Interview de Franck Baudino : pionnier de la télémédecine
« Il faut revenir au bon sens et j’y tiens beaucoup ! » : Dr Franck Baudino, entrepreneur humaniste, pionnier de la téléconsultation
Franck BAUDINO est le fondateur de H4D une société pionnière en matière de Téléconsultation, et évidemment sur le front dans le cadre de lutte contre le COVID 19 car son cabinet médical connecté permet d’effectuer de véritables consultations avec les instruments et capteurs médicaux présents au sein de cette cabine de télémédecine. Il est médecin généraliste et a complété le cursus complet de Sciences Po.
FranceSoir : Vous êtes médecin ou Chef d’entreprise ?
Franck Baudino : Bienvenue chez H4D. Je suis médecin et Président fondateur de cette structure qui propose un service complet de téléconsultation via notre Consult Station®. Et pour rentrer dans le vif du sujet, je vous propose de l’essayer. Allez-y entrez !
(Nous entrons dans une cabine ultra-moderne avec des instruments partout, et nous nous installons dans un siège confortable dans un environnement confidentiel, médical, blanc, clair, connecté. La porte fermée, l’écran s’allume et nous voilà en situation réelle. Nous redécouvrons le Dr Baudino derrière l’écran et nous sommes en Téléconsultation… ndlr)
Nous avons terminé. Le bilan de France Soir est positif. Tout va bien !
FS : Merci pour cette immersion. Comment avez-vous affronté personnellement et professionnellement cette crise dite du Coronavirus ?
FB : J'ai comme bon nombre de mes confrères proposé immédiatement mes services autour de moi, notamment auprès de celles et ceux qui ne consultaient plus leur médecin généraliste pour des pathologies classiques et sans rapport avec le Covid-19. Nous avons aussi chez H4D proposé nos services de téléconsultations à l’ensemble de nos partenaires pour apporter une réponse servicielle crédible et immédiatement disponible pour désengorger les urgences et réinventer du temps médical pour les praticiens mais aussi pour tous les patients. De nombreuses entreprises et collectivités nous ont sollicités. Nous avons répondu partout présents.
FS : On a beaucoup parlé de téléconsultation pendant la crise, puisque les gens ne pouvaient plus se déplacer. La consultation en visio s’est développée. Pouvez-vous nous décrire la téléconsultation ? Comment ça marche ?
FB : En fait la crise actuelle a permis aux patients de parler ou de voir leur médecin par visio-conférence. Mais ce n’est pas vraiment une consultation. La téléconsultation telle qu’on la pratique chez H4D correspond tout simplement à une consultation. La télémédecine c’est de la médecine et donc il n’y a pas de télémédecine sans médecin. C’est une interaction entre un patient et un médecin.
Une consultation est processus normé qui permet à la fin de poser un diagnostic et de soigner un patient. Première étape : faire rentrer le patient dans un espace privatif afin de faire la consultation en commençant bien sûr par poser des questions. Deuxième étape : Procéder à l’examen clinique qui se passe en deux temps : des mesures puis l’auscultation en fonction des symptômes décrits. Troisième étape : établir un diagnostic.
La limite de la visio-conférence c’est qu’elle ne permet pas par exemple de faire l’auscultation. Je mets mes confrères au défi de soigner une toux par visio-conférence !
La téléconsultation doit permettre de réaliser un examen clinique à distance et nous faisons partie des rares sociétés à pouvoir proposer cette pratique : la télémédecine clinique.
Nous avons mis 9 ans à développer les protocoles médicaux qui permettent à un médecin de réaliser un examen clinique par téléconsultation. Notre système permet de respecter le protocole de santé publique. Avec une visio-conférence sur Skype, le patient n’a pas d’espace confidentiel, et cela ne respecte pas les protocoles de sécurité des données. Cela nous a pris 5 ans pour développer le système de chiffrement des données.
FS : Vous avez donc une technologie de pointe ?
FB : C’est avant tout une technologie qui doit répondre à des normes médicales et à des procédures bien encadrées. La technologie peut paraitre de pointe mais avant tout elle est fonctionnelle et ce qui compte c’est de bien former les médecins.
FS : Quand avez-vous créé la société H4D ?
FB : En 2010 et les premiers brevets datent de 2006-2007. Très rapidement, j’ai eu de la demande en Afrique notamment pendant les épidémies, et cela m’a amené à réfléchir à cette solution dans un contexte de santé publique. Et la crise actuelle a démontré que nous étions préparés à la Téléconsultation et que H4D répondait autant au besoin des collectivités et des entreprises pour de la prise en charge que pour du dépistage.
FS : Pourquoi avez-vous créé cette solution technologique ?
FB : Avant tout je suis médecin et j’ai eu la chance d’aller dans différents lieux en France et à l’étranger et je me suis aperçu que l’on n’avait pas accès au soin de la même manière. En d’autres mots, dans un département français reculé, les soins ne sont pas aussi faciles d’accès pour de simples raisons logistiques. En tant que médecin, on se doit de soigner tout le monde. On veut donner le même soin et une chance égale au patient qu’il soit dans un village retiré au fin fond de l’Inde ou dans un quartier en plein milieu de Paris. Et donc de fil en aiguille j'ai eu cette idée de recréer un cabinet médical parce que le plus important pour moi était de conserver d'abord le colloque singulier entre le patient et le médecin et de permettre au médecin une prise en charge optimale de son patient. C'est lui par exemple qui prend l'initiative de lancer les mesures des instruments et capteurs à distance. Dans la cabine vous êtes dans un espace privatif mais c’est le médecin qui vous guide dans l’utilisation et la manipulation des instruments. Il y a donc un gain de temps pour le praticien et le patient. Il faut également faire confiance au patient, le rendre autonome, l’aider et l’assister dans la prise de mesure. In fine il devient acteur de sa santé (ndlr : l’entretien médical est bien scripté par exemple pour l’usage du stéthoscope, le médecin m’a indiqué où et comment le placer)
FS : Quelles sont les conditions pour que les consultations médicales à distance que vous développez soient, dans la tête de tous, équivalentes à des consultations médicales dans un cabinet traditionnel ?
La télémédecine c’est notre métier. Les téléconsultations notre spécialité ! Notre objectif est simple. Premièrement, nous fournissons, grâce à une connexion, un accès aux soins de manière équitable à tous, que vous soyez au fin fond d’un département français ou d’un village indien. Deuxièmement, nous respectons scrupuleusement le côté privatif et la confidentialité de la consultation médicale pour le patient, tout en laissant la main au médecin durant la consultation. Enfin, nous faisons pleinement confiance au patient dans l’usage des instruments plutôt que de faire appel à une infirmière. La « self-safe-consultation » en quelque sorte.
FS : Des solutions itinérantes plus traditionnelles existent aussi en France et à l’étranger ?
FB : Oui, bien sûr. Quand j’étais au Vietnam par exemple, j’ai travaillé dans des camions mobiles. Ces camions rendent évidemment un vrai service ponctuel. On amène au patient la possibilité de se faire soigner, c’est vrai. Ça fonctionne très bien et c’est fort utile. Mais que deviennent les patients quand le camion repart ? Je me souviens avec émotion qu’en repartant, je leur retirais l’accès aux soins… C’est pour moi comme une double peine le jour où ils tombaient malades. Car les patients ne savent jamais quand ils vont tomber malades et évidemment quand le camion repassera…
FS : Et concrètement, pendant l’épidémie de Covid que s’est-il passé ?
FB : Le dispositif a été installé dans les hôpitaux en urgence pour prendre en charge des patients en mode autonome, ce qui permettait de les prendre en charge plus rapidement et de soulager les médecins qui étaient évidemment débordés. Les dispositifs ont été déployés en 24 heures et ont permis un gain de temps dans la prise en charge des patients.
Le patient n’a plus à attendre dans la salle d’attente et cela décharge donc le système.
On avait par exemple des remontées immédiates d’information du patient qui arrivait sans symptôme mais pouvait se trouver avec un taux d’oxygénation du sang bas. On a donc mis notre cabine dans les centres de La Croix Rouge au front afin de faciliter le dépistage et soulager le personnel médical. De plus on a mis nos cabines en place dans des collectivités pour faciliter la prise en charge de patients qui avaient des pathologies chroniques, ces fameux patients qui sont malades pendant plusieurs semaines. Cela permettait aux patients de continuer à être soignés pour les soins traditionnels.
FS : En période de COVID avec les règles de distanciation sociales qui s’imposent, la téléconsultation semble s’imposer par bon sens ?
FB : Tout d’abord, un patient qui arrive pour une téléconsultation est pris immédiatement, sans passer par la salle d’attente. C’est un point important en période de Covid : le patient est isolé, ce qui permet de respecter les règles de distanciation sociale. Le médecin est lui aussi protégé car il n’est pas en contact direct avec le patient.
FS : Vous cumulez de nombreuses casquettes. D’où cela vous vient-il ?
FB : J’aime les gens. Petit, je voulais être ethnologue mais mon père pensait que ce n’était pas un métier ! Et j’ai fait de l’ethnologie à travers la médecine. Les 2 choses que je regarde quand j’arrive dans un pays : la structuration de son système de santé et les gens. En prenant le plus simplement du monde un café, je regarde les gens dans la rue afin d’observer comment ils se déplacent, se parlent, se rencontrent, fonctionnent…
FS : Nous entendons régulièrement parler dans tous les médias que nous sommes victimes en France, et au-delà, du développement de déserts médicaux ? Est-ce un fantasme politico-journalistique ou une réalité partielle ou généralisée ?
FB : Tout est relatif. En Afrique il y a un vrai désert médical avec un médecin pour 30000 personnes. En France, nous avons une concentration des soins dans les hôpitaux, une diminution des soins de proximité avec la fermeture des dispensaires et des hôpitaux périphériques. Il y a une diminution des médecins qui veulent faire des gardes de nuit, commencer tôt le matin ou finir tard le soir. Cette modification a engendré un ressenti de la population d’une diminution de l’offre de soin qui est vécue comme un désert médical. Dans les pays occidentaux, on voit une diminution du temps médical disponible. Il y a une diminution des points d’accès au soin. Et c’est là où nous intervenons. Nous répondons à la problématique de l’isolement médical (distanciation au soin) en mettant nos cabines dans les villages et les villes plutôt qu’à la notion de désert médical.
FS : Si la téléconsultation est si importante comment se fait-il que l’on ne trouve pas vos cabines partout ?
FB : Jusqu’à cet épisode de Covid, la médecine était considérée comme un coût plutôt que comme un investissement. On a vu une recrudescence des commandes de nos cabines. On vient de vivre un moment historique où on va enfin réinvestir dans la santé. L’investissement dans la santé est primordial car une population qui est en bonne santé, c’est une population qui vit bien et travaille mieux. La technologie est nouvelle y compris pour les pouvoirs publics. Mais le changement arrive très vite avec des régions qui nous demandent d’équiper des départements entiers en collaboration avec le système de santé en place. Notre solution permet d’amener au-delà de la cabine, un projet de santé pour le territoire et qui comprend aussi la formation.
FS : Pourquoi un patient ne peut-il pas accéder au soin avec son smartphone ? Est-ce que permettre à un patient de consulter son médecin avec un simple smartphone, correspond à une vraie consultation médicale ?
FB : Je suis pour la démultiplication et la complémentarité des offres. On peut faire beaucoup de choses avec un smartphone, mais il ne permet pas de faire l’examen clinique tel que la cabine de télémédecine clinique H4D le permet. Le smartphone permet de prendre certaines mesures et de collecter des informations. C’est un bon outil de communication et d’échanges mais pas exemple il n’y a pas de stéthoscope ou d’autres instruments d’auscultation.. On ne peut donc pas traiter un patient qui se plaint d’une douleur à l’oreille. On ne peut pas l’ausculter. Le smartphone, permet cependant de donner un conseil, un avis médical. Dans le continuum médical, le smartphone n’intervient pas au même moment. Vous n’allez pas sur une autoroute avec vélo… Le smartphone est un outil de routage et complémentaire de la Consult Station®.
FS : Les règles en matière d’accès aux téléconsultations ont été considérablement assouplies ces dernières semaines notamment à cause ou grâce au COVID 19 ? Est-ce que votre Consult Station® permet un gain économique ?
FB : Si on pousse le modèle jusqu’au bout, le médecin pourrait ne plus avoir à payer les murs de son cabinet car l’empreinte physique d’une cabine est très faible. La cabine va pouvoir traiter 98% des pathologies médicales en médecine générale. Les seules choses que l’on ne peut pas faire sont la vaccination, la pose de plâtre et les urgences vitales. Et donc cela représente un gain de temps et d’efficacité.
FS : Beaucoup de gens critiquent en dedans comme en dehors notre système de santé ? Qu’est ce qui ne fonctionne pas en France ? J’ai envie de vous dire très directement : C’est quoi le problème ?
FB : Avant tout nous avons oublié de faire confiance au patient. La crise actuelle va surement permettre de remettre beaucoup de choses à plat. Pour les enjeux, j’en vois quatre : la première est la trop forte barrière entre le secteur public et le secteur privé, on l’a vu pendant la crise. On doit réintégrer le système privé dans le système de santé en reconsidérant l’interaction entre le privé et le public. En second lieu, il faut reconnecter la médecine de ville avec la médecine hospitalière. Les médecins de ville sont les premiers en contact avec les patients et il faut leur faire confiance. Le troisième enjeu est que la santé n’est pas un bien comme un autre. C’est un investissement sur le long terme au même titre que l’éducation car cela permet de se prémunir contre des risques. Il faut aussi intégrer la digitalisation de la médecine dans le dispositif de manière intelligente afin de compléter l’offre de soin.
FS : Vous avez beaucoup voyagé que diriez-vous du système de santé français par rapport à celui d’autres pays ?
FB : Notre système de santé marche bien, mais le système administratif et les grandes orientations politiques de santé sont à revoir. Un des éléments fondamentaux du système par rapport à d’autres pays, c'est la gratuité. Cependant, il faut apprendre à mieux le respecter car il ne faut pas croire que c’est gratuit. Les Français prennent beaucoup de médicaments pour pas grand-chose et ont une consommation de soins peut être plus importante car c’est gratuit. Il faut une prise de conscience que ce service a une valeur plus qu’un coût.
De plus en France, on a un autre avantage, c’est un accès assez équitable aux soins et une homogénéité de la formation.
FS : Votre entreprise vient de terminer une nouvelle levée de fonds de 15M€ pendant la période du Covid. Est-ce que c'est difficile d'être entrepreneur dans le domaine de la santé en France ?
FB : En France et pas que dans la santé, la rigidité du système économique et la complexité administrative rendent les choses très complexes pour un entrepreneur, a fortiori dans le domaine de la santé car il y a des normes spécifiques. Le système normatif démontre ses limites. La crise du Covid a mis en avant les opportunités dans la télémédecine et le digital et donc il va y avoir des fonds très importants dans ce secteur dont nous faisons partie. Nous avons 60 salariés qualifiés et ultra-motivés, et l’objectif est de capitaliser sur notre savoir-faire et notre savoir-être pour exporter la technologie, notamment aux USA.
FS : Le gouvernement a annoncé un grand plan santé " Le Ségur de la santé" afin de revaloriser les aidants, les soignants et surtout pour redonner des moyens et des budgets à notre système de santé. Que faut-il faire ?
FB : Avant tout ce qu’il ne faut pas faire c’est opposer les genres, public contre privé par exemple. Il faut surtout rendre le système plus efficace en donnant plus de place au soin et en simplifiant l’administratif qui tue le système. Une étude de l’OCDE a montré récemment qu’il y avait trop de personnel administratif par rapport aux soignants dans les hôpitaux français. Il faut revenir au bon sens et j’y tiens beaucoup !
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.