Carburant : comment les Français ont provoqué eux-même la pénurie d'essence
"Pénurie de carburant", "psychose dans les stations-service", titrent tous les journaux depuis quelques jours. Terrifiés par ces titres alarmistes, des automobilistes vivant pourtant dans des territoires non concernés par les blocus et les grèves des dépôts et les raffineries, se sont rués dans les stations essence par pure précaution, créant eux-mêmes la pénurie, phénomène que les économistes qualifient de "prophétie auto-réalisatrice".
Mardi 24, dans le Grand Ouest, une station sur cinq était en rupture de stock et le gazole manquait à de nombreuses pompes. Et, à mesure que les stations étaient réapprovisionnées, les voitures arrivaient en masse. "Ce qui pose problème, c’est surtout le comportement des usagers qui font du stock malgré les arrêtés limitant le ravitaillement", explique la préfecture de la région Bretagne à Libération. Et en Ile-et-Vilaine, malgré le bon fonctionnement des dépôts, de nombreuses stations-service rencontrent des difficultés en raison du "comportement des consommateurs qui complètent systématiquement les réservoirs de leurs véhicules dès lors qu'ils ont connaissance qu'une station-service est réalimentée", indique la préfecture dans un communiqué. Cela entraîne de fait "un assèchement rapide des quantités stockées par les stations-service car les consommations sont supérieures, et parfois très supérieures à la normale." La préfecture demande donc aux automobilistes à ne pas procéder à des "approvisionnements de précaution qui créent artificiellement des ruptures dans la délivrance des carburants", alors que le gouvernement appelle depuis plusieurs jours les Français à ne pas céder à la panique.
"La panique est jamais bonne conseillère, c'est d'ailleurs dans les endroits où on a rationné qu'on en a le plus consommé", rappelle le secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies tandis que Manuel Valls demande "à chacun à ne pas être dans cette position alarmiste qui vise au fond à faire peur".
Sur les réseaux sociaux, les internautes se moquent de ces Français psychotiques qui se ruent comme un seul homme sur les stations essence.
Comment créer une panique et une pénurie qui n'existaient pas bravo à la presse @laprovence @ThierryAgnello #essence
— DD Fournel (@DDFournel) 23 mai 2016
Tous les gens qui suivent les medias, c'est vous qui la créez cette #penuriecarburant. Si tout le monde faisait comme d'hab...
— Tempête. (@bergequentin) 23 mai 2016
Attention, c'est la pénurie. Lol. pic.twitter.com/wjGnVC2AZ2
— ArDub57 (@ArDub57) 24 mai 2016
Mais ce phénomène de prophétie auto-réalisatrice qui consiste à anticiper quelque chose pour que cela arrive n'est pas nouveau. Il a été théorisé par l'économiste américain Robert Merton en 1948 et les exemples du genre sont légion dans le monde de la finance. Dans un article De Pygmalion aux prophéties auto-réalisatrice, le maître de conférence André Demailly raconte l'histoire d'une banque américaine en bonne santé financière. Si à cause d'une crise de confiance, tous les clients se mettent à retirer leur épargne le même jour, ils mènent l'établissement à la faillite. "En prédisant en son for intérieur, la faillite, et en agissant par prudence, chacun d’eux participe à un mouvement collectif catastrophique pour tous", explique-t-il. Selon lui ces prophéties ont tendance à "foisonner en période de crise", en même temps que se perçoivent les "insuffisances d'institutions dépassées". Son exemple prend vie en 2007, quand en pleine crise des subprimes, la banque Northern Rock au Royaume-Uni reçoit une aide de la Banque d'Angleterre pour faire face à ses échéances. Craignant que l'établissement fasse faillite, les clients se ruent au guichets pour retirer leurs économies. La banque se retrouve ruinée. Elle sera finalement nationalisée en février 2008. En 2011, en Grèce, une majorité d'investisseurs est persuadée que le pays est au bord du gouffre. L'Etat doit alors payer plus cher pour emprunter à nouveau. L'Europe, le FMI et la BCE sauvent de justesse Athènes de la faillite.
Mais, comme explique le Huffington Post, il peut suffir d'une action symbolique pour mettre un terme à la psychose. "Quand Mario Draghi, le patron de la BCE, assure en juillet 2012 qu'il défendra l'euro +quel qu'en soit le prix+, il a mis fin d'un coup aux spéculations sur la dette publique des Etats membres. Les marchés ont intégré aussitôt qu'une disparition de l'euro était improbable", rappelle le site d'actualités. Bien évidement, la méthode Coue ne marche pas toujours. Preuve en est avec le "ça va mieux" de François Hollande, auquel 86% des Français ne croient pas.
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