Les décollages de Roissy cassent les oreilles des Parisiens

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Corine Moriou, pour France-Soir
Publié le 17 mars 2023 - 11:30
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Des avions de différentes compagnies aériennes sur le tarmac de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, le 27 juin 2019
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© JOEL SAGET / AFP/Archives
Des avions de différentes compagnies aériennes sur le tarmac de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.
© JOEL SAGET / AFP/Archives

AÉRIEN - De nouveaux systèmes de navigation permettent aux compagnies aériennes d’optimiser la trajectoire de leurs vols au départ de Roissy. Elles font ainsi des économies de kérozène. Mais ces itinéraires au-dessus de la capitale ont augmenté de manière drastique les nuisances sonores. Un coût désastreux pour la santé des Parisiens.  

Désormais Paris n’est plus épargné par le ballet des avions dont souffrent les riverains des aéroports. La capitale va-t-elle, à son tour, devenir invivable ? Deux millions de Parisiens vont-ils se mettre en colère ?  

« À 4 heures du matin, je suis réveillée par le bruit d’un avion qui fait vibrer les vitres de l’appartement . Mon fils de cinq ans retrouve difficilement le sommeil. A tel point qu’il s’endort en classe. Nous avons constitué un groupe Facebook entre voisins pour agir», raconte Cécile H., une habitante du village Jourdain, dans le 19ème arrondissement.  

« C’est trop pénible d’entendre en permanence des avions au-dessus de ma tête. J’en pleure, je ne peux plus me concentrer en télétravail. Je suis prêt à signer une pétition ! », tempête Jean-Pierre T., résident du quartier des Batignolles.  

« Je vais demander à Aéroport de Paris de prendre en charge les triples vitrages et autres installations anti-bruit que je suis contraint d’installer chez moi pour me protéger des nuisances aériennes », annonce Laurent S. habitant à Montmartre.  

Avec une moyenne de 1 300 mouvements par jour à Roissy, les routes aériennes au-dessus de Paris ne sont plus l’exception. Tous les Parisiens sont désormais impactés d’Ouest en Est, du Nord au Sud. 

Ils sont de plus en plus nombreux ceux qui n’arrivent plus à travailler, tombent malades, font des dépressions à cause du bruit des avions. A tel point que des Parlementaires ont demandé à Clément Beaune, Ministre délégué chargé des Transports, de prendre des mesures pour faire cesser ce cauchemar.  

Catherine Dumas, sénatrice LR, a posé une question écrite dans ce sens publié dans le JO du Sénat le 19 janvier 2023.

Elle rappelle qu’au-delà des gênes occasionnées, les conséquences sanitaires du bruit sont nombreuses et ne sont plus à démontrer. En plus des effets auditifs, les nuisances sonores perturbent le sommeil, augmentent les troubles cardio-vasculaires et l’anxiété.  

Dans une tribune du Monde en décembre dernier, des professionnels de santé ont dénoncé les bruits aériens qui causent de nombreuses maladies et entraînent un surcroît de mortalité.  

L’Éco-pilotage, une manne financière d’environ  10 millions par an pour Air France

Mais que se passe-t-il donc dans le ciel de Paris ? Pourquoi tant d’avions depuis octobre 2022 ?  Nous vous proposons de retrouver nos dernières enquêtes sur le sujet.  

La réponse pourrait aussi se trouver du côté des nouveaux modes de pilotage baptisés « éco-pilotage » ? Eco-pilotage comme économie et écologie ? Ou éco-pilotage synonymes de nuisances sonores et maladies ? 

Nous avons interviewé l’homme de la situation : Laurent Lafontan, Directeur du Développement des Opérations Aériennes chez Air France, par ailleurs commandant de bord sur Airbus A320. Bref, un homme de terrain, membre de la direction d’Air France. Notons qu’Air France se place dans le peloton de tête des compagnies aériennes qui pratiquent une politique de décarbonisation.  

Il nous explique : « Nous nous appuyons sur trois leviers limiter l’empreinte carbone. Le premier levier est le renouvellement de la flotte avec des avions de nouvelle génération comme Airbus A350, A320, Boeing 787. Le deuxième levier est l’utilisation de SAF, sustainable aviation fuel ou carburant aéronautique durable. Le troisième levier est l’éco-pilotage c’est-à-dire un ensemble de mesures prises par les pilotes pour optimiser la consommation de carburant et les émissions de CO2 tant au sol, qu’au décollage, en vol et à l’atterrissage. »  

Sur le papier ces objectifs sont louables. Les deux premiers leviers semblent indiscutables…  

Concernant l’éco-pilotage, la recherche d’économies de kérozène ne va pas hélas forcément de pair avec une empreinte sonore moindre.  

« Il faut savoir qu’1% de carburant économisé représente 45 000 tonnes de fuel en moins. Aujourd’hui, on arrive à économiser 4,2% de la consommation annuelle de kérozène chez Air France. Et nous visons les 8 à 10 % à terme », souligne Laurent Lafontan.  

Si Air France paye environ 1 000 euros la tonne de kérozène, cela représenterait une économie dépassant les 10 millions d’euros par an pour une moyenne de 300 avions décollant de Roissy par jour avec une trajectoire au-dessus de Paris. Un chiffre non négligeable !  

Mais derrière cette manne financière pour la compagnie nationale se cachent des effets désastreux pour le cadre de vie de la population au sol !  

Le nord de Paris et, progressivement toute la capitale, victimes des nuisances sonores aériennes 

Concrètement qu’en est-il ? Au départ de Roissy, les avions font des boucles vers l’Ouest pour une configuration face au vent dans 60 à 80% des cas. Puis ils raccourcissent leur trajectoire, en survolant le Nord de Paris, pour ensuite partir vers des destinations à l’Est. 

Les arrondissements les plus impactés par les nuisances sonores des gros porteurs sont les 9ème,10ème, 17ème, 18ème, 19ème, 20ème arrondissements. Mais nul n’est exclu. Des habitants du 14ème, 15ème, 16ème sont exaspérés par le trafic aérien au-dessus de leur tête qui n’existait pas il y a six mois.  

Rassurez-vous, tous les Parisiens seront tôt ou tard concernés. L’excellente application Flightradar24 permet de suivre en temps réel les trajets aériens. Les aéronefs volent au-dessus de l’Élysée, des Tuileries, du Champ de Mars, de la Tour Eiffel, de l’Hôpital Necker, du Parc Georges Brassens…  

Ces « trajectoires directes » du Nord au Sud de Paris sont hélas de plus en plus fréquentes. Des outils basés sur l’Intelligence Artificielle (IA) seraient à l’origine de ce ramdam au-dessus de la capitale: la solution SkyBreathe de la société OpenAirlines, OptiDirect et OptiLevel de la société Safety Line…  

Transavia, filiale low-cost d’Air France-KLM, a servi de « laboratoire » sur des vols tous azimuts. Depuis, l’utilisation de ces nouveaux systèmes de navigation s’est développée à l’ensemble du groupe.  « Les pilotes d’Air France utilise OptiClimb conçu par la société Safety Line pour optimiser leur consommation de kérozène lors du décollage », nous précise Laurent Lafontan. 

Nul doute que la start-up Safety Line a le vent en poupe, car les Parisiens en ont plein les oreilles ! Avec OptiClimb, il semble que les pilotes prennent la route la plus courte et … la plus sonore pour les Parisiens.  

Interdire le vol des gros porteurs au-dessus de Paris  

Un phénomène qui interpelle l’ACNUSA, l’Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires qui recueille les plaintes des Franciliens excédés par ce tapage aérien.  Son Président, Gilles Leblanc explique  : « Les volumes de protection environnementale (VPE) associés aux procédures de départ fixent les marges de tolérance qu’ont les pilotes par rapport à la trajectoire nominale pour les premiers kilomètres après le décollage en relation avec le contrôle aérien. Dès l’extrémité de ces VPE, les pilotes peuvent prendre la route la plus courte. »

Il propose :  « Au moment où les Zones à Faibles Emissions (ZFE) se déploient, les VPE pourraient être prolongés pour encadrer les conditions de réalisation du virage sur le plan horizontal (territoires survolés) et sur le plan vertical (altitude de survol). » 

Cette proposition technique serait, certes, une avancée. Mais ne faudrait-il pas envisager des mesures plus radicales ? Par exemple, l’interdiction de survoler la capitale ? La réglementation actuelle autorise de survoler Paris de jour comme de nuit au-delà de 6 500 pieds, soit 1 981 mètres d’altitude. « Il s’agit d’une réglementation ancienne qui a été mise en place pour des raisons de sécurité, mais qui ne tient pas compte des questions environnementales dont les nuisances sonores. Il conviendrait de la réviser », note Gilles Leblanc.  

Incontestablement, ce sont les gros porteurs comme les A319, A330, A350, Boeing 777 qui sont les plus bruyants. Même à une altitude de 13 000 pieds, un long courrier réveille à minuit plusieurs arrondissements ! Ne faudrait-il pas interdire la flotte des gros porteurs au-dessus de Paris ? Car ce sont eux qui créent le plus de nuisances sonores.  

« Roissy, c’est la poubelle de l’Europe. On y accueille les avions les plus bruyants et les plus polluants que les autres aéroports d’Europe refusent », s’insurge Françoise Brochot, Présidente d’Advocnar, l’association de défense des riverains de Roissy-CDG et du Bourget.  

Il n’existe pas de couvre-feu à Paris-CDG à la différence d’Orly (23h30/6h). « De grands aéroports européens comme Londres-Heathrow, Amsterdam-Schiphol,Francfort, Madrid ont deux fois moins de vols de nuit », complète Françoise Brochot.  

L’ADP (Aéroport-de-Paris) refuse toujours d’envisager un couvre-feu à Paris-Charles-de-Gaulle. Pourtant l’OMS recommande huit heures de sommeil consécutives pour rester en bonne santé et estime que « jusqu’à trois années de vie en bonne santé sont perdues dans les couloirs aériens. »  

Aujourd’hui 4,5 milliards de passagers… Demain 10 milliards  

L’urgence climatique semble avoir bon dos lorsqu’il y a une manne financière à la clé. Comment peut-on imaginer qu’il y ait une véritable volonté de « verdir » le transport aérien avec des mesurettes ?  

« La France s’engage dans la sobriété énergétique et climatique, l’aviation ne peut s’en affranchir », déclarait Audrey Boehly, porte-parole du collectif Non au Terminal 4, à notre confrère de la Gazette du Val d’Oise en septembre dernier. Toujours plus. Le développement du trafic aérien ressemble à un dogme religieux.  

Le PPBE, Plan de prévention du bruit et de l’environnement (2022-2026), prévoit une augmentation du trafic aérien à Roissy de 500 000 à 680 000 mouvements à long terme en dépit des protestations des associations de défense des riverains des aéroports. C’est comme si l’on créait l’équivalent de l’aéroport d’Orly juxtaposé à celui de Roissy. Une horreur !  

« Cette hypothèse n’a rien à faire dans un PPBE. Ce chiffre correspond à ce que l’on aurait eu avec la création du Terminal 4 qui a été abandonné. Envisager cette hausse, c’est revenir sur la promesse qui nous a été faite par le gouvernement, pointe Françoise Brochot. Nous demandons un plafonnement à 440 000 mouvements par an, à l’exemple de la décision prise par les autorités aéroportuaires d’Amsterdam-Schiphol qui connaît un trafic similaire à celui de Roissy. »  

Pas moins de 22 maires de l’Ile-de-France dont onze du Val-d’Oise ont cosigné en décembre 2022 un courrier adressé au président de la République, Emmanuel Macron. Objectif : dire non à l’extension de Paris-CDG. Cela aurait pour conséquence 500 vols supplémentaires par jour et l’explosion des nuisances sonores. 

Qu’en est-il au niveau international ? 

Bref rappel historique : il y avait 500 000 passagers qui prenaient un avion en 1972, 1 milliard en 1986 et 4,5 milliards en 2019.  

Selon l’OACI, l’Organisation de l’aviation civile internationale, la reprise s’est amorcée depuis la fin de la crise sanitaire et les prévisions tablent sur un trafic aérien à la hausse. Le nombre d'avions de fret en service est déjà supérieur de 4 % à son niveau de référence pré-Covid-19.  

Il est prévu que le trafic aérien mondial atteignent 10 milliards de passagers en 2050, soit plus du double de son niveau de 2019. La santé des citoyens devrait l'emporter sur les intérêts financiers. Mais cela ne semble pas en prendre le chemin.  

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