Une fiscalité juste ? Quelques clés pour comprendre les enjeux

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François Ecalle, édité par la rédaction
Publié le 05 juin 2019 - 16:36
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La France va réduire le taux d'impôt sur les sociétés de 33 à 25% d'ici 2022, a annoncé lundi le Pre
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP/Archives
Une fiscalité juste est une revendication forte chez de nombreux Français.
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Le grand débat national a mis en évidence l'attente politique d'une fiscalité "juste". Mais derrière ce terme fédérateur se cachent les contradictions et les débats qui traversent les questions fiscales. L'analyse pour France-Soir de François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes, spécialiste des finances publiques et président de l'association "Finances publiques et économie" (Fipeco).

Le grand débat national a montré que les Français veulent "plus de justice fiscale". Cette revendication n’est pas nouvelle puisqu’elle a été une des principales causes de la révolution de 1789. Elle a d’ailleurs trouvé une traduction dans l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen: "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable: elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".

Deux grands principes de droit fiscal peuvent en être tirés: les citoyens qui ont les mêmes facultés doivent payer le même impôt; les citoyens qui ont plus de facultés que les autres doivent payer plus d’impôts. Si ces principes sont relativement faciles à exprimer, il en existe de multiples interprétations et leur mise en œuvre pratique est souvent très compliquée. En outre, ces principes ne peuvent être respectés que si l’impôt dû est effectivement payé, ce qui soulève les questions de l’intelligibilité de la loi et de la fraude fiscale.

> Les citoyens qui ont les mêmes facultés doivent payer le même impôt

Le mot "citoyen" pose un premier problème, car il peut s’agir d’un individu, d’une famille ou d’un ménage au sens statistique, autrement dit les habitants d’un même logement. En pratique, le droit fiscal français retient plusieurs définitions du citoyen: la CSG est due par chaque personne, la taxe d’habitation par les habitants d’un même logement et l’impôt sur le revenu par des "foyers fiscaux" qui ressemblent à des familles.

La définition du mot "faculté" n’est pas plus simple, même s’il est généralement admis qu’il s’agit du revenu. En effet, il n’est pas sûr qu’un célibataire sans enfant et un couple avec quatre enfants ayant un même revenu annuel doivent payer le même impôt. En France, le couple avec enfants paye un impôt sur le revenu plus faible que le célibataire sans enfant ayant le même revenu. Dans la plupart des autres pays, il paye le même impôt sur le revenu et la charge d’enfants est prise en compte seulement à travers les prestations familiales.

Ensuite, tous les revenus ne doivent pas nécessairement être considérés comme une faculté contributive et être imposables, comme le montrent les deux exemples suivants.

En premier lieu, imposer des prestations sociales (retraites…) revient d’une certaine façon pour l’Etat à reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre. On pourrait concevoir que ces prestations soient plus faibles et non imposées (ou plus élevées et plus imposées). En pratique, tous les cas de figure coexistent en France sans logique évidente (prestations sociales exonérées ou imposées, au taux normal ou à un taux réduit).

En deuxième lieu, le produit de la vente d’un bien ne peut pas être considéré comme un revenu car si ce bien a été vendu moins cher qu’il n’a été acheté, le contribuable a en réalité vu sa faculté contributive diminuer. C’est la plus-value réalisée qui doit être imposée et, logiquement, les moins-values devraient donner lieu à une réduction d’impôt, ce qui n’est en pratique le cas que dans certaines limites.

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Enfin, deux citoyens ayant le même revenu n’ont pas vraiment la même faculté contributive si l’un détient un patrimoine dix fois plus important que l’autre. Le patrimoine devrait donc être pris en compte pour apprécier la faculté contributive réelle. Cependant, le patrimoine a déjà été taxé puisqu’il résulte soit d’un héritage soumis aux droits de succession soit de l’épargne de revenus eux-mêmes déjà imposés. En outre, la valeur de ce patrimoine est toujours plus ou moins hypothétique tant qu’il n’est pas vendu.

En supposant que toutes ces difficultés peuvent être surmontées et que la faculté d’un contribuable peut être clairement définie et mesurée, le Conseil constitutionnel tire de la déclaration de 1789 un principe d’égalité devant l’impôt selon lequel les citoyens ayant les mêmes facultés doivent payer le même impôt. Le Conseil ajoute toutefois systématiquement que "le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec la loi qui l’établit". En pratique, ce considérant usuel de ses décisions lui permet de valider de très nombreuses exceptions au principe d’égalité.

Les différences de traitement peuvent tenir, par exemple, à la zone géographique (Outre-mer, Corse…), à un handicap particulier, au statut d’emploi (salarié ou indépendant). Surtout, les "dérogations pour des raisons d’intérêt général" justifient la plupart des niches fiscales puisque celles-ci ont toujours en théorie un objet d’intérêt général même si leur contribution à la réalisation de cet objet est en pratique très rarement évalué: favoriser la création d’emplois, la transition énergétique, l’investissement en logements, l’épargne populaire etc.

> Les citoyens qui ont plus de facultés doivent payer plus d’impôts

A supposer que les facultés des citoyens contribuables puissent être mesurées par leurs revenus, il faut maintenant préciser ce que peut signifier une "répartition égale en raison de ces facultés". L’impôt peut en effet être proportionnel (le taux d’imposition, c’est-à-dire le rapport entre les montants de l’impôt et du revenu, est le même quel que soit le niveau du revenu); il peut aussi être "progressif" (le taux d’imposition augmente au fur et à mesure que le revenu augmente) ou "dégressif" (le taux d’imposition diminue avec le revenu).

En janvier 2019, un échantillon représentatif de Français a répondu à un sondage en ligne de l’institut Harris Interactive à 68 % être d’accord avec l’affirmation selon laquelle "plus un Français dispose de revenus élevés, plus son taux d’imposition doit être important" et à 38 % être d’accord avec "il faut appliquer le même taux d’imposition à tous les Français, quel que soit leur niveau de revenus". Si d’autres questions de ce sondage montrent que le concept de taux d’imposition est diversement compris, il en ressort que les Français sont plutôt favorables à un impôt progressif mais aussi que l’impôt proportionnel a beaucoup de défenseurs.

Le Conseil constitutionnel a tiré de la Déclaration de 1789 un principe d’égalité devant les charges publique mais celui-ci ne permet pas en pratique de dire comment doivent évoluer les taux d’imposition en fonction du revenu pour ne pas être anticonstitutionnels. Il semble seulement qu’un taux supérieur à 75 % pourrait être considéré comme contraire à ce principe.

Les économistes sont très majoritairement favorables à des impôts progressifs. D’une part, ils considèrent que prélever 1 % des revenus d’un ménage réduit moins son bien-être quand ce ménage a un revenu plus important. D’autre part, les impôts progressifs et les prestations sociales sous conditions de ressources sont les instruments les plus efficaces pour redistribuer les revenus et corriger les inégalités.

Ils ne peuvent cependant pas dire quel est le meilleur degré de progressivité des impôts. En effet, d’un côté, une forte progressivité permet de beaucoup corriger les inégalités et d’améliorer la cohésion sociale ; d’un autre côté, elle réduit les incitations à travailler, à épargner et à prendre des risques, voire incite à l’expatriation. Or ces effets opposés sont difficiles à quantifier et le choix reste donc très politique.

Ils signalent toutefois que l’appréciation de la progressivité et de la redistribution ne doit pas se limiter aux impôts sur le revenu. Les effets de leur progressivité sur la distribution des revenus peuvent en effet être compensés par les effets opposés d’impôts qui pèsent plus lourdement sur les ménages les plus pauvres, comme les impôts indirects (TVA, taxes sur les carburants…). D’un autre côté, si les dividendes sont désormais soumis à un prélèvement forfaitaire unique plus favorable que l’application du barème de l’impôt sur le revenu, il ne faut pas oublier qu’ils résultent de la distribution de bénéfices qui ont déjà été soumis à l’impôt sur les sociétés.

En conséquence, il faut examiner la progressivité de l’ensemble des prélèvements obligatoires, impôts et cotisations sociales, qu’ils soient perçus par l’Etat, les collectivités locales ou les organismes de sécurité sociale et qu’ils soient payés par les ménages ou les entreprises. Les seuls prélèvements qui doivent être exclus de cet examen d’ensemble sont les cotisations sociales aux régimes d’assurance vieillesse et chômage. En effet, les prestations versées par ces régimes sont en principe fonction des cotisations payées, dans une logique d’assurance, et ces cotisations n’ont pas pour objet d’assurer une redistribution des revenus.

En excluant donc ces cotisations, les prélèvements obligatoires en France sont globalement progressifs (le taux moyen de prélèvement passant d’un peu plus de 20 % dans le bas de l’échelle des revenus à un peu moins de 40 % dans le haut), en tenant compte des niches fiscales, sauf pour ce qui concerne les très hauts revenus : le taux d’imposition des 4 000 foyers fiscaux les plus riches est un peu inférieur à celui des 40 000 qui les suivent mais reste supérieur à celui de tous les autres.

> L’impôt dû doit être payé mais encore faut-il qu’il soit intelligible

Les principes précédents de justice fiscale n’ont pas de sens s’il est possible d’éluder l’impôt dû sans être sanctionné, ce qui pose la question de la fraude fiscale et de sa répression.

Comme elle est par nature dissimulée, la fraude fiscale est difficilement mesurable. Deux familles de méthodes sont utilisées pour essayer d’en donner une estimation.

La première consiste à l’estimer à partir des écarts entre des données statistiques et les recettes fiscales. Par exemple, la fraude à la TVA est souvent estimée en rapprochant les recettes encaissées par l’Etat et les recettes théoriques résultant de l’application des taux de TVA à son assiette mesurée par les comptes nationaux (consommation et investissement en logement des ménages pour l’essentiel). Cette méthode part de l’hypothèse, très forte, que les comptes nationaux sont exacts et ignore souvent les nombreuses complexités de la législation fiscale qui éloignent l’assiette fiscale réelle de l’assiette théorique.

La deuxième famille méthodologique consiste à estimer la fraude à partir des résultats des contrôles fiscaux. Ceux-ci ne peuvent pas être simplement extrapolés à toute la population des contribuables car ils ne sont pas programmés au hasard et il faut donc recourir à des méthodes statistiques permettant de corriger ce biais. L’hypothèse faite, très forte, est que les contrôles fiscaux permettent d’identifier très précisément le montant des impôts éludés.

Les résultats obtenus par ces diverses méthodes sont souvent très différents et s’expriment en milliards ou en dizaine de milliards d’euros pour la France selon les sources. Surtout, ils ne permettent pas de distinguer la véritable fraude, qui est délibérée, des erreurs et omissions involontaires. Or la fiscalité est devenue tellement complexe et instable que, très souvent, les erreurs et omissions ne peuvent pas être évitées par les contribuables de bonne foi. Le Conseil constitutionnel en est même venu ces dernières années à poser un principe d’intelligibilité de la loi qui l’a conduit à censurer des dispositions fiscales particulièrement incompréhensibles, mais ce filtre laisse passer beaucoup de textes illisibles.

On pourrait finir par comprendre une fiscalité obscure si elle ne change pas, mais le Parlement a modifié chaque année en moyenne un sixième des articles du code des impôts dans les années 2007 à 2017.

Au cours des dernières années, les services fiscaux ont notifié des redressements et pénalités pour un peu moins de 20 milliard par an mais ils n’ont encaissé qu’environ 10 milliards. Cet écart tient pour beaucoup au fait que l’administration abandonne souvent une partie des redressements et pénalités, notamment parce que les tribunaux lui donnent tort. Les services fiscaux eux-mêmes ne sont pas toujours capables d’appliquer correctement la législation fiscale.

La justice fiscale impose de réprimer la fraude mais aussi de simplifier la législation.

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