Mosquées "radicales" : 20 fermetures en un an, les musulmans perplexes
Un an après la fermeture de la mosquée "radicale" de Lagny-sur-Marne, une vingtaine de lieux de culte au total ont fait l'objet de mesures similaires : des procédures délicates, contestées en justice, qui suscitent interrogation voire perplexité chez les responsables musulmans.
> la base légale
Un an après le déclenchement de l'état d'urgence au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, une vingtaine de mosquées et salles de prière "radicalisées" ont été fermées.
Ces fermetures ont été favorisées par l'article 8 de la loi de 1955 sur l'état d'urgence, qui vise "en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes".
Ces fermetures sont "provisoires", le temps de l'état d'urgence. Lagny (Seine-et-Marne) est emblématique, puisque l'association gérant la mosquée perquisitionnée et fermée le 2 décembre a été dissoute en Conseil des ministres le 13 janvier - une première -, de même que les deux associations qui l'avaient précédée.
En dehors du cadre de l'état d'urgence, les préfets peuvent agir en utilisant la réglementation sur les établissements recevant du public (conditions sanitaires, de sécurité...) et la lutte anti-fraude. Mais les autorités avancent avec prudence, sous le contrôle du juge administratif, sur ces questions ayant trait à la liberté de culte.
> des critiques et du contentieux
Selon des sources proches du renseignement, la France compte environ -sur 2.500 lieux de culte musulman- 120 mosquées et salles de prière salafistes ou sous influence du salafisme, courant fondamentaliste sunnite. Pourquoi ne pas les fermer toutes, comme l'ont réclamé des élus de droite et d'extrême droite?
"Le salafisme ordinaire, quiétiste, diffère du djihadisme, même s'il y a de la porosité entre les deux", explique à l'AFP Bernard Godard, ancien spécialiste de l'islam au bureau central des cultes. "Il faut vraiment que des faits (détention d'armes notamment), des propos (incitation au djihad...) soient avérés. Mais c'est compliqué : quand des associations salafistes penchent vers le djihadisme, elles ne l'expriment pas, elles s'auto-limitent".
La plupart des associations visées contestent en justice les motifs invoqués en vue de la fermeture. Ainsi d'une mosquée d'Ecquevilly (Yvelines), fermée le 2 novembre. Devant le tribunal administratif, la représentante du ministère de l'Intérieur a décrit, derrière une "vitrine propre", "un message insidieux, subliminal, qui instille l'idée dans la communauté que, finalement, les attentats sont tolérables".
"Ses responsables assument d'être +salafi+, contre Daech (acronyme arabe du groupe Etat islamique, NDLR) et contre toute dérive vers cette tendance. Cela a le mérite d'être clair. Le problème, c'est que ce n'est pas suffisant pour qu'ils puissent rester ouverts", regrette M'hammed Henniche, secrétaire général de l'Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis.
> Un "plan B" pour les fidèles?
Le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech, estime que "si un imam ou un responsable de mosquée se rend coupable d'appels à la haine, ou de tout autre propos tombant sous le coup de la loi, les autorités doivent faire leur travail, dans le respect de l'état de droit". Mais il souhaite que des "solutions alternatives" soient proposées, alors que le culte musulman manque déjà de lieux. Manière d'éviter, comme à Lagny, les prières de rue.
Pour le président de l'Observatoire contre l'islamophobie au CFCM, Abdallah Zekri, il faudrait mettre en place un "comité provisoire de gestion" de la mosquée en attente d'une décision de justice puis, si sa fermeture est confirmée, donner mandat au Conseil régional du culte musulman (CRCM) de constituer un nouveau bureau gérant le lieu. En s'inspirant de l'expérience de L'Arbresle (Rhône), où le CRCM et les pouvoirs publics ont travaillé ensemble à la création d'une nouvelle association.
"Ce n'est pas aux fidèles de payer les errements de quelques-uns", souligne ce délégué de la grande mosquée de Paris.
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