Disparition de Maëlys : que risque le suspect en l'absence de corps ou d'aveu ?
Disparition de Maëlys - Presque 100 ans après un procès qui avait bouleversé la France de l’entre-deux guerres, qui avait conduit à la condamnation de Guillaume Seznec pour le meurtre de Pierre Quemeneur, alors qu’il avait clamé son innocence et qu’aucun corps n’a jamais été retrouvé, les fantômes de l’affaire Seznec reviennent cette fois-ci hanter les terres iséroises avec le drame concernant la petite Maëlys.
La fillette de neuf ans a disparu lors d'une fête de mariage à la salle polyvalente de Pont-de-Beauvoisin (Isère) dans la nuit du 26 au 27 août. Le principal suspect, mis en examen pour enlèvement, nie toujours son implication. Mais que risque ce suspect si aucun corps n'est retrouvé, ou aucun aveu recueilli?
> Le précédent de l'affaire Agnès Le Roux
"Pas de crime, pas de scène de crime, c'est la certitude d'une erreur judiciaire", avait plaidé Me François Saint-Pierre durant le procès de l'affaire Agnès Le Roux . "Dans ce dossier, le doute est +béant+: Où, quand, comment, et par qui ce crime a-t-il été commis? Ce procès n'a pas permis de le dire. Or, il n'y a pas de justice qui ne doive se poser ces questions fondamentales."
C’est ainsi que Maurice Agnelet avait été d’abord acquitté devant les assises des Alpes-Maritimes le 20 décembre 2006. Mais le ministère public ayant fait appel devant les assises d'Aix-en-Provence l’ont ensuite condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour assassinat. Et ni les pourvois successifs, ni les demandes de révision de l’ancien avocat n’ont pu rien y changer.
On se retrouve donc dans la même situation que dans l’affaire Seznec. En dépit de l’absence de corps de l’infortunée Agnès Leroux que l’on a jamais retrouvé, et en dépit d’une constante dénégation des faits de l’ancien avocat Maurice Agnelet, ce dernier a finalement été condamné définitivement. Le doute n’a donc pas profité à l’accusé.
> L'intime conviction et la présomption d'innocence
Mais rien dans le droit français ne dit qu'il est nécessaire d'avoir un cadavre sous les yeux pour établir la réalité d'un meurtre. S'il suffisait de faire disparaître le corps du délit pour qu'il n'y ait pas délit, ce serait une incitation pour tous les meurtriers à faire disparaître leur victime.
Bien sûr, l'absence de corps est un argument souvent utilisé par la défense pour faire naître le doute, lequel doit, en principe, profiter à l’accusé.
Absent du vocabulaire de la législation criminelle, notamment de l’article 470 du code de procédure pénale, le "bénéfice du doute" est la conséquence opérationnelle de l’impossibilité, pour qui en a la charge, d’apporter la preuve de l’élément matériel ou de l’élément moral de l’infraction et d’emporter ainsi la conviction du juge répressif.
L’innocence, n’est plus seulement présomption, mais devient vérité judiciaire. Puisque la preuve n’est pas faite de la culpabilité. La preuve est réputée faite de l’innocence.
L’article préliminaire, III, alinéa 1 du code de procédure pénale rappelle que "toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie" et l’article 427 de compléter: "Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d’après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui".
Ainsi rattaché à la présomption d’innocence, sans se confondre conceptuellement avec elle cependant, le bénéfice du doute trouve ses racines dans d’autres textes comme l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 qui a consacré la règle en énonçant que tout prévenu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.
Au final, c’est la conscience du juge –l’intime conviction, qui abolit la hiérarchie des preuves– qui fera donc la décision. Et alors le bénéfice du doute est ce qui conduit à innocenter le prévenu ou l’accusé.
La culpabilité de meurtre pourra donc être établie par des témoignages. Même si, bien sûr, l’absence de cadavre fragilise le dossier, aucune réalité scientifique ne pouvant être confrontée aux déclarations. C’est également l’enjeu du procès de la petite Fiona qui vient d’être renvoyé en janvier 2018 devant la Cour d’assises de la Haute-Loire.
Et comme l’écrivait l’illustre avocat Jean-Denis Bredin: "Il est vrai que le doute n'appartient pas à notre culture judiciaire et même qu'une vieille tradition de nos tribunaux a fait du doute un élément probable de la culpabilité et non de l'innocence".
Alors, en espérant bien entendu un dénouement heureux dans l’affaire Maëlys, le principal suspect ne doit espérer ni mansuétude, ni bénéfice du doute, s’il devait être renvoyé devant une Cour pour s’expliquer sur cette nuit tragique du 26 août 2017.
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