L'ISF va devenir l'IFI : derrière la polémique sur les lingots et les yachts, les vrais enjeux... et les exagérations politiques

Auteur(s)
Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 06 octobre 2017 - 13:51
Mis à jour le 08 octobre 2017 - 11:58
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Un formulaire d'Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), le 15 octobre 2016
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© DAMIEN MEYER / AFP/Archives
Il ne s'agit pas d'une évolution d'un impôt mais d'une suppression pure et simple de fiscalité.
© DAMIEN MEYER / AFP/Archives
La transformation de l'ISF en Impôt sur la fortune immobilière (IFI) fait couler beaucoup d'encre. En ne prenant en compte que l'immobilier au détriment de certaines valeurs mobilières dite "de luxe", l'exécutif envoie un signal malgré le montant dérisoire que représente les bien concernés, le tout occultant la vraie dimension de cette évolution fiscale. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" les enjeux politiques de cette réforme.

Même le contribuable distrait et un peu éloigné de l'actualité l'a perçu et compris, ce budget pour 2018 sera celui des surprises et la bataille parlementaire va être sérieuse. D'un côté, il y a le contenu du projet du gouvernement avec notamment la flat-tax à 30% (PFU: prélèvement forfaitaire unique) qui soulage l'épargnant et "en même temps" l'aggravation de la fiscalité sur l'épargne salariale et sur le PEA. D'un autre côté, il va y avoir la réforme chronophage de l'impôt sur le patrimoine. S'il est clair que l'abrogation de l'actuel ISF va être votée sans grande difficulté, il en va autrement de la création de l'IFI (impôt sur la fortune immobilière) puisque plusieurs députés de la majorité présidentielle (LREM et Modem) n'ont pas tous la même approche.

Au Modem, certains s'offusquent clairement de l'effet d'aubaine qui va bénéficier aux gros patrimoines soit environ 7.000 personnes détenant plus de 10 millions d'actifs imposables sous l'ISF actuel. Effectivement, avec la réforme Macron, de grandes fortunes vont tirer, de facto, leurs marrons du feu. Un contribuable disposant de 20 millions d'euros peut tabler sur une économie d'impôt de 400.000 euros. A minima. Il y aura donc une pluie d'amendements sur ce sujet car les parlementaires seront au moins autant en quête de visibilité personnelle et de reconnaissance médiatique que de quête de justice fiscale et sociale. Cette pluie viendra des nuages de colère des députés de La France insoumise comme des Républicains mais aussi des nuages d'incompréhension ressentie par une large frange de députés LREM.

Le ministre Le Maire a été catégorique, il est exclu de dénaturer le futur IFI par des ajouts de fiscalisation de sujets ne relevant pas de l'immobilier. En revanche, il a clairement ouvert la porte à des amendements visant à alourdir la fiscalité sur les signes ostentatoires de richesse. Ceux-ci sont souvent taxés lors d'une revente (lingots d'or, etc.), ils pourraient à l'avenir relever d'une fiscalité frappant la détention même de l'objet (voitures de luxe, yachts, etc.). Cela étant, les ministres Le Maire et Darmanin sont ici de surprenants défenseurs des intérêts de l'Etat car ils savent pertinemment que les chiffres bruts sont dérisoires. Ainsi, on parle de moins de 30 yachts sous pavillon français, les autres étant depuis bien longtemps immatriculés dans des pays à la fiscalité dite "friendly-flagship". De même, plus de 75% des automobiles de forte cylindrée sont en fait la propriété d'entreprises. Il est donc vraisemblable que soit voté un alourdissement de la TVS (taxe sur les véhicules de société) ou la réintroduction de la vignette automobile au-delà de 18 chevaux fiscaux. Voire les deux!

Au global, le passage de l'ISF (rendement de 5 milliards) à l'IFI (850 millions) induit un significatif manque à gagner et les taxes sur les montres, les lingots et le reste du même acabit ne rapporteront pas plus de 250 millions. Ceci ne calmera pas le dégoût populaire qui frappe déjà cette réforme et colle à Emmanuel Macron l'étiquette de "président des riches". Autrement dit, la volonté de taxer les biens dits de luxe ne constituera pas  une nouvelle intéressante côté finances publiques et sera cantonnée à un rôle assez médiocre de posture pure et dure. En effet, les voitures taxées en 2018 pourront toujours changer d'immatriculation (Pologne, Lettonie, Liban, etc.) après et éviter l'impôt.

Sur le fond ce débat sur l'imposition du patrimoine est un pari économique car rien ne dit que le capital moins taxé n'ira pas s'investir ailleurs. L'idée (qui n'a pas le statut de théorie) du ruissellement reste à démontrer et seuls les tenants de Hayek ou de Milton Friedman sont convaincus mordicus que plus de riches dans une société permet de contenir voire de réduire la pauvreté.

Toujours sur le fond, cette apparition de l'IFI donne lieu à des saillies verbales déplacées voire assez choquantes. Je songe ici aux propos tenus par Valérie Rabault (députée Nouvelle gauche du Tarn et Garonne et ancienne rapporteure du budget) qui, oubliant qu'elle a activement participé à la confection d'un budget pour 2017 partiellement qualifié d'insincère par la Cour des comptes (sous-budgétisations notoires), s'est répandue dans les médias en ravivant la notion de bouclier fiscal voté du temps de Nicolas Sarkozy. Ingénieure de formation, cette députée est assez compétente pour savoir que l'IFI n'a rien à voir avec le mécanisme du bouclier fiscal. Dans celui-ci, l'impôt était calculé et payé dans un premier temps. Une restitution pour trop-perçu ("un chèque" du Trésor public) étant émis en faveur des contribuables considérés comme surfiscalisés.

Ce n'est nullement l'esprit de la réforme Macron qui ne crée pas un aller-retour entre le contribuable et le Trésor public mais qui supprime purement et simplement un impôt. Il est donc faux et abusif de dire que cette réforme représente quatre fois le montant du bouclier fiscal de 2007. L'honnêteté intellectuelle aurait, de surcroît, pu conduire à actualiser les montants de 2007 mais Valérie Rabault, déçue comme son amie Karine Berger de n'avoir pas été hissée au rang de ministre par François Hollande a désormais –même ses propos publics en attestent– une revanche à prendre sur la vie. Peut-être devrait-elle comprendre que voir plus de 280 députés socialistes battus en 2017 est un vrai signal envoyé par les Français?

Dans le même groupe parlementaire (ex-socialistes, donc) je recommande bien davantage d'écouter les arguments développés par Boris Vallaud, filleul politique de feu Henri Emmanuelli dans les Landes. Pour reprendre le célèbre mot de Jack Lang, "on passe de la nuit à la lumière". Je suis convaincu que ces futures interventions à l'Assemblée seront cohérentes et incisives car nous savons tous que cette réforme ISF/IFI est excessive.

Pour ma part, après analyse, je considère qu'il pouvait être pertinent de créer l'IFI à condition d'éviter qu'il n'impose davantage les couples mariés par rapport aux concubins non déclarés. Il a existé –des avocats de renom le confirment– des divorces pour que des couples disposant de deux millions et demi d'euros ne soient plus imposables à l'ISF lorsque pris séparément.

Parallèlement, il me semble opportun de maintenir un ISF en pente modérée à compter du seuil d'un million d'euros de détention de valeurs mobilières. Puis de prévoir un dégrèvement si le contribuable effectue des investissements dans des entreprises relevant d'une liste établie par la BPI. Cela aurait évité les investissements loufoques dans des PME uniquement créées pour éluder l'ISF et cela aurait surtout donné une cohérence planificatrice au fléchage des flux financiers privés vers le secteur productif. Le "track-record" (l'historique des performances) de la BPI habilement managé par Nicolas Dufourcq représente d'évidence un pré-gage de succès.

Le président Macron est finalement plus le président des riches et le président d'une sorte d'immense niche fiscale bien davantage qu'un homme d'Etat en mesure de doter la sphère publique d'instruments modernes de pilotage compatibles avec une société de liberté.

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