Le canal Telegram de "La Vérité Censurée" dérobé à son propriétaire

Auteur(s)
Wolf Wagner, journaliste indépendant pour FranceSoir
Publié le 20 juin 2022 - 19:40
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Sur Telegram, "La Vérité Censurée" est suivi par plus de 100 000 abonnés.
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Le public n'en a pas conscience, mais le populaire canal Telegram La Vérité Censurée, suivi par plus de 100 000 abonnés, a changé de mains le 19 mai dernier. L'ancien administrateur, qui est aussi le créateur de la marque, en est le premier surpris, car il n'a pas été mis au courant de son éviction. Il accuse un membre de son équipe de lui « avoir volé » son travail.

Kévin P., 32 ans, habite Perpignan. Il fait partie intégrante de la vague de citoyens-reporters qui a déferlé sur les réseaux sociaux en 2018 lors des manifestations de Gilets jaunes. C'est à partir de cette période qu'il dit avoir « découvert une passion pour le journalisme ». Il crée d'abord une première page sur Facebook : Kev l'info la page, afin d'y répertorier les vidéos des nombreuses mobilisations populaires de l'époque (Gilets jaunes, mais aussi syndicales ou militantes), en attachant une attention particulière à relever et à diffuser « les violences policières perpétrées lors de ces rassemblements ».

Rapidement, il trouve un écho auprès d'un public particulièrement friand de ce type d'informations trop rarement diffusées dans les médias traditionnels. Pour tenter de faire vivre sa passion, il explique avoir également collaboré épisodiquement avec différentes pages militantes, telles que Cerveaux non disponibles.

En 2020, avec l'arrivée de la crise sanitaire, il va orienter son travail vers une nouvelle forme de journalisme militant. Plus proche de la revue de presse quotidienne que de l'unique référencement d'images issues de manifestations, il crée le 17 novembre 2020 la page Facebook La Vérité Censurée.

Par ce biais, il continue d'informer ses abonnés sur les mobilisations populaires et sur les violences policières, mais il traite à présent aussi de l'actualité relative à la crise sanitaire. Kévin se souvient : « J'ai commencé à publier des infos sur tout ce qui touche aux vaccins, aux témoignages de scientifiques comme les professeurs Perronne ou Raoult », mais en prenant le soin d'éviter « les sujets les plus sensibles ».

Comme beaucoup d'autres pages du même type, il va très vite rencontrer un franc succès... avant de tout aussi rapidement être victime d'une farouche censure de la part de Facebook. Kévin explique par exemple avoir été « bloqué huit mois sur douze » par le réseau social américain, au point de le forcer à devoir chercher une nouvelle plateforme de diffusion. C'est pourquoi, dès mars 2021, il décide de s'intéresser à la messagerie Telegram, avec l'aide de Ghilas M., l'un des membres de son équipe.

Un jeune homme de 18 ans recruté en décembre 2020 pour l'aider à alimenter sa page : « Je ne maîtrisais pas certains sujets que lui dominait mieux, du coup on était complémentaires. Je lui ai dit : 'Il faut qu'on aille sur Telegram'. Lui n'était pas pour au début, mais vu que je ne connaissais pas bien cette messagerie, il m'a aidé et il a créé le canal ».

Comme sur Facebook, le succès va à nouveau être au rendez-vous sur la messagerie cryptée. Kévin raconte : « Le canal a explosé le lendemain de l'annonce de Macron en juillet 2021 [ndlr : concernant l'instauration du passe sanitaire]. Depuis, on a continué à augmenter régulièrement notre nombre d'abonnés, jusqu'à atteindre les 100 000 mi-avril 2022. On tourne en moyenne entre 30 000 et 50 000 vues par publication. ».

Pour le journaliste perpignanais, c'est grâce à Telegram qu'il a pu acquérir une si belle audience : « Je suis beaucoup plus visible sur Telegram. Je touche plein de personnes qui partagent ensuite sur Telegram, mais aussi sur Twitter ou sur d'autres plateformes comme VK. J'avais une énorme communauté et une énorme visibilité

« Je me suis levé un matin, il m'avait bloqué et m'avait enlevé les accès »

Si Kévin parle au passé, c'est que depuis le 19 mai dernier, il n'a plus la possibilité de se connecter à son propre canal. La raison ? Ghilas l'en a exclu. Par quel moyen ? En ayant créé lui-même la boucle Telegram, il en est resté le propriétaire. Il possède ainsi les droits lui permettant de bannir qui il souhaite, y compris l'administrateur du canal et le créateur de la marque, Kévin.

Ce dernier explique : « Je me suis levé un matin, il m'avait bloqué et m'avait enlevé les accès. J'étais fou de rage ! Ce canal, c'était mon bébé, c’était tout pour moi. ».

Quand on lui demande les raisons qui ont pu pousser Ghilas à agir de la sorte, Kévin estime que ce sont des divergences politiques qui ont provoqué de sévères antagonismes entre lui et son subalterne : « De base, on ne voulait pas faire de politique sur le canal, mais l'élection présidentielle nous a un peu obligés à en parler. Et c'est parti en cacahuètes. La ligne de conduite que j'avais demandé d'adopter, c'était "tout sauf Macron", au premier comme au second tour. J'ai dit à l'équipe : "On ne donne surtout pas de consigne de vote"... et ça a été compliqué à gérer. Ça s’est calmé depuis, mais il y a eu beaucoup de divisions au sein de l'équipe et dans les commentaires suite à ça. ».

Aux yeux de Kévin, Ghilas est le seul coupable : « Il a commencé à dévoiler sa face cachée... J'encaissais beaucoup de choses et je prenais sur moi. Pour résumer, on est à l'opposé en politique, je suis de gauche et lui est d'extrême-droite. » Il poursuit : « Du coup, à un moment, j'ai arrêté de me contenir. Il n'a pas apprécié certaines insultes, il en a eu marre de mes reproches et a décidé qu'il voulait commander. Et vu qu'il est propriétaire du canal et moi administrateur, il a décidé, sûrement avec d'autres de l'équipe, de me virer... mais comme ça, sans me prévenir ».

Kévin est convaincu que Ghilas a monté une partie de son équipe contre lui : « C'est simple, il a envoyé les insultes que je lui avais adressées en faisant croire que c'était destiné à l'équipe ».

Et comme pour mieux marquer sa prise de pouvoir, Ghilas, et/ou son équipe, a également récemment décidé de changer le logo du canal et de modifier son intitulé en lui ajoutant l'adverbe « non », devenant ainsi : La Vérité non Censurée.

Ce qui fâche plus que tout Kévin, c'est la manière avec laquelle Ghilas saccagerait depuis la qualité de son travail : « Il publie sans faire aucune recherche. Il fait plein de fautes. Il diffuse de la propagande pro-russe sur la guerre en Ukraine, sur le Covid, sur le vaccin, ou sur la variole. Il relaie même des publications Qanon... P... m... quoi ! Ce n'est pas de l'information ça. Il ne vérifie rien, et du coup il se fait taper sur les doigts par les abonnés. »

Kévin raconte comment il s'est investi pleinement à la tâche et pourquoi cette situation est pour lui invivable : « J'aime bien que les choses soient carrées. Je vérifie systématiquement les sources, les dates, je suis exigeant. Je passais tout mon temps à bosser ou à chercher des infos, ou à m'occuper du tchat, ou de mon équipe. La nuit, je bossais souvent 2-3 heures pour chercher des infos pour le lendemain matin. Le journalisme, c'est ma passion, je ne peux pas m'en passer. Après avoir bossé tant d'heures dessus, je suis un peu blasé de voir mon travail acharné se faire détruire en si peu de temps. Sans oublier que c'était aussi une manière de mettre du beurre dans les épinards vis-à-vis du boulot effectué ».

En effet, les dons reçus de ses abonnés permettaient à ce père de famille de deux enfants d'avoir un revenu d'appoint en plus de son RSA. Des dons qu'il partageait avec Ghilas et qui ne seraient, à présent, plus que sous la seule gestion de ce dernier.

Une information qu'il est impossible de vérifier auprès du concerné, puisque ni lui ni son équipe n'accepte de répondre à nos sollicitations. Pire, puisque plusieurs messages lui ont été adressés dans le cadre de cette enquête, pour un résultat identique à chaque fois : le bannissement du compte ayant servi à poser la question...


L'une des demandes de prise de contact engagée envers l'équipe de La Vérité Non Censurée.


Leur réponse immédiate : un bannissement.

De son côté, Kévin, impuissant face à cette situation, mais en passionné qu'il revendique toujours être, n'a pas pu se résoudre à arrêter son aventure journalistique. Il vient de relancer une nouvelle boucle Telegram : La Vérité Censurée Officielle... dont il est cette fois le seul et unique propriétaire.



Mise à jour (21/06/22 à 01:24)

Droit de réponse :

Suite à la parution de notre article, l'équipe de La Vérité non Censurée a tenu à apporter son témoignage.
Deux heures d'échanges auront permis de s'accorder sur certains points :
- L'équipe reconnait que Kevin P. est bien le créateur de la marque et de la communauté La Vérité Censurée - qui a initialement vu le jour sur Facebook - et qu'il a bien été viré de l'équipe et du canal Telegram suite aux menaces et insultes proférées à l'encontre de Ghilas M. . Des menaces et insultes qui auraient profondément bouleversé Ghilas et qui expliqueraient son besoin viscéral de se séparer de Kevin P..
- L'équipe de La Vérité non-censurée tient également à préciser que le nom du canal aurait été changé en accord avec Kevin P., même si ce changement est bien intervenu après l'éviction de ce-dernier.
- Enfin, Ghilas M. affirme qu'il n'est pas d'extrême-droite. Il nie toute relation idéologique avec cette partie de l'échiquier politique, comme il nie toute relation avec la communauté Qanon.



Avis de l'auteur :
En tant que journaliste, ici, ce qui était factuellement pertinent pour le public, c'était de présenter l'information du changement de mains au sein de La Vérité Censurée devenue La Vérité non censurée, ce dont peu de monde avait conscience. C'est d'ailleurs un point que l'équipe de La Vérité Non Censurée reconnait.

Dans ce genre de situations, où des communautés s'affrontent violemment, il est toujours difficile de réussir à séparer l'affectif du pragmatisme. Je puis vous assurer, en mon nom, que tout ce qui a été rapporté ci-dessus a bel et bien été factuellement vérifié en amont, point par point. C'est d'ailleurs pour cela qu'aucune ligne de l'article ne nécessite d'être modifiée.

Les propos de Kevin P. à l'encontre de Ghilas M. dépendent eux, en revanche, uniquement de sa seule responsabilité, tout comme ceux rapportés par l'équipe de La Vérité non Censurée dépendent tout autant de la leur. Lorsque l'on donne la parole à un individu, en tant que journaliste, sa version des faits lui incombe entièrement. C'est d'ailleurs pour cela que je prends toujours le soin d'employer le conditionnel lorsque je cite les propos de chaque partie.

Par exemple, lorsque l'on interview un homme ou une femme politique. Si ce-dernier ou cette-dernière ment, c'est de sa responsabilité, pas de celle du journaliste. Si Gérald Darmanin affirme qu'il y a eu "40.000 faux billets au Stade de France pour la finale de la Ligue des Champions", ce n'est pas au journaliste de le censurer, mais bien au ministre d'assumer ses propos. C'est la même chose concernant les différents intervenants apparaissant dans cet article. 

Mon rôle unique en tant que journaliste était de m'assurer que les informations concernant l'éviction du canal Telegram du créateur de la marque avaient toutes été bien vérifiées. Ce qui est le cas.

Par ailleurs, l'équipe de La Vérité non Censurée aurait souhaité que je mentionne ici le type d'insultes proférées par Kevin P. (des insultes dont j'avais pu prendre connaissance), mais comme je leur ai précisé, ceci n'est pas ma fonction. À partir du moment où il bien a été notifié dans l'article que ces insultes ont été émises et que Kevin P. les reconnaît, et ce, qu'importe leur teneur, dès lors l'article remplit son rôle factuel, et donc déontologique. Si je devais mentionner ici chaque insulte, alors il me faudrait le faire pour les deux camps, car chacun affirme avoir été menacé par l'autre. L'article ne serait alors plus journalistique, mais un simple ramassis d'invectives plus ou moins violentes entre les deux parties. Chose que je me refuse de relayer. Le journalisme contemporain souffre déjà suffisamment de ce type de bassesses pour ne pas chercher à les entretenir dans les colonnes de FranceSoir.

Pour conclure, ce qui est regrettable dans cette histoire, c'est que l'équipe de La Vérité non Censurée n'ait pas pu répondre favorablement aux sollicitations que je leur avais formulées avant la parution de l'article, ce qui aurait précisément permis d'éviter d'avoir recours à ce droit de réponse, puisque leur avis aurait été dès le départ inclus... Or, dès lors qu'il m'a été impossible d'obtenir ces informations auprès d'eux, je n'ai pu proposer que la version des faits relatée par Kevin P., alors même que ma démarche initiale visait précisément à vous proposer les deux visions. Ce que l'équipe de La Vérité non Censurée comprend et reconnaît à présent.

Au final, grâce à ce droit de réponse, en tant que lecteur, vous disposez à présent des deux points de vues pour vous faire un avis sur cette brouille, parfois violente, opposant deux communautés, ainsi que sur les raisons ayant amenées le créateur de La Vérité Censurée à se faire virer du canal Telegram dont il n'avait pas la propriété, puisque géré par son associé. Point qui représentait l'information journalistique principale que nous tenions à vous communiquer à travers la parution de ce papier.

Pour ma part, le factuel ayant été validé de part et d'autres et les points de vue de chacun ayant été rapportés, mon rôle s'arrête ici.

 

Déontologiquement,
Wolf Wagner.


 

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