"Les Casadesus", l’incroyable saga d’une famille de musiciens, chanteurs et comédiens  

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Corine Moriou, grand reporter pour FranceSoir
Publié le 29 juin 2022 - 10:10
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Frédérick Casadesus, auteur de "Les Casadesus", aux éditions du Cerf.
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Frédérick Casadesus, auteur de "Les Casadesus", aux éditions du Cerf.
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CRITIQUE — Frédérick Casadesus, journaliste, déroule le fil de l’histoire de sa famille, pauvre et d’origine catalane, du début du XIXème siècle à nos jours. Une famille patriote, fidèle aux trois couleurs qui vise l’excellence. Jean-Claude Casadesus et sa maman, Gisèle sont les plus connus du grand public. Ce livre s’apparente à un manuel de pédagogie autoritaire à l’heure où l’égalitarisme rime avec le nivellement vers le bas. À mettre entre les mains des parents qui ont de l’ambition pour leurs enfants. 

Nos contemporains connaissent surtout Jean-Claude Casadesus qui a fondé l’Orchestre national de Lille. Il a fait découvrir et aimer la musique classique aux gens simples. Gisèle, sa mère, l’ex-doyenne des comédiennes est décédée à l’âge de 103 ans. Elle jouait les ingénues à la Comédie-Française, puis elle est devenue la plus célèbre des vieilles dames au cinéma. 

Les Casadesus, c’est l’histoire d’une famille française, d’origine catalane et modeste, qui aime la République avec passion, les trois couleurs avec fidélité. 

En 150 ans, sept générations d’artistes se sont succédées sur les planches. Mais leur carrière ne s’est pas accomplie dans le dilettantisme. Les enfants ont tous reçu l’injonction paternelle d’apprendre les notes avant les lettres de l’alphabet. La mythologie familiale prétend que Luis, le patriarche, avait le désir de fonder une famille entièrement composée de musiciens. « Aux garçons le violon, qui permet de se produire dehors, aux filles on apprend le piano, de réputation bourgeoise, qui reste à l’abri des mauvaises vies. »

Luis aura neuf enfants… musiciens, comédiens ou chanteurs. Une famille de saltimbanques aux destins tranchants et contrastés. Les Casadesus sont vivants. Ils tombent amoureux, travaillent, ne gagnent pas d’argent, divorcent, réussissent, se remarient : ils restent sur leur deux pieds, enracinés dans le sol français. 

C’est l’un des leurs, Frédérick Casadesus, journaliste et écrivain, historien de formation, qui nous retrace la saga de cette famille haute en couleur. Lourde responsabilité ! Les artistes sont si nombreux que l’on se perd dans la valse des prénoms. Mais Frédérick - qui doit son prénom au comédien Frédérick Lemaître (1800-1876) - a eu la bonne idée de placer à la fin de son livre une généalogie par ordre d’entrée en scène. D’emblée, il nous prévient que, comme toutes les familles, les Casadesus connaissent la jalousie, vivent des colères, des brouilles. Mais il ne fera pas de révélations de basse-cour. Son livre est avant tout une façon de rendre hommage à ses ancêtres. Et quels ancêtres !

La vie de chaque membre du clan est un roman en soi. L’auteur de la biographie évite de tomber dans l’écueil du misérabilisme. Il nous conte avec son cœur les péripéties des Casadesus dans un style enjoué, élégant, parfois même haletant. Le concert des rires et des pleurs, en un mot de la vie, accompagne ces artistes sur la scène de l’Histoire de la France. La musique façonne le destin des Casadesus. Dans les tempêtes, ils restent souriants, énergiques ; la musique panse leurs blessures. 

Des durs au mal

Le rideau rouge est levé : l’histoire commence au début du 19ème siècle. Les Casadesus sont originaires de Figueras, en Catalogne. Francesco et Antonia conçoivent une petite fille appelée Rosa Maria. Au début de la monarchie de Juillet, ils partent en France pour cueillir du raisin à Cahors. Rosa Maria est violée et garde son enfant. « Elle ne se départira jamais d’un couteau fiché dans ses bottines. » 

Elle monte à Paris et devient costumière au Châtelet. Sa fille, Francesca, évolue dans le demi-monde des comédiennes et danseuses des années 1850. Paul de Koch vient à passer. « Neuf mois plus tard, par une de ces bizarreries qui font le charme des folies bourgeoises, Francesca met au monde un garçon. » Luis découvre le violon à 13 ans qu’il joue tout « à la feuille », car il ne sait ni lire ni écrire les notes. Pour survivre, il est typographe, puis comptable. Il épouse Mathilde alors qu’ils sont mineurs. 

Ce sont des durs au mal. Les deux tourtereaux mangent du rat, survivent comme ils peuvent. Au plus fort du siège, Luis s’engage dans la Garde nationale, ce qui lui vaudra, fin 1871, la nationalité française. C’est bien Luis qui fonde la famille Casadesus, une tribu d’artistes attachée pour toujours à la patrie des droits de l’homme. Il installe sa smala entre la Nouvelle Athènes, dans le 9ème, et la Butte Montmartre, car il veut vivre dans les quartiers où les talents sont reconnus et les carrières se construisent au gré des relations.  

Ce serait fastidieux d’évoquer le destin des neuf enfants de Luis et Mathilde. Mais voici quelques parcours de vie singuliers.

Marcel, le cinquième, devient violoncelliste. Une forme de contre-pouvoir alors que tous les garçons sont destinés à devenir violonistes. Mais il excelle et est pardonné. Le 10 octobre 1914, en pantalon garance, il tombe sous les balles allemandes, à l’âge de 32 ans. Pressentiment : il avait rédigé une lettre très émouvante à son fils avant de rejoindre son régiment. 

L’aîné, Francis, compose de la musique pour le Front populaire, entre au Grand Orient de France. Coup de théâtre : en 1940, il rallie le maréchal Pétain, compose des œuvres à la gloire du régime. Était-il opportuniste, était-ce un socialiste antisémite ? Les questions restent en suspens.

Le dernier de la fratrie est aussi un personnage sombre. Marius compose des pastiches d’œuvres classiques. La duperie touche au coup de maître avec le faux « Concerto Adelaïde » de Mozart joué par Yehudi Menuhin. Le célèbre violoniste sera définitivement brouillé avec Marius. 

Un sens inouï du travail

 Gisèle, la doyenne de la dynastie Casadesus, entourée de ses quatre enfants : Dominique Probst, le compositeur, Martine Pascal, la comédienne, Béatrice Casadesus, la peintre, Jean-Claude Casadesus, le chef d’orchestre. Autour d'elle ses petits enfants, ses arrière-petits-enfants et son arrière-arrière petit fils. ©Virginie Clavières
Gisèle, la doyenne de la dynastie Casadesus, entourée de ses quatre enfants : Dominique Probst, le compositeur, Martine Pascal, la comédienne, Béatrice Casadesus, la peintre, Jean-Claude Casadesus, le chef d’orchestre. Autour d'elle ses petits enfants, ses arrière-petits-enfants et son arrière-arrière petit fils. ©Virginie Clavières

Secouons le shaker. Le cocktail familial peut conserver, dans le désordre aussi, tout son bouquet.

Robert, fils de « Robert Casa », est la star de l’époque. Il devient un grand pianiste, ami de Maurice Ravel. Il marque son hostilité aux nazis, s’exile avec son épouse aux États-Unis, à Princeton. Mais il ne demandera pas la nationalité américaine.

« Les Casadesus n’ont jamais apprécié l’américanisation de la société. C’est une famille qui a intégré la culture française et qui défend l’État-nation, le drapeau français », souligne Frédérick Casadesus.

Henri, violoniste, est fondateur de la Société des instruments anciens. Il compose et travaille énormément. Il mène une double vie, mais avec « une certaine fidélité », et s’arrime le temps des vacances au port d’Ars-en-Ré. Sa femme, Marie-Louise, est calviniste, c’est la religion transmise par son père hollandais. Sa mère Tatiana (donc la belle-mère d’Henri) est une exilée russe juive qui voulait protéger sa fille en lui donnant la religion de son mari. Pendant l’Occupation, Henri use de ses relations et sauve la vie des deux femmes avec de faux papiers ; il agira de même pour d’autres. De son union orageuse naissent Gisèle et Christian, le père de Frédérick, l’auteur de ce livre.  

Directeur du théâtre L’Ambigu de 1954 à 1966, une grande salle des temps romantiques, Christian est une personnalité de la vie parisienne. Il goûte à une décennie de bonheur, puis surmonte des échecs douloureux. « Inventer, susciter des élans, discuter avec les artistes et les élus, créer du lien, telles sont les ambitions d’un homme blessé qui tente bien souvent de n’en rien laisser voir. »

Christian est séduisant, très plaisant de conversation et sait accrocher les cœurs.

Sa sœur bien-aimée, Gisèle, est une rebelle. Elle tourne le dos à la musique et devient comédienne. Elle intègre la Comédie-Française en 1934 ; elle est encore mineure. Elle épouse Lucien Pascal (de son vrai nom Lucien Probst) et, dans la foulée, elle a son premier enfant, Jean-Claude. « 72 ans de mariage, cela reste une preuve d’amour incomparable. »

Gisèle a trouvé le point fixe, une source de confiance absolue en son mari. Ce qui l’aide grandement à devenir sociétaire de la Comédie-Française, à s’épanouir dans son rôle de maman de quatre enfants. La famille de Gisèle et Lucien au sein de la famille Casadesus est une famille en soi. Gisèle accède à un statut social, voire à une certaine forme d’élitisme. Finie la période des vaches maigres.

À 96 ans, la vieille dame est abordée dans la rue, car elle a gagné en célébrité avec le film « La tête en friche » de Jean Becker, aux côtés de Gérard Depardieu. 

Jean-Claude ferraille pour imposer ses choix. Il a le soutien de son oncle Christian, avocat de poids qui l’aide à concrétiser son ambition artistique. Au milieu des années 1960, il fait ses premiers pas de chef d’orchestre au Théâtre du Châtelet. Quoi de plus symbolique que de débuter là où Rosa Maria a trouvé un emploi ? Pierre Dervaux lui ouvre les portes de l’Opéra de Paris et de l’Opéra Comique. En 1976, Jean-Claude amorce à Lille une aventure artistique et sociale inédite. Il construit une formation symphonique qui se produit partout dans le monde. À 86 ans, il manie toujours la baguette. Passionné. 

Et les jeunes dans tout ça ? Thomas (cinquième génération), petits-fils de Jean-Claude et Pénélope Casadesus, fils de Caroline Casadesus (cantatrice), a un grand talent. Sous le fier pseudonyme de Enhco, ce musicien compositeur de musique classique et de jazz donne des centaines de concerts par an sur tous les continents. Son frère David, également compositeur remarquable, vient de sortir l’album « Family Tree ». 

Autre époque, autre destin. Pablo Casadesus, né en 2001, est compositeur et producteur de musiques actuelles. « Vingt ans, l’âge de l’épanouissement. Premières pages musicales proposées sur Internet et premiers succès. Le goût du spectacle se dessine aussi. » 

La famille Casadesus, ce sont plus de quarante artistes issus du même aïeul Luis.

Existe-t-il un secret bien gardé, une potion magique, des gènes spécifiques, un conditionnement familial pour expliquer la passion de la musique qui se transmet de génération en génération ?

Ce qui frappe dans cette histoire collective, c’est « un sens inouï du travail, une absolue volonté, l’exigence acquise, puis transmise, de se tenir debout. »

Y retrouve-t-on les valeurs du protestantisme ? Une éthique propre à la famille Casadesus ? Ce livre s’apparente à un manuel de pédagogie autoritaire basé sur l’effort et l’exigence. Cette galerie de portraits offre une belle leçon d’excellence à l’heure où l’égalitarisme rime avec le nivellement vers le bas. À mettre entre les mains des parents qui ont de l’ambition pour leurs enfants.

Les Casadesus, Les éditions du Cerf, 224 pages, 20 € ou 12,99 € (ebook)
Les Casadesus, Les éditions du Cerf, 224 pages, 20 € ou 12,99 € (ebook) 

Frédérick Casadesus, historien de formation, a été journaliste pendant 15 ans à l’hebdomadaire « Réforme » et a collaboré à « Tribune Juive ». Désormais, il anime l’émission « Une heure avec… » pour « radio Fréquence Protestante », un entretien avec des personnalités de la vie culturelle et politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont « Douze protestants qui ont fait la France », aux éditions du Cerf.

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