Rosetta et Philae : "une véritable révolution" pour Jean-Pierre Bibring

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Propos recueillis par Victor Lefebvre
Publié le 10 novembre 2015 - 16:46
Mis à jour le 11 novembre 2015 - 13:28
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L'astrophysicien Jean-Pierre Bibring.
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Selon Jean-Pierre Bibring, "des générations de jeunes scientifiques" auront à se pencher sur les découvertes de Rosetta et Philae
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Le 12 novembre 2014, le robot Philae largué par Rosetta se posait tant bien que mal sur la comète "Tchouri". Un an après cet exploit, Jean-Pierre Bibring, responsable scientifique de Philae, revient sur le travail déjà effectué et celui encore à faire. Un travail qui pourrait éclairer l'humanité sur les origines de la vie dans le système solaire.

Ce jeudi 12 novembre marque le premier anniversaire du largage du robot Philae par la sonde Rosetta sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Une première dans l'histoire de l'exploration du système solaire. A cette occasion, Jean-Pierre Bibring, astrophysicien et responsable scientifique de Philae, revient pour FranceSoir sur  les découvertes que la mission Rosetta a permises, et celles qui sont encore attendues sur les origines du système solaire et l'émergence de la vie.

Quel regard portez-vous sur le 12 novembre 2014 et l'année écoulée?

"Pour ce qui est du 12 novembre, ça a été à la fois un aboutissement et un démarrage. Cela faisait plus de 20 ans que nous attendions ce moment. Nous savions que ce serait très périlleux de se poser sur un objet qu'on ne connaissait pas du tout. Donc ce qui ressort avant tout, c’est que nous sommes parvenus, grâce à la convergence d’efforts de nombreuses équipes, à poser pour la première fois un engin bardé d’instruments très performants sur le noyau d’une comète.

"Cela constitue certainement une étape importante dans l’exploration spatiale du système solaire, en ce que cet objet nous offre de déchiffrer des clés essentielles quant aux processus et aux ingrédients qui ont marqué la formation et l’évolution des planètes. C’est pourquoi c’est aussi un démarrage: celui de la phase d’exploitation des données déjà recueillies. Nous sommes loin d’avoir tout accompli! En parallèle, nous préparons ce que nous espérons être la suite des opérations proprement scientifiques de Philae. Toutes les expériences prévues n’ont pu être réalisées, en raison de la manière dont il s’est posé".

Quelle est la situation de Philae et espérez-vous renouer le contact?

"Posé de manière acrobatique, avec un pied en l’air, Philae n’a pu recevoir sur ses panneaux solaires latéraux l’énergie nécessaire à le maintenir allumé. Il s'est éteint et sa température est descendue très en dessous de celle (-65°C) à laquelle nous étions certains qu’il pourrait survivre sans difficulté. Il y avait donc un grand risque qu’il ne puisse se réveiller.

"En juin/juillet derniers, parce que la comète se rapprochait du Soleil, l’énergie à bord s’est accrue au point de permettre à Philae de répondre aux signaux que nous lui avons envoyés: tout n’était pas perdu! Mais nous ne sommes pas parvenus à établir des contacts réguliers et suffisamment longs pour allumer nos instruments scientifiques.

"Pendant l’été, la comète était au plus près du Soleil devenue active, elle dégazait beaucoup de gaz et des grains, qui ont forcé Rosetta à s’éloigner de la surface. Trop pour pouvoir communiquer avec Philae. Une situation plus favorable se présente à nouveau à partir de maintenant, avec des distances de l’ordre de 200 km, voisines de celles de Juin/Juillet.

"Cet été, nous avons cherché à établir l’état de chacun des systèmes, pour n’utiliser maintenant que les moins fragilisés. Nous devrions ainsi rétablir le contact dans de meilleures conditions, dans les semaines, peut-être les jours qui viennent, peut-être même pour le jour anniversaire du 12 novembre! Cela pour ensuite entamer la phase d’opérations scientifiques. Mais il demeure une grande part de risque et d’inconnu: par exemple, du matériau sombre, carboné, peut s’être déposé sur les panneaux et bloquer le rayonnement solaire".

Que nous a déjà appris la mission?

"La mission se révèle déjà très riche de découvertes. L'idée qu'on se faisait d'un noyau cométaire ne correspond pas à la réalité telle qu’elle se révèle. Les mesures et observations renforcent la possibilité que de tels objets aient joué un rôle important dans l'évolution du système solaire, en particulier en ce qui concerne la question de l’émergence de la vie.

"La matrice du noyau cométaire, peu dense et très poreuse, semble être faite non pas de glace, mais de grains carbonés dans lesquels sont piégés des grains de glace, des minéraux et une grande variété de molécules, à base de carbone, d’azote et de soufre, dont certaines ont été détectées et caractérisées par Philae. De tels grains carbonés peuvent avoir percé plus aisément que des grains de glace l’atmosphère primitive de la Terre et d’autres planètes pour y ensemencer les océans, et peut-être y jouer le rôle de chaînon manquant vers des structures vivantes… Reste à déterminer la composition de ces grains carbonés, à comprendre la chimie qui a prévalu à leur formation, et tenter de savoir si elle est spécifique à notre système solaire, ou générique dans l’Univers. Tout cela, Philae a la capacité de contribuer à y répondre… à condition qu’il recommence à travailler!"

A quelle échelle de temps l'héritage de Rosetta et Philae servira aux scientifiques?

"Le dépouillement et les échanges de données se font presque en temps réel: de nombreux résultats ont déjà été acquis, et interprétés. En parallèle, l’acquisition de nouvelles données se poursuit, encore pour une année pour Rosetta, et plusieurs semaines -nous l’espérons- pour Philae. Il faudra non pas des mois mais des années pour tirer le meilleur parti de cet ensemble de résultats. D’autant que nous n’en aurons pas d’équivalent avant plusieurs décennies. Des générations de jeunes scientifiques pourront s’en emparer.

"Nous sommes toujours dans une première phase de l’exploration spatiale du système solaire, démarrée il y a quelques décennies. Cette mission va marquer cette exploration comme les premières épopées lunaires ou martiennes. Une véritable révolution est en train de s’opérer, quant à la vision de la place de la Terre, dans son histoire et sa géographie. De la vision d’une Terre somme toute assez banale –où la vie était conçue comme largement répandue dans l’Univers- se forge une toute autre conception, basée sur l’extrême spécificité des conditions qui ont conduit à la diversité des chemins d’évolution planétaire… Dans quelle mesure les processus et ingrédients qui ont permis à la vie d’émerger sur Terre, puis de s’y adapter au gré de son évolution, sont-ils spécifiques ou génériques? Rosetta nous offre des clés pour répondre à ce type d’interrogation".

Quels peuvent être les prochains projets pour en savoir plus sur les origines du système solaire et de la vie?

"Aucune mission cométaire visant à prolonger Rosetta n’est actuellement en chantier. L’étape suivante pourrait consister à se poser sur un noyau cométaire, à y prélever quelques kilogrammes d’échantillons et à les rapporter sur Terre pour y être analysés: personne aujourd’hui ne l’a encore décidé. En revanche, d’autres missions d’exploration de +petits  corps+, sont soit à l’étude, soit en développement. La sonde japonaise Hayabusa-2 est déjà partie à la rencontre d'un astéroïde sur lequel un petit module fait par les Allemands et les Français va se poser en 2018, principalement pour y analyser la matière carbonée. Quoique de moindre envergure que Philae, elle emporte des instruments très sensibles. Cette mission aura la possibilité de rapporter des échantillons sur Terre trois ans plus tard. D'autres projets similaires sont à l’étude pour le retour d'échantillons des lunes de Mars, Phobos et Déimos, voire d'astéroïdes troyens autour de Jupiter.

"L'autre grand pôle d’intérêt concerne la possibilité que de l'eau ait été stable sur certains objets, et que des composés carbonés y soient venus pour évoluer vers du vivant. L'une des cibles privilégiée est Mars, pour laquelle de grands projets existent. Nous avons identifié à la surface de Mars des terrains qui ont préservé les conditions qui prévalaient juste après sa formation, où l'eau était stable à l'état liquide pendant des centaines de millions d'années. On peut envisager de s'y poser pour rechercher si la vie aurait pu démarrer ailleurs que sur Terre: sur Mars.

"A plus lointaine échéance, il y a l'idée de trouver des situations équivalentes sur d'autres objets du système solaire, notamment sur les satellites glacés des planètes géantes et en particulier Europe et Ganymède (deux lunes de Jupiter, NDLR). Une mission de l'ESA, Juice, va principalement partir les explorer. Au total, pour les 20 ou 30 prochaines années, d’importants jalons ont déjà été mis pour enrichir notre patrimoine sur la compréhension de ce qui a pu mener à l'apparition de la vie sur Terre".

 

 

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