Essai clinique de Rennes : la molécule du laboratoire Bial en cause
La molécule du laboratoire portugais Bial testée à Rennes a causé l'accident survenu en janvier lors de cet essai clinique, estime un groupe d'experts qui pointe notamment un effet d'accumulation des doses administrées mais aussi les antécédents médicaux de certains volontaires.
"C'est clairement la molécule qui est en cause. L'élément commun entre les victimes, c'est bien la molécule", a commenté Dominique Martin, directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) après la publication lundi soir du premier rapport de ce groupe, mis en place par l'ANSM. Cette molécule "BIA 10-2474" avait principalement des visées antidouleur.
Six volontaires, participant à l'essai clinique de Phase 1 de cette substance, avaient été hospitalisés en janvier à Rennes et l'un d'eux était décédé. Quatre des survivants présentaient des lésions cérébrales et un autre aucune.
Les experts notent le "caractère stupéfiant et inédit" de cet accident, "ne s'apparentant a priori à rien de connu". Ils relèvent toutefois que des volontaires étaient relativement âgés pour ce type de tests (jusqu'à 49 ans) et que certains présentaient des facteurs de risque "vis-à-vis de certains effets indésirables médicamenteux" qui auraient dû conduire à les écarter.
A côté de problèmes de tension par exemple, ils évoquent "un antécédent de traumatisme crânien grave" chez l'un d'eux. Selon une source proche des auteurs du rapport, il s'agit du volontaire décédé. Ces experts pointent aussi "un effet lié à la dose cumulée" de la molécule testée.
Ils observent en effet "l'absence de toxicité" de cette molécule "chez les autres volontaires dont certains avaient reçu une dose unique allant jusqu'à 100 mg ou des administrations répétées de 10 fois 20 mg, soit une dose cumulée de 200 mg". Les personnes hospitalisées avaient, elles, reçu 250 à 300 mg au total.
Les experts jugent également "problématique" le passage d'une dose quotidienne de 20 mg administrée à un groupe précédent à celle de 50 donnée aux victimes. Pour eux, les progressions dans les doses devraient être "plus raisonnables et prudentes". "Tout se passe comme si quelque chose lâchait ou basculait subitement à un seuil précis de dose ou de concentration", disent-ils.
La molécule "BIA 10-2474" appartient à une famille connue d'inhibiteurs d'une enzyme (la FAAH), qui empêchent la destruction de substances naturellement produites dans l'organisme ("endocannabinoïdes"), susceptibles d'apaiser la douleur et l'anxiété.
D'autres laboratoires ont abandonné le développement de molécules de cette famille à une étape plus avancée que l'essai de Rennes pour cause d'"inefficacité", notent les experts. Ils s'étonnent aussi que la molécule BIA 10-2474 ait été administrée aux volontaires à une dose plus de dix fois supérieure à celle censée être nécessaire pour bloquer complètement l'enzyme FAAH.
Selon eux, la molécule se serait fixée "sur d'autres enzymes cérébrales" que celle initialement visée, ce qui expliquerait les troubles neurologiques observés."Ceci suggère un effet hors-cible (de la molécule) pour expliquer l'accident", notent-ils.
Ils écartent en revanche un problème de fabrication ainsi que l'hypothèse d'une particularité génétique des victimes. Aucune trace de cannabis, d'alcool ou de psychotropes n'a non plus été décelée à ce jour chez elles.
Les experts relèvent en revanche des éléments "inhabituels" dans les tests préalables sur l'animal, même s'ils n'ont pas mis en évidence de toxicité comparable à celle de Rennes. Ils jugent ainsi "surprenant" que le laboratoire ait fait des tests sur quatre espèces (rat, souris, chien et singe), au lieu de deux habituellement pour des substances ciblant le cerveau. Ce qui soulève la question de savoir si le laboratoire soupçonnait une éventuelle toxicité de sa molécule.
Autre critique: la démonstration sur l'animal d'un effet antidouleur de la molécule est a priori "beaucoup trop sommaire pour poursuivre un développement, a fortiori chez l'homme". Autant de questions posées au laboratoire par le Comité. Ce dernier se réunira à nouveau le 24 mars pour établir ses conclusions définitives.
Mais il émet déjà des recommandations aux autorités françaises et internationales pour éviter un nouveau drame. Notamment une meilleure sélection des volontaires et une augmentation plus progressive des doses administrées. Des enquêtes judiciaire et sanitaires sont par ailleurs en cours.
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