Le réchauffement climatique, "un leurre" ? L'escroquerie climatosceptique de François Gervais

Auteur(s)
François-Marie Bréon
Publié le 15 janvier 2019 - 13:29
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Un globe terrestre montrant le réchauffement climatique.
Crédits
©Witt/Sipa
"L'Urgence climatique est un leurre", clame François Gervais en titre de son dernier ouvrage.
©Witt/Sipa
Non, le réchauffement climatique n'est pas lié à l'activité de l'Homme, clame François Gervais dans son dernier ouvrage "L'Urgence climatique est un leurre". Sauf que le livre pseudo-scientifique de ce héraut des climatosceptiques en France est "truffé de bêtises voire de mensonges", décrypte pour France-Soir le climatologue François-Marie Bréon. Le chercheur parle même de danger: "François Gervais représente la science, il a un discours qui ressemble à de la science, il donne des références scientifiques. Tout cela peut abuser le public non averti".

François Gervais, professeur émérite à l'Université de Tours, cherche à devenir le porte-drapeau des climatosceptiques en France. Il a ainsi publié en fin d'année 2018 un nouvel ouvrage L'Urgence climatique est un leurre après celui publié en 2013 L'Innocence du carbone que j'avais eu l'occasion de critiquer (voir ici).

François Gervais cherche à se donner une crédibilité en rappelant à chacune de ses interventions qu'il a été "Expert Reviewer" pour le rapport AR5 du GIEC, publié en 2013.

Rappelons le processus: l'élaboration d'un rapport du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, organe créé par l'ONU) passe par deux versions préliminaires qui sont diffusées pour commentaires à un ensemble d'Expert Reviewers. Ces experts font donc des commentaires, et les auteurs doivent répondre à chacun d'entre eux. La prise en compte, ou non, des commentaires est de la responsabilité des auteurs mais ils doivent justifier cette décision auprès des "Review Editors" qui contrôlent le processus.

Pour être Expert Reviewer, il suffit d'en faire la demande et d'avoir un bagage scientifique dans n'importe quel domaine. Ce n'est donc pas une preuve de compétence particulière dans les sciences du climat. Auteur du rapport AR5, j'ai vu passer les commentaires de François Gervais qui ont été analysés comme les autres et jugés non pertinents.

"François Gervais représente la science, il a un discours qui (...) peut abuser le public non averti"

Malheureusement, François Gervais n'a pas beaucoup progressé en cinq ans dans sa compréhension de l'effet de serre, du climat, ou du fonctionnement du GIEC. Autre hypothèse, il a progressé mais, pour défendre sa thèse que le CO2 a une influence mineure sur le réchauffement climatique passé et à venir auprès d'un public qui n'attend que ça, il s'oblige à des raisonnements qui sont très facilement démentis par tous ceux qui ont une connaissance approfondie du sujet.

Et c'est bien le problème, François Gervais représente la science, il a un discours qui ressemble à de la science, il donne des références scientifiques. Tout cela peut abuser le public non averti. Son livre, L'Urgence climatique est un leurre, est truffé de bêtises voire de mensonges. Mais démontrer que c'est un mensonge ou une bêtise nécessite une explication longue, en faisant appel à des concepts qui ne sont pas accessibles à tout public. On prend donc le risque de retomber dans le "parole contre parole" donnant l'impression qu'il y a débat sur l'origine anthropique du changement climatique.

Nous allons tout de même nous lancer dans cet exercice périlleux.

En page 79-80, l'auteur décrit ce qu'il a compris de l'effet de serre. Il explique alors que l'impact maximal du phénomène devrait être observé dans la basse stratosphère, niveau pour lequel on dispose d'observations satellitaires. Et il montre une figure qui n'indique aucune évolution significative de la température. François Gervais n'a t-il pas compris ou cherche t-il à tromper son lecteur?

Les modèles de climat prévoient que, avec l'augmentation du CO2, la troposphère doit se réchauffer alors que la stratosphère doit se refroidir. Si on cherche une signature de réchauffement liée à l'augmentation de l'effet de serre, ce n'est certainement pas dans la stratosphère qu'il faut aller regarder. Le lecteur curieux pourra voir sur le site du REMSS (lien: http://www.remss.com/research/climate/), lié à l'équipe qui a généré les observations utilisées par l'auteur, une comparaison entre modèles et observations à ce niveau d'atmosphère. On ne peut certainement pas en tirer la conclusion de François Gervais.

Au passage, et c'est juste un détail qui confirme le peu de connaissance de l'auteur, RSS et UAH qui sont cités page 80 ne sont pas des satellites mais des groupes de recherche ("Remote Sensing Systems" et "University of Alabama in Huntsville") qui produisent les données à partir des observations de radiomètres micro-ondes des satellites des agences NOAA et NASA.

Dans son livre, à plusieurs reprises, l'auteur discute la "sensibilité climatique". Par définition, il s'agit de l'augmentation de température attendue pour le doublement de la concentration de CO2 dans l'atmosphère. Il affirme d'une part que les évaluations du GIEC sont très largement surestimées et d'autre part que les estimations publiées sont de plus en plus faibles.

Ce dernier point est obtenu en agrégeant à des études sérieuses, qui ont été publiées dans des journaux scientifiques de bon niveau, un bon nombre d'estimations farfelues faites récemment par une petite communauté de climatosceptiques à laquelle appartient l'auteur. Si on se restreint aux estimations sérieuses, il n'y a absolument pas la tendance affirmée par l'auteur (voir ici) et il est même remarquable que les estimations faites aujourd'hui sont du même ordre de grandeur que celles obtenues il y a une trentaine d'années avec des connaissances et des moyens sans comparaison avec ceux d'aujourd'hui.

Plusieurs méthodes indépendantes sont utilisées pour estimer la sensibilité climatique, sur la base de modèles de climat, sur l'analyse du réchauffement du dernier siècle, ou sur l'analyse des climats plus anciens. Les résultats de ces méthodes ne sont absolument pas en accord avec l'estimation de 0,6 degré de hausse des températures affirmée par François Gervais à plusieurs reprises dans son ouvrage. On peut d'ailleurs se demander comment il soutient une valeur si faible alors que le réchauffement observé est déjà bien supérieur à 0,6 degrés. Et ce alors même qu’on est très loin d'avoir doublé le niveau de CO2 dans l'air.

Pour François Gervais, le réchauffement climatique déjà observé n'est pas généré par l’augmentation du CO2 atmosphérique mais est lié à des cycles, et en particulier à un cycle de 60 ans qui pourrait être entretenu par l'orbite des planètes géantes autour du soleil. Curieusement, personne n'a réussi à donner une description quantitative du phénomène ou à observer un tel cycle sur le soleil.

Dans son livre de 2013, et aussi dans une publication datée de 2014, François Gervais prétend pourtant pouvoir expliquer les variations temporelles de la température moyenne globale avec un cycle de 60 ans, additionné à une tendance de 0,6 degré par siècle qui n'est pas expliquée. Puisqu’on dispose de cinq années de mesure supplémentaires, il est intéressant de voir comment son "modèle" se confronte à la réalité (voir figure ci-dessous). On a donc repris exactement les mêmes mesures (données HadCrut4, générées par l'Université de East Anglia).

Le modèle de François Gervais annonçait une diminution significative des températures... mais, en pratique, on a eu une augmentation assez rapide ces dernières années. Clairement, il est plus facile d'ajuster une vague courbe sur des données existantes que de faire une prédiction fiable. Ce simple fait devrait pousser l'auteur à un peu de modestie lorsqu'il critique la capacité des modèles de climat à prédire l'évolution des températures.

Et c'est là dessus que j'aimerais terminer l'analyse de ce livre. Rappelons que les climatologues annoncent une hausse des températures depuis la fin des années 1970. En outre, depuis 40 ans, celle-ci est conforme à ce qui était attendu. Il serait temps que les François Gervais et (quelques) autres climatosceptiques qui gravitent avec lui reconnaissent ce simple fait plutôt que d'aller chercher les quelques détails qui semblent montrer les limites des modèles de climat.

Il faudrait aussi que l'auteur arrête de faire un amalgame malsain entre ce qui est écrit par le GIEC dans ses rapports et les extrapolations parfois douteuses de certaines ONG, journalistes ou hommes politiques. Oui, il y a des incertitudes sur l'ampleur du changement climatique à venir et ses impacts, mais il est ridicule de vouloir contester le processus de l'effet de serre et le rôle premier du CO2 dans l'augmentation des températures constatées depuis les années 1970.

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