Grigny : plus aucun supermarché dans la ville, les habitants en colère
"Il n'y avait déjà pas grand-chose à Grigny, alors si maintenant il n'y a plus de supermarché...". Devant les grilles fermées du Casino, les habitants de cette commune de l'Essonne, une des plus pauvres de France, sont las. Depuis jeudi, les presque 30.000 résidents de cette banlieue au sud de Paris ont perdu leur unique supermarché. Un coup dur pour cette ville sans centre, où nombre de commerces ont déjà fui la violence. L'autoroute A6 y sépare deux grands ensembles: la Grande Borne avec son dédale de logements sociaux, et les tours de Grigny 2.
Elodie Laigle habite ce quartier. Au pied de son immeuble, Casino a fermé mais elle continue d'acheter le pain à la boulangerie logée dans la galerie marchande, avec une poignée de boutiques. Le supermarché et ses 4.000 m2, c'était "pratique pour aller faire mes courses avant d'aller chercher ma fille de quatre ans à l'école", explique-t-elle en berçant son autre enfant de 13 mois dans sa poussette. "Je vais devoir changer mes habitudes", soupire cette maman sans emploi de 28 ans, qui sillonnait les rayons "deux fois par semaine". Son compagnon et elle n'ont pas de voiture, il faudra marcher ou prendre le bus jusqu'au Lidl de Ris-Orangis, la ville voisine. A l'entrée de la galerie, Kani Doumbia vibre de colère dans son boubou. "On dit tout le temps que Grigny est surpeuplé, mais sans supermarché on va faire comment?", interroge cette assistante maternelle.
Le maire communiste, Philippe Rio, fulmine également. En juillet, il était reçu à Matignon pour entériner un plan d'urgence avec l'Etat afin de redresser Grigny. Et voilà qu'à la rentrée, il perd le poumon commercial de la commune. "Casino crée l'apartheid commercial de cette ville", lance-t-il à l'AFP. Malgré plusieurs réunions depuis neuf mois, "le groupe ne nous a pas laissé le temps de trouver un repreneur", alors que la mairie négocie avec une autre enseigne et que "deux mois de plus nous auraient suffi", assure le maire.
"Si on nous avait dit clairement: +en novembre, on a quelqu'un pour reprendre la suite+, on serait resté", rétorque un porte-parole de Casino. Le groupe explique qu'il maintient ce magasin depuis des années, malgré les vols, les violences récurrentes et l'explosion du budget sécurité, qui a rendu le magasin très déficitaire. Il promet de reclasser les 36 salariés du supermarché en son sein, en fonction de leurs souhaits. L'insécurité n'explique pas tout, selon la mairie. Pour elle, Casino a lourdement grevé son chiffre d'affaires car il n'a "jamais adapté sa stratégie commerciale" à la réalité grignoise.
"Ça me gêne beaucoup qu'ils ferment, mais ils étaient trop chers pour moi", souffle Fanta Diallo sur le parking, venue avec son cabas à pied depuis la Grande Borne. Un quartier très peu fourni en commerces et où la Poste a déserté face aux violences. Dans le centre commercial, "on a vu défiler ED, puis Leclerc, maintenant Casino. Tout le monde s'en va", égrène-t-elle.
La mairie assure pouvoir trouver un repreneur dès cet hiver et éviter un scénario similaire à celui d'Argenteuil. Sur la dalle de cette ville du Val d'Oise, le Franprix - marque du groupe Casino - avait également fermé en invoquant des violences en septembre 2015. Il a fallu un an pour convaincre une autre enseigne et le site s'apprête seulement à rouvrir. Dans de tels cas, "le sentiment d'abandon est total" pour les quartiers populaires, résume François Pupponi, président de l'Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), chargée de les moderniser. Avec le risque que les commerces soient repris "par une chaîne communautaire, ce qui accentue la ghettoïsation".
S'ils ne savent pas toujours gérer l'insécurité, les grands groupes ne font pas preuve de mauvaise volonté et restent des "partenaires privilégiés" pour reconstruire les quartiers, tempère-t-il.
Les 1.500 quartiers de la politique de la Ville présentent un "sous-équipement avéré" de leur offre commerciale, souligne le Commissariat général à l'égalité des territoires dans une étude de février. Ils comptent 7,34 commerces pour 1.000 habitants, contre 10,34 dans les agglomérations qui les abritent.
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