CFCM) à entrer en interaction avec les jeunes générations".
Le CFCM a de fait investi le sujet des actes antimusulmans beaucoup plus tard, en 2011, et son Observatoire national contre l'islamophobie, sans moyens, repose sur les seules épaules de son président Abdallah Zekri, dont les statistiques proviennent des services de l'Etat. Ce délégué de la Grande mosquée de Paris considère avec un mélange d'agacement et d'envie l'action du CCIF, ses 600.000 euros de budget affichés, sa dizaine de salariés à plein temps et sa quinzaine d'antennes régionales. Invité au gala annuel du collectif en 2015, il est allé leur porter un message: "notre combat est le même". "Mais je leur ai dit aussi que je n'étais pas d'accord avec la manière dont ils présentent les chiffres, énormes, en mélangeant aux actes antimusulmans des discriminations" ne faisant pas l'objet d'un comptage officiel. "Moi je ne veux pas donner de chiffres qui effraient la communauté".
Sans parler d'"islamophobie d'Etat" comme il l'a fait par le passé, le CCIF assume son choix. "Une grosse part des discriminations ont lieu dans le service public. On les résout souvent sans problème, par un rappel à la loi. Simplement, on ne peut pas cacher les statistiques", fait valoir Marwan Muhammad. L'essayiste Isabelle Kersimon, qui anime le site islamophobie.org, s'est fait du CCIF une cible, dénonçant une "stratégie de communication inflammatoire, inflationniste". Par le passé, les statisticiens du CCIF "comptabilisaient, dans leurs relevés, les expulsions d'imams qui tenaient des discours antisémites, anti-occidentaux voire appelant au jihad", affirme-t-elle, estimant que "ces enfants de Tariq Ramadan ont bien sûr un agenda politique".
Des "fantasmes" pour le journaliste Alain Gresh, animateur du site contre-attaques.org, sous-titré "pour en finir avec l'islamophobie". "Dès qu'on parle de l'islam, il y a toujours cette idée de double langage, d'agenda caché", déplore-t-il. Pour lui, les militants du CCIF sont "paradoxalement le reflet de la francisation des musulmans, de la multiplication des jeunes diplômés. Même en s'opposant, ils sont une partie de la société française". Ni "frériste" ni salafiste, assure-t-il, Marwan Muhammad abonde en ce sens: "Je jeûne, je prie. Je suis un musulman lambda". "En réalité, le CCIF n'a pas de sujet religieux. Moi, je n'ai pas d'avis sur le foulard, mais j'ai le devoir de protéger le droit à le porter", dit encore son directeur.
La polémique sur le burkini semble avoir profité au CCIF, qui revendique plus de 10.000 adhérents, dont "7.000 acquis ces trois dernières semaines". "Sur les réseaux sociaux, sa base semble s'être vraiment élargie, avec le ralliement de jeunes généralement peu attirés par ses combats", croit savoir le blogueur Fateh Kimouche (Al Kanz), musulman "orthodoxe" qui relaie régulièrement les positions du CCIF. "Faut-il en parler ou pas ? En les identifiant comme des ennemis, des gens dangereux, est-ce qu'on ne va pas pousser vers eux tous les désespérés ? C'est un débat récurrent", admet Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, collectif très hostile au CCIF. Ce politologue est toutefois convaincu de la nécessité d'être "plus que vigilant" sur ce groupement qui promeut, selon lui, "une lecture très particulière de l'islam": "Il faut le combattre".
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