Débarquement de Provence du 15 août 1944 : lorsque la "ligne bleue" était rouge sang
MÉMOIRE - Il y a 79 ans, du 14 au 15 août, l'aviation alliée de la Task Force 88 pilonne les côtes varoises afin de préparer le débarquement en Provence. Il s'agit de diminuer le plus possible les défenses allemandes terrestres (blockhaus, canons, mines...) afin de préparer l'arrivée de plus de 300.000 combattants sur les plages de sable ou de galets. Dans l'arrière-pays varois, 10.000 parachutistes sont envoyés afin de court-circuiter l'arrivée de tout renfort allemand.
Des Maures aux roches rouges
L'opération Dragoon a pour premier objectif, entre les massifs des Maures, de l'Estérel et le littoral, d'occuper une position stratégique de laquelle il est possible de lancer une attaque pour libérer rapidement Toulon et de Marseille. Ces deux ports, indispensables afin de procéder au ravitaillement des troupes et à la continuité de l'offensive, doivent être repris à l'ennemi pour faire sauter le verrou du sillon rhodanien. Cette étape rend alors envisageable, avec comme leitmotiv la destruction de la 19e armée allemande disposée dans le Sud-Est de la France, l'accomplissement d'un deuxième objectif : atteindre Lyon, puis le nord-est de l'Hexagone.
C'est chose faite le 3 septembre 1944. Les troupes du général Alexander Patch, qui commande la Force Garbo, l'une des forces du débarquement de Provence, composée de la 7e armée américaine, rejoignent celles de Patton débarquées en Normandie deux mois auparavant.
Si l'opération Overlord bénéficie de rappels fréquents dans la culture populaire, avec par exemple le film "Le jour le plus long" (1962), le débarquement de Provence est quant à lui quelque peu oublié. Son importance se trouve de ce fait négligée par la mémoire collective. Pourtant, son rôle est crucial.
Les forces ennemies sont ancrées sur des positions terrestres et peuvent être défendues avec acharnement. L'adversaire reste redoutable et a des chances d'emporter des engagements. Prendre à revers les nazis, former une "enclume" ("Anvil" en anglais, du premier nom retenu de l'opération Dragoon), doit nécessairement être fait pour écraser les Allemands, après avoir projeté contre eux le "marteau" Overlord.
L'opération est d'ampleur. Elle dispose de moyens matériels qui peuvent rivaliser avec le déploiement en Normandie. Associée à la Kodak Force, qui se compose de trois divisions de la 7e armée des États-Unis, l'armée française représente un peu moins de 70% des effectifs avec 7 divisions régulières dont deux blindées et cinq d'infanterie.
Deux groupes de tabors marocains se joignent aux combats, mais aussi des régiments de tirailleurs algériens et tunisiens ou d'autres combattants issus de l'Afrique subsaharienne (ces derniers représentent 50% des forces françaises issues de l'étranger, qui elles-mêmes forment la moitié des effectifs totaux). D'autres FFI (Forces Françaises de l'intérieur) vont aussi se battre contre l'occupant.
La future 1ère armée française, dite "B", est commandée par le général de Lattre de Tassigny. Compagnon de la Libération, élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume, il mène une campagne victorieuse. Il est l'unique général français à avoir commandé des divisions américaines de premier plan.
Le débarquement de Provence à Sainte-Maxime (Var)
Au matin du 15 août, à Sainte-Maxime, commune du bord de mer varois, les forces alliées débarquent sur les plages dites de la Nartelle - de la Garonnette - et de la Croisette. Ce secteur, baptisé "Delta", est l'objectif confié à la Kodak Force, dirigée par le général Lucian Truscott. Sur place, les opérations sont menées par le major général William W. Eagles. La 1ère Division Blindée française DB) se joint aux combats avec le général Touzet du Vigier.
Les Landing Ship Infantry (LSI) émergent d'un immense nuage de brouillard artificiel (1). Après avoir gagné la côte le plus rapidement possible, ces navires qui contiennent les troupes d'infanterie déploient leurs passerelles. Les soldats n'ont pas pour autant atteint la terre ferme, certains doivent encore marcher dans l'eau avec leur lourd équipement.
Les opérations se mènent dans un ordre mille fois répété : débarquement des véhicules, déminage des zones, déroulage de toile de jute puis de grillage et de tôle afin de faciliter le débarquement des hommes, de l'armement et des "DUCKS" (DUKW) : les "canards", des camions amphibies. Les Landing Ship Tank (LST) suivent, dont la tâche est d'apporter au front les tanks de combats.
Les premières batteries anti-aériennes sont déployées, les premiers postes de secours médicaux sont installés. Retranchées derrière le clocher de l'Église, les troupes allemandes locales se rendent avec un drapeau-blanc improvisé avec un balai fait de feuilles de palmier.
Nous sommes bien sur la Côté d'Azur, sur cette ligne bleue - nommée la blue line par les forces alliées - de Cannes au Lavandou. Elle est aussi rouge sang avec 1.500 morts au sein des troupes alliées, britanniques, canadiennes, américaines, françaises et africaines. Plus de 12.000 blessés ou disparus s'ajoutent au bilan.
La ville de Sainte-Maxime est libérée le 15 août 44, au soir. Le débarquement de Provence se poursuit jusqu'à la mi-septembre. Au total, un demi-million de militaires se sont engagés dans sa réalisation, victorieuse. Le 23 octobre de la même année, le Préfet signe un arrêt qui nomme une délégation spéciale afin de remplacer l'Assemblée municipale maximoise déchue. Jusqu'aux élections suivantes, elle administre les intérêts de la ville.
Cérémonie et défilé de véhicules militaires
Ce 15 août 2023 à 11 heures, une cérémonie "patriotique et commémorative" a été organisée par la mairie de Sainte-Maxime sur la promenade Simon-Lorière, qui jouxte le port de la ville, jadis dynamité par les Allemands durant le mois de juin 1944.
En la présence notable du général de division (2S) Arnaud Rives, du Capitaine de corvette Benjamin Click, attaché naval adjoint attaché à l'Ambassade des États-Unis à Paris et de ses homologues britannique et canadien, un discours en hommage à l'intervention des forces alliées et de la résistance française a été tenu par le maire Vincent Morisse.
Ce dernier a laissé les enfants Maximois présents à la cérémonie fleurir d'une couronne la Borne n°1 de la "voie libératrice", une stèle édifiée en mémoire de la lutte contre l'occupant allemand et de ses victimes. Les porte-drapeaux ont effectué la montée des couleurs des nations alliées : France, États-Unis, Grande-Bretagne et Canada, avant qu'un orchestre joue leurs hymnes nationaux respectifs.
Un traditionnel défilé des véhicules militaires sur l'Avenue Charles de Gaulle s'est ensuite déroulé devant une foule nombreuse, dans une ambiance populaire. Des engins militaires (dont un tank, des Jeep et des motos, voir photographies et vidéo ci-dessous) ou des voitures typiques de celles utilisées à l'époque par les FFI, particulièrement bien entretenus, ont fait revivre, d'une autre façon, les souvenirs d'une histoire qui a laissé dans la région une marque silencieuse mais bien présente.
Note :
(1) D'après les sources de Jean-Daniel de Germond, qui fut historien local et conservateur du musée de la Tour Carrée, auteur de "Histoire et histoires... de Sainte-Maxime", édité à compte d'auteur, 2002.
(2) Visuels : Gilles Gianni
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