Harcèlement sexuel et réseaux sociaux : #balancetonporc ou les dangers du "name and shame"
Depuis l’affaire Harvey Weinstein, les réseaux sociaux sont agités par la libération de la parole de victimes de harcèlement. D’autant que sous l’impulsion de la journaliste Sandra Muller, un appel à la dénonciation des harceleurs via le hashtag #balancetonporc a pris une ampleur nationale depuis vendredi 13, relayé avec d’autres mots-clés comme #Metoo qui appellent clairement au "name and shame".
Cette pratique par laquelle les femmes sont invitées à dénoncer une personne qui aurait commis des gestes de harcèlement sexuel à leur encontre conjuguée avec l’extrême viralité des réseaux sociaux peut avoir pour effet de clouer au pilori une personne, publique ou non.
La secrétaire d’Etat Marlène Schiappa n’a d’ailleurs pas manqué de rappeler que "Twitter n’est pas un tribunal, ça ne remplace pas un dépôt de plainte".
Outre les probables dérapages sur des réseaux sociaux, qui ne sont jamais bien loin du tribunal populaire, que risque-t-on à dénoncer nominativement une personne sur le web?
Quels sont les risques de dénoncer une personne via #balancetonporc?
La pratique anglo-saxonne du "name and shame" qui signifie littéralement en anglais "nommer et couvrir de honte" permet de livrer en pâture le nom d’une personne ayant harcelé et alors soumis au "doxing" (fait de se renseigner sur une personne) des internautes. Plusieurs noms ont ainsi émergé sur les réseaux sociaux depuis la diffusion du hashtag.
Parler du harcèlement libère incontestablement la parole des femmes et constitue une très bonne nouvelle avec un soutien au plus haut niveau de l’Etat, puisque le sujet a été abordé lors de l’entretien télévisé présidentiel de dimanche soir et a suscité de nombreuses réactions des ministres, avec vraisemblablement une nouvelle loi à la clé.
Pourtant, la dénonciation nominative à tout-va sur les réseaux sociaux n'est sans doute pas une bonne idée, Twitter ne pouvant se substituer à une instance judiciaire. Une plainte, même si l'on ne connait que trop les difficultés pour les victimes à obtenir une véritable écoute, reste la solution.
Rappelons donc que vous pourriez vous exposer au délit de diffamation si vous teniez des propos qui porteraient atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne, dès lors que celle-ci est nommément désignée ou clairement identifiable. Peu importe le mode de communication utilisé (tweet, voie orale, courrier, texto, blog) si les faits concernent la vie privée, sont amnistiés ou prescrits, ou datent de plus de 10 ans. Si aucune plainte n'a jamais été déposée, c'est un premier risque d’être poursuivi pour diffamation.
Ainsi, si vous suggérez que votre collègue de travail vous a proposé une promotion canapé il y a plus de six ans (date limite de la prescription depuis février 2017) sans qu’une plainte n’ait été déposée, vos propos seront forcément qualifiés de diffamatoires, quand bien même vous rapporteriez la preuve de la vérité. Vous encourriez alors une amende de 12.000 euros si vous tenez les propos en public sur Internet (article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
Par ailleurs, rappelons donc que vous ne pouvez pas dénoncer un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, alors que vous savez que vos allégations sont inexactes. Ne vous amusez donc pas à imputer un harcèlement à votre voisin de palier sous prétexte qu’il est sorti avec votre meilleure amie. Vous vous rendriez coupable du délit de dénonciation calomnieuse, puni de cinq ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende (article 226-10 du Code pénal).
Pour résumer: si vous avez subi un harcèlement, parlez-en autour de vous, à des associations, à votre avocat, et préférez le dépôt de plainte à une dénonciation sur internet, en ayant au préalable constitué un solide dossier, aussi aléatoire puisse-t être le résultat (5% des plaintes seulement aboutissent à une condamnation pénale).
Et espérons qu’à la faveur de cette nouvelle affaire, des moyens soient enfin donnés pour la formation des personnels judiciaires devant recueillir la parole des victimes et l’éducation en amont, et qu’à l’instar de l’Espagne qui a débloqué un milliard d’euros pour un grand plan anti-harcèlement, la France se donne les moyens d’éradiquer ce fléau, plutôt que de légiférer à nouveau sur un millefeuille répressif plutôt inefficace.
(Retrouvez plus d'articles d'actualité juridique sur le blog de Thierry Vallat)
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