Voitures d'occasion et escroqueries : des milliers de "cercueils ambulants" sur les routes

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La rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 06 novembre 2016 - 13:41
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Des voitures sur l'autoroute
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©Capture d'écran Itélé
Le ministère de l'Intérieur a ordonné une réexpertise des 5.000 véhicules. Au total, 1.100 étaient impropres à la conduite.
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Un accident de la route mortel survenu en 2014 a mis en évidence le risque que présentent les voitures d'occasions rafistolées et revendues alors qu'elles sont particulièrement dangereuses. Le résultat d'un système d'escroquerie et de corruption qui permet de remettre sur les routes des milliers de "cercueils ambulants".

Une voiture gravement accidentée, réparée par un garagiste malhonnête, remise en circulation par un expert véreux et rondement revendue: au bout, un automobiliste conduit une épave roulante. Cette escroquerie concerne des milliers de véhicules et a déjà causé un accident mortel.

Début 2014, Vivien, 19 ans, perd le contrôle de sa Clio sportive, achetée d'occasion dans un garage quelques jours auparavant, et percute le véhicule arrivant en face. Côté passager, son meilleur ami meurt sur le coup.

La voiture s'est ouverte "comme une vulgaire boîte de conserve", confie à l'AFP Vivien, toujours traumatisé. Accusé de vitesse excessive, jugé pour homicide involontaire, il sera finalement relaxé. Sa sortie de route, il la doit à sa voiture: un cercueil ambulant.

"Soudures grossières près du point d'impact", "chapes de fixation de l'essieu arrière desserrées", la voiture était dangereuse au-delà de 40km/h, raconte Jacques Chamard, auteur d'une contre-expertise judiciaire. La Clio, gravement endommagée lors d'un précédent sinistre, avait été réparée illégalement par le salarié d'un épaviste, chez lui. Un ami garagiste avait authentifié les travaux et un expert complaisant l'avait autorisée à rouler. Achetée 1.300 euros à une assurance, l'épave roulante est revendue 9.900 euros. La facture mentionne des travaux cosmétiques mais oublie l'essieu, posé d'occasion. "Ils m'ont pourri la vie", enrage Vivien.

Incompétence crasse ou escroquerie? Les trois hommes comparaissent mardi 1er novembre à Évry pour homicide involontaire. Ce drame a révélé les failles inquiétantes du marché de l'occasion. La gendarmerie a interpellé en 2015 trois experts du Val-d'Oise, qui servaient de caution à des garagistes coutumiers des pièces volées, et ont signé 5.000 rapports frauduleux de remise en circulation.

Le ministère de l'Intérieur a ordonné une réexpertise des 5.000 véhicules. Au total, 1.100 étaient impropres à la conduite et 1.600 autres sont interdits de rouler car leurs propriétaires ont ignoré le rappel.

"On a vu un airbag branché avec un domino - jonction électrique - de salle de bain!", s'étrangle un enquêteur de la section de recherches de Paris. De quoi empêcher son bon déclenchement. Essieux fissurés, airbags et ceinture de sécurité déconnectés, train arrière endommagé... les victimes contactées par l'AFP l'ont échappé belle. "Je transportais quotidiennement mes deux enfants à l'école, dont ma fille de 10 ans qui montait à l'avant", s'émeut l'une d'elles, Elodie Fossé.

La combine tenait en trois lettres: VGE, pour véhicules gravement endommagés. Ces voitures sont interdites à la circulation car leurs organes vitaux ont été abîmés lors d'un accident (essieux, jantes et suspensions, direction, airbags, ceintures,...).

Chaque VGE doit faire l'objet d'un suivi par un expert, avant, pendant et après les réparations. Il valide ensuite leur remise en circulation. Mais les trois experts du Val-d'Oise n'ont jamais réalisé ces visites dans leur totalité. Les garagistes réparaient eux au rabais, avec des pièces volées, et revendaient au prix du marché. Une activité lucrative, dont l'expert est la clé de voûte: sans sa signature, la voiture est invendable.

La profession se dit victime de marginaux. "Ces types-là ne travaillent plus avec les assurances, ils sont livrés à eux-mêmes, sans garde-fou", s'exaspère Sylvain Girault, de l'Alliance nationale des experts automobiles (Anea), syndicat des experts libéraux.

Difficile de dénombrer ces renégats parmi les 3.350 experts agréés. Une source ministérielle explique en avoir "repéré une quinzaine" en quatre ans. Un ancien assureur estime qu'"il peut y en avoir une cinquantaine".

De son côté, l'Anea affirme qu'environ "1% des experts se sont spécialisés dans le VGE". Une niche suspecte? "La plupart travaillent très bien, mais c'est souvent là qu'on trouve les brebis galeuses", nuance Bernard Tourette, président du syndicat des experts indépendants (SEI), affranchi des assureurs.

En France, la procédure VGE concernait en 2015 près de 200.000 véhicules, selon la délégation interministérielle de la sécurité routière. 76.213 ont repris la route. "Il y a encore des milliers d'anciens VGE qui roulent et sont dangereux", s'affole un enquêteur.

Des histoires similaires durent "depuis 30 ans", confie un ancien expert. Lui dénonce la "complicité" des compagnies d'assurance. Lors d'un sinistre, si la voiture est gravement endommagée et que les réparations sont supérieures à la valeur du véhicule, l'assureur doit proposer au propriétaire de le lui racheter. La compagnie le revend ensuite à un épaviste agréé, selon des conditions contractuelles via un réseau de professionnels sélectionnés, ou par appel d'offres. Dans ce cas, le plus généreux remporte la carcasse.

"Un type qui débourse 10.000 euros pour une voiture grosse comme une table de salon, il a forcément quelque chose d'illégal en tête", raconte un assureur. La profession le sait, mais "ferme les yeux par pudeur". Certains épavistes "se spécialisent dans le négoce de voitures", au lieu de les démonter pour leurs pièces détachées, peste un professionnel de région parisienne.

Sollicitée, la Fédération française de l'assurance répond que l'industrie "n'a pas à suivre les différentes transactions" post-ventes aux épavistes.

Depuis l'éclatement de l'affaire, l'État a accéléré la remise sur pied d'une commission disciplinaire des experts, inactive depuis plusieurs années. "Cette commission crée un environnement meilleur, mais ne sera néanmoins pas de nature à éviter totalement que de tels faits se reproduisent", explique le délégué interministériel à la sécurité routière, Emmanuel Barbe.

Comment décourager les arnaques, alors que la répression des fraudes a récemment contrôlé 1.500 vendeurs professionnels de véhicules d'occasion, et recensé des infractions chez presque la moitié? Le député Philippe Goujon (LR) propose une loi qui imposerait au vendeur une expertise avant transaction. Plusieurs cabinets le proposent déjà, pour 100 à 300 euros, une solution méconnue. Mais l'exiger serait "disproportionné" au regard des 5 à 6 millions d'occasions vendues chaque année, répond M. Barbe.

Permettre au consommateur de vérifier l'historique du véhicule serait un progrès, pointe l'avocat Alain Leclerc. Les dizaines de victimes qu'il défend ignoraient avoir acheté un ancien véhicule gravement accidenté.

Un juge d'instruction d'Évry enquête depuis mai, mais seulement sur les 36 voitures vendues dans l'Essonne (sur les 5.000 pour lesquelles les 3 experts ont signé un rapport frauduleux). D'autres parquets refusent de s'attaquer au dossier tentaculaire, de source judiciaire.

Aucun des professionnels suspects n'a été mis en examen jusque-là. Un enquêteur grogne: "Sans condamnation, le trafic est reparti."

 

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