Les "accords" entre le fisc et les contribuables : pragmatisme ou renoncement ?

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 28 juin 2019 - 17:25
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Les arrangements fiscaux avec les contribuables permettent d'éviter la case "justice", très incertaine.
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L'actualité économique est régulièrement rythmée par les nouvelles d'une transaction fiscale ayant permis à un (riche) contribuable d'économiser une partie des pénalités que l'administration fiscale avait exigée. Si la démarche peut apparaître choquante en apparence, elle permet au Trésor public de récupérer des sommes sans prendre le risque de tout perdre au tribunal, sur fond de cadre juridique complexe et incertain. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

Les médias nous apprennent périodiquement que l’administration fiscale a notifié un redressement considérable à une entreprise ou à un ménage puis un peu plus tard qu’elle a passé un "accord" avec ce contribuable conduisant à réduire fortement les impôts et pénalités réclamés.

Ces accords, dont les formes sont diverses, expliquent pour partie l’écart très important entre les redressements et pénalités notifiés aux contribuables (18,5 milliards d'euros) et les recettes encaissées par l’Etat à la suite de contrôles fiscaux (10 milliards d'euros). Ils sont néanmoins utiles parce que les redressements initiaux sont souvent insuffisamment justifiés et parce qu’un compromis avec le contribuable est alors préférable, d’un point de vue budgétaire, à une annulation par un tribunal. S’ils relèvent donc plus du pragmatisme que du renoncement, les conditions dans lesquelles ces accords sont passés pourraient être mieux encadrées.

> Le grand écart entre les redressements notifiés et les encaissements

Les procédures fiscales sont longues et jalonnées d’étapes permettant aux contribuables de se défendre. Lorsque les médias parlent d’un redressement imposé à un contribuable, on ne sait pas toujours à quelle étape en est la procédure.

S’il s’agit d’une "proposition de rectification", il est usuel et normal que le montant des redressements "proposés" par l’administration soit réduit, voire annulé, car cette proposition a pour objet de permettre formellement à l’administration d’exposer ces griefs, et elle a souvent tendance à les exagérer, et au contribuable de se défendre. Celui-ci peut notamment démontrer que ces griefs sont factuellement infondés en mettant en avant des informations que l’administration ne connaissait pas.

A l’issue de cette phase contradictoire, les services fiscaux notifient des droits (montant des impôts éludés) et des pénalités (majorations, amendes et intérêts de retard) qui se sont élevés en moyenne à 18,5 milliards d'euros par an sur les années 2012 à 2018. On pourrait imaginer que ces montants sont totalement justifiés et qu’il suffit ensuite aux comptables publics de les encaisser.

Le ministère des Finances diffuse les montants réellement encaissés à la suite de contrôles fiscaux seulement depuis 2012: en moyenne, ils se sont limités à 10 milliards d'euros sur les années 2012 à 2018. Il entretient encore un très grand flou sur les raisons de cet écart, en partie parce que ses systèmes d’information ne lui permettent pas de l’expliquer correctement.

Une partie de cet écart résulte de créances fiscales sur des sociétés en redressement ou liquidation judiciaire pour lesquelles le recouvrement est impossible ou indéfiniment suspendu. Il s’agit parfois de sociétés qui se mettent délibérément en liquidation après une fraude, par exemple un "carrousel de TVA", et un contrôle.

S’agissant des créances fiscales sur les particuliers, il arrive également que les comptables du Trésor public n’arrivent jamais à les recouvrer (disparition du contribuable…).

Les ménages peuvent aussi bénéficier d’une "remise gracieuse" en raison des difficultés financières personnelles qui résulteraient du paiement des impôts et pénalités réclamés.

Une autre partie de l’écart entre les montants notifiés et encaissés correspond à des crédits d’impôts que l’administration refuse de rembourser à la suite d’un contrôle et pour lesquels les comptables publics n’ont donc rien à encaisser.

> La fragilité des redressements

Après avoir reçu la notification d’un redressement, éventuellement assorti de pénalités, le contribuable peut exercer un recours auprès du supérieur hiérarchique du vérificateur et/ou demander l’avis d’une commission ou d’un médiateur. Les droits et pénalités notifiés mais en attente de confirmation à la suite de ces recours représentent chaque année environ 3 milliard d'euros.

Les montants abandonnés par l’administration à la suite de ces recours administratifs ont représenté 31% des droits rappelés à la suite des contrôles "sur place" (les plus lourds) en 2017-2018, soit un peu plus de 2 milliards d'euros.

Les contribuables peuvent ensuite contester la position de l’administration fiscale devant les tribunaux. Le ministère des Finances ne diffuse que le nombre d’affaires déposées chaque année et il n’y a pas d’information sur les montants de droits et pénalités annulés par les tribunaux. On peut néanmoins penser qu’ils sont importants car la réglementation est très complexe et, en dépit de leurs grandes compétences, les inspecteurs de l’administration fiscale font souvent des erreurs qui peuvent concerner la matérialité des faits et leur qualification juridique ou encore les procédures suivies.

En 2017, la Cour de justice de l’Union européenne et le Conseil constitutionnel ont notifié à la France un "redressement fiscal" de 10 milliards d'euros en l’obligeant à rembourser une taxe sur les dividendes versés par les entreprises au motif qu’elle était à la fois contraire à la législation fiscale communautaire et au principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt.

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Elle avait été créée en juin 2012 parce que le nouveau gouvernement avait alors découvert que la France avait été condamnée par la Cour de justice pour deux dispositifs fiscaux irréguliers et que le montant à rembourser aux entreprises, proche de 10 milliards d'euros, n’avait pas été provisionné. Comme il fallait ramener le déficit public à 3% du PIB en 2013 et que cela semblait très difficile, la taxe sur les dividendes a été créée pour combler cette impasse.

Ces taxes avaient pourtant été conçues et défendues devant ces juridictions par les plus éminents spécialistes du ministère des Finances. Ils se sont trompés comme beaucoup de contribuables qui se voient notifier un redressement, parce que la législation fiscale est souvent incompréhensible, y compris pour les experts de l’administration qui n’en ont manifestement pas la même interprétation que les juges.

S’agissant des pénalités, la Cour des comptes avait noté dans un rapport de 2010 qu’il était très difficile de comprendre pourquoi la majoration de 40% pour "manquement délibéré", la plus importante, était appliquée dans certains cas et pas dans d’autres, faute d’une doctrine administrative claire.

> L’utilité des accords passés avec les contribuables

Plutôt que de risquer une annulation par les tribunaux, il est préférable d’un point de vue budgétaire que l’administration fiscale cherche une solution de compromis avec le contribuable conduisant celui-ci à payer une partie des droits et pénalités réclamés. Elle dispose à cette fin de plusieurs moyens, plus ou moins bien assurés en droit.

Le meilleur moyen est la transaction car l’abandon d’une partie des pénalités par l’administration est alors la contrepartie de l’engagement pris par le contribuable de payer les montants laissés à sa charge et de renoncer à toute contestation devant les tribunaux (la transaction n’est d’ailleurs possible que si le contribuable a encore des voies de recours).

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Il ne peut cependant pas y avoir, en principe, de transaction sur le montant du redressement lui-même, mais seulement sur les pénalités, alors que c’est généralement le sujet le plus important. Dans son rapport public annuel de 2018, la Cour des comptes observe que cet obstacle est contourné par l’administration fiscale en s’accordant avec les contribuables, principalement les entreprises, sur des "règlements d’ensemble" qui constituent des sortes de transactions étendues aux redressements mais avec des bases juridiques beaucoup plus fragiles.

La Cour des comptes n’a pas remis en cause "l’intérêt même du règlement d’ensemble pour traiter un certain nombre de situations" mais a recommandé de lui donner un cadre légal.

> Des pratiques à mieux encadrer

Dans ce même rapport de 2018, la Cour des comptes observe que les systèmes d’information de la direction générale des finances publique (DGFIP) ne permettent pas de connaître les montants abandonnés dans le cadre de transactions ou de règlements d’ensemble, ni a fortiori d’en avoir une vision synthétique et d’en analyser les effets.

L’examen de dossiers de contribuables contrôlés lui avait permis d’observer en 2012 que les pratiques des services déconcentrés de la DGFIP en matière de transactions étaient très hétérogènes et très peu encadrées. En 2018, elle a noté une amélioration des procédures de contrôle interne au niveau local mais également la persistance d’une forte hétérogénéité des pratiques entre les services s’agissant notamment de la réduction des pénalités.

En raison de la complexité des règles fiscales et de la diversité des situations individuelles, il est impossible d’encadrer ces pratiques par des règles applicables en toutes circonstances. Comme le conclut la Cour des comptes, ces accords constituent "des outils utiles à la gestion de l’impôt qui reposent sur le pouvoir d’appréciation des agents de l’administration fiscale… Au-delà des questions de régularité, le principal enjeu qui s’attache à ce pouvoir d’appréciation laissé à l’administration fiscale, aux enjeux budgétaires importants, tient à la nécessité de mieux assurer l’égalité de traitement des contribuables et la transparence. La marge d’appréciation laissée à l’administration fiscale et l’absence de tout barème doivent en effet avoir pour contrepartie un pilotage interne et un suivi irréprochable".

Il faudrait donc que l’administration fiscale améliore rapidement ses outils d’information pour au moins savoir ce que font ses agents et corriger les pratiques contestables.

Retrouvez les analyses de François Ecalle sur le site de l'association "Finances publiques et économie" (FIPECO)

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