L’euro numérique : la fin des libertés publiques et privées ?


L’euro numérique, ce projet pharaonique de la Banque centrale européenne (BCE) prévu pour 2026, se pare des atours du progrès : une monnaie digitale, fluide, universelle, censée damer le pion aux cryptomonnaies et au yuan numérique chinois. Mais sous cette façade rutilante se profile une ombre menaçante, un carcan numérique prêt à étrangler nos libertés. Comme dans SOS Bonheur, la dystopie visionnaire de Van Hamme et Griffo où un État totalitaire orchestre le quotidien de ses citoyens sous couvert de félicité, l’euro numérique pourrait n’être qu’un leurre, une machine de surveillance déguisée en innovation.
En tant que président co-fondateur de Moneybookers (aujourd’hui Skrill) en 2001, premier établissement européen à obtenir une licence d’argent électronique auprès de la Financial Services Authority (FSA) britannique, et pionnier dans la réflexion sur la notion de « Digital Reserve » (2002-2004), je sonne l’alerte : ce n’est pas seulement notre monnaie qui est en jeu, mais l’essence même de notre autonomie.

Les cryptomonnaies : une promesse ambivalente
Avant de plonger dans l’abîme de l’euro numérique, un éclairage sur les cryptomonnaies s’impose. Ces monnaies numériques – Bitcoin, Ethereum, Binance Coin – sont protégées par la cryptographie, un rempart de chiffrement qui sécurise les transactions. Leur moteur ? La blockchain, un registre décentralisé, transparent, où chaque opération est inscrite dans un livre numérique immuable, validé par un réseau de nœuds indépendants. Exit les banques, exit les gouvernements : ce système pair-à-pair redonne le pouvoir aux individus. La blockchain garantit, tout du moins sur le papier :
- Transparence : chaque transaction est publique, bien que pseudonyme.
- Immutabilité : le passé ne s’efface pas.
- Décentralisation : aucun despote ne peut s’en emparer.
En avril 2025, le marché des cryptomonnaies pèse 2 500 milliards de dollars, dominé par le Bitcoin (1 200 milliards USD), l’Ethereum (400 milliards USD) et le Tether (100 milliards USD) (https://coinmarketcap.com). Le volume quotidien des transactions frôle 100 milliards USD, signe d’une adoption fulgurante. Mais cette liberté a un revers : une volatilité vertigineuse, des piratages massifs et une empreinte écologique digne d’un pays entier.

L’euro numérique : un colosse aux pieds d’argile
L’euro numérique, ou monnaie digitale de banque centrale (CBDC), n’a rien d’une cryptomonnaie. Émise et contrôlée par la BCE, cette monnaie centralisée promet des paiements instantanés, une inclusion financière et une souveraineté face aux cryptomonnaies. Mais là où la blockchain émancipe, la CBDC asservit. Chaque euro numérique sera une donnée traçable, une miette de votre vie livrée aux appétits de Bruxelles. La Chine, avec son yuan numérique, a déjà traité 1,8 trillion de yuans (250 milliards USD) depuis 2020, montrant l’ampleur de ces systèmes. La BCE table sur 20 % des paiements numériques en zone euro d’ici 2030.
Les risques spéculatifs des cryptomonnaies
Les cryptomonnaies, si elles séduisent par leur promesse de liberté, sont un terrain miné. Leur volatilité est un gouffre : le Bitcoin a grimpé de 200 % en 2020 pour s’effondrer de 60 % en 2022. Les fraudes prospèrent : la débâcle de FTX en 2022 a englouti des milliards, et les piratages de portefeuilles numériques sont monnaie courante. Sans régulation, ces monnaies sont une aubaine pour les manipulateurs et les blanchisseurs. Leur impact environnemental est cataclysmique : le minage du Bitcoin consomme 150 TWh par an, autant qu’un pays comme l’Argentine. La liberté a un coût, et il est exorbitant.

Le règlement MiCA : un premier pas vers la régulation
Face à l’anarchie des cryptomonnaies, l’Union européenne tente de reprendre la main avec le règlement MiCA (Markets in Crypto-Assets), adopté en 2023 et entré en vigueur en 2024. Ce cadre impose des règles aux émetteurs de cryptomonnaies et aux plateformes d’échange : transparence des opérations, protection des investisseurs, lutte contre le blanchiment. MiCA vise à domestiquer le Far West crypto, mais ses limites sont criantes. Les plateformes offshore échappent souvent à son emprise, et l’innovation technologique devance toujours les régulateurs. Si MiCA est un premier pas, il reste un pansement sur une plaie béante, incapable d’endiguer les dérives spéculatives ou de rivaliser avec la surveillance potentielle des CBDC.
Les zones d’ombre des cryptomonnaies : fortunes, fraudes et conflits d’intérêts
Le Bitcoin a enfanté des fortunes colossales. Les « baleines » – ces investisseurs précoces détenant des milliers de BTC – ont amassé des milliards, comme les frères Winklevoss, dont la fortune crypto dépasse 2 milliards USD en 2025. Mais cette manne attire les prédateurs. La volatilité du Bitcoin (parfois +100 % en un an) en fait un outil idéal pour le blanchiment d’argent. Un rapport de Chainalysis (2024) estime que 2 % des transactions crypto (soit 50 milliards USD) sont liées à des activités illicites, comme le trafic de drogue ou l’évasion fiscale.
Pire, certaines firmes pharmaceutiques exploitent cette opacité pour des montages financiers douteux. En incitant des professionnels de santé à investir dans des fonds boostés par des cryptomonnaies, elles garantissent des rendements mirobolants – parfois 20 à 25 % par an – via des structures comme des assurances-vie. Ces fonds, dopés par des transactions crypto à haut risque, masquent des conflits d’intérêts : les firmes encouragent des prescriptions biaisées tout en sécurisant des plus-values pour leurs investisseurs. Ce schéma, où la volatilité sert de paravent, rappelle les dérives de la finance pré-2008.
L’adoption par les entreprises : un engouement à double tranchant
Les cryptomonnaies ne sont plus l’apanage des geeks et des spéculateurs. Des géants comme Tesla (qui a accepté le Bitcoin comme paiement en 2021 avant de faire marche arrière) et PayPal (qui permet d’acheter, vendre et stocker des cryptos depuis 2020) ont embrassé cette révolution. En 2025, 10 % des grandes entreprises mondiales acceptent ou explorent les paiements en cryptomonnaies, selon une étude de Deloitte. Des enseignes comme Microsoft, Starbucks (via des partenariats avec Bakkt) et même des compagnies aériennes comme Norwegian Air intègrent les cryptos pour séduire une clientèle tech-savvy.
Cet engouement légitime les cryptomonnaies, mais il amplifie les risques. Les entreprises, en adoptant ces actifs volatils, exposent leurs bilans à des fluctuations imprévisibles. De plus, l’intégration des cryptos dans les systèmes de paiement traditionnels facilite leur surveillance par les autorités, érodant leur promesse d’anonymat. Ce paradoxe – une liberté adoptée par le capitalisme, mais domestiquée par les régulateurs – pourrait transformer les cryptomonnaies en simples rouages du système qu’elles cherchaient à défier.
L’euro numérique : une menace programmée ?
Programmabilité ou la cage dorée : l’euro numérique n’est pas un simple avatar des billets froissés dans nos poches. Sa programmabilité – la capacité d’y intégrer des règles – est une arme à double tranchant. La BCE pourrait limiter les achats (un quota de viande ? de carburant ?) ou imposer une date d’expiration aux fonds. Ces scénarios, bien que spéculatifs, sont techniquement réalisables. Dans SOS Bonheur, l’État décide du moindre détail de la vie citoyenne pour un prétendu bien commun ; l’euro numérique pourrait être cette main invisible, programmée pour nous plier aux injonctions des élites.
Surveillance, l’œil omniscient : chaque transaction numérique sera une donnée, une miette de votre intimité prête à être disséquée par Bruxelles. Privacy International alerte sur une « société de surveillance » où les flux financiers deviennent des outils de profilage. Le yuan numérique chinois, couplé au crédit social, montre la voie : chaque dépense est une brique dans le mur de la répression.
Le crédit social chinois, un cauchemar éveillé : le système de crédit social chinois, dopé par le yuan numérique, est un laboratoire de dystopie. Depuis 2014, chaque citoyen est noté selon ses actes : payer ses dettes augmente le score, critiquer le régime le fait plonger. Un mauvais score barre l’accès aux trains, aux écoles, aux emplois. En 2023, Human Rights Watch a documenté des comptes gelés pour des posts « subversifs » sur WeChat. Avec le yuan numérique, chaque achat devient une preuve, chaque citoyen un pion. L’Europe osera-t-elle emprunter ce chemin ?
Mon témoignage, une alerte fondée : président-fondateur de Moneybookers en 2001, j’ai contribué à batir outre une banque en ligne avec un système de trading avec zéro commision, l’un des premiers systèmes de paiement numérique en Europe, décrochant la première licence d’argent électronique de la FSA. De 2002 à 2004, avec d’anciens membres de Brokat, j’ai exploré la création d’une « Digital Reserve », séparant le titre de propriété de l’usage d’un bien pour transférer numériquement la propriété sans déplacer l’objet. Ce travail, précurseur des blockchains, m’a appris une leçon : la technologie peut libérer ou asservir, selon qui la manie.
La blockchain : un rempart fragile
La blockchain, au cœur des cryptomonnaies, scintille comme un phare. Décentralisée, elle défie les censeurs et les tyrans. Ses atouts, R.I.T. :
- Résistance : aucun État ne peut saisir vos fonds.
- Inclusion : 1,4 milliard de non-bancarisés pourraient rejoindre l’économie.
- Transparence : des protocoles open-source, audités par tous.
Ethereum et Cardano ouvrent la voie à des écosystèmes décentralisés, mais la blockchain vacille sous le poids de ses limites : scalabilité, coûts énergétiques, anarchie réglementaire.
Dompter l’euro numérique : une urgence
Si l’euro numérique est inéluctable, il doit obéir à quatre commandements P.O.T.A. :
- Public : sous contrôle démocratique, loin des griffes privées.
- Ouvert : compatible avec les blockchains et autres systèmes.
- Transparent : avec un code auditable et des garanties de confidentialité.
- Accessible : pour tous, même sans smartphone ou connexion.
Ces principes, issus des consultations publiques de la BCE (2020-2021), sont un bouclier contre la tyrannie numérique.
Voix discordantes : le grand débat
Les apôtres de l’euro numérique dont Christine Lagarde, présidente de la BCE pour qui « L’euro numérique est notre rempart contre les cryptomonnaies et les CBDC étrangères. Il sera rapide, inclusif et respectueux de la vie privée. » Eswar Prasad, économiste à Cornell qui lui dit : « Les CBDC réduiront les coûts et incluront les marginaux, à condition de protéger la confidentialité. »
Les résistants dont Edward Snowden, lanceur d’alerte qui déclare : « Les CBDC sont des menottes numériques. Sans anonymat, chaque transaction est une chaîne. » De son côté, Caitlin Long, fondatrice de Custodia Bank : « Les CBDC écraseront les cryptomonnaies, seules garantes d’une liberté financière. »
Échos de la crise des subprimes : un passé qui hante
L’opacité des cryptomonnaies et des CBDC évoque un spectre familier : la crise des subprimes de 2008. À l’époque, les produits dérivés – ces titres financiers complexes adossés à des hypothèques pourries – ont échappé à tout contrôle. Les régulateurs, dépassés par l’ingéniosité des banquiers, n’ont rien vu venir. Résultat : une crise mondiale, des millions de vies brisées. Aujourd’hui, les cryptomonnaies, avec leurs rendements spéculatifs et leurs montages opaques, rappellent ces dérives. Les CBDC, quant à elles, pourraient devenir des outils de contrôle systémique, comme les subprimes l’étaient pour la dette.
L’industrie financière, fidèle à elle-même, résiste à toute régulation. Un rapport du Financial Stability Board déplore que les régulateurs peinent à comprendre les enjeux des cryptomonnaies et des CBDC, tandis que les lobbies bloquent toute tentative de transparence. Comme en 2008, l’aveuglement des autorités et l’avidité des acteurs financiers préparent un cocktail explosif.
L’impact géopolitique : un monde redessiné
L’euro numérique n’est pas qu’une affaire européenne. Les CBDC redéfinissent les rapports de force mondiaux. La Chine utilise le yuan numérique pour contourner le dollar dans les échanges internationaux. Les États-Unis, en retard, explorent un dollar numérique pour contrer cette offensive. L’Europe, coincée entre ces géants, risque de perdre sa souveraineté monétaire si elle cède aux sirènes du contrôle. Une CBDC mal conçue pourrait aussi marginaliser les cryptomonnaies, dernier bastion d’une finance indépendante.
Les BRICS et la dédollarisation : une alternative numérique ?
Dans ce jeu d’échecs mondial, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, rejoints par l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran et les Émirats arabes unis) jouent une partition audacieuse : la dédollarisation. Représentant 37 % du PIB mondial et 44 % de la population, ce bloc défie l’hégémonie du dollar, qui domine 84 % des transactions transfrontalières. Leur stratégie ? Des monnaies numériques et des systèmes alternatifs pour contourner le réseau SWIFT, sous influence américaine.
Au sommet BRICS de Kazan (octobre 2024), le projet BRICS Pay, une plateforme blockchain pour les transactions en monnaies locales, a été mis en avant. La Chine, avec son yuan numérique, mène la charge : 53 % de ses échanges se font en yuan, et 90 % des transactions Russie-Chine en yuan ou roubles. Des contrats pétroliers avec les Émirats utilisent l’e-CNY, défiant le pétrodollar. Les BRICS envisagent une monnaie commune, l’« Unit », adossée à 40 % d’or, bien que ce projet reste freiné par des divergences internes. Le projet mBridge, une plateforme blockchain pour CBDC, gagne du terrain avec l’adhésion de l’Arabie saoudite.
Cette offensive pourrait ébranler le dollar et promouvoir une finance multipolaire. Mais les CBDC des BRICS, à l’image du yuan numérique, risquent de reproduire un contrôle autoritaire, loin de l’émancipation promise par la blockchain.
La souveraineté individuelle en péril
Au-delà des enjeux économiques, l’euro numérique menace la souveraineté individuelle. Avec une monnaie traçable, programmable, centralisée, chaque citoyen devient un pion sur l’échiquier des autorités. L’argent liquide, dernier refuge de l’anonymat, risque de s’éteindre, laissant place à un monde où chaque dépense est un acte de reddition. La blockchain, malgré ses failles, reste une lueur d’espoir pour préserver cette autonomie.
Un choix de civilisation
- L’euro numérique nous force à répondre à trois questions :
- Voulons-nous une monnaie libre ou une monnaie geôlière ?
- Voulons-nous l’échange ou la soumission ?
- Voulons-nous une finance citoyenne ou une dictature algorithmique ?
La BCE et le Parlement européen, malgré ses marges de manœuvre limitées, ont un rôle à jouer. Les consultations publiques de 2020-2021 ont montré que les citoyens peuvent peser. Mais face à un projet aussi crucial, un simple débat ne suffit pas.
Un référendum ou la résignation
L’euro numérique, tel un monstre tapi dans l’ombre, guette nos libertés. Comme dans SOS Bonheur, où une dictature se pare des atours du progrès, ce projet pourrait faire de chaque transaction un serment d’allégeance. Mais nous ne sommes pas condamnés. Exigeons un euro numérique public, ouvert, transparent, accessible.
Exigeons un référendum pour que le peuple, et non les technocrates, décide de son destin.
Car ce n’est pas d’argent qu’il s’agit, mais de notre âme collective.
Pour ceux qui veulent en savoir plus, vous pouvez regarder l'excellent film documentaire de James Patrick, CDBC : La fin de l'argent. Une version sous-titrée en français est disponible!:
Note sur l’origine controversée du Bitcoin
Des théories spéculatives attribuent l’origine du Bitcoin à la NSA, orchestrée par Richard Egan, ex-cadre de Lockheed Martin et fondateur d’EMC Corporation. Le pseudonyme « Satoshi Nakamoto » serait un acronyme de firmes japonaises (Samsung, Toshiba, Nakamichi, Motorola), le Bitcoin un prototype pour tester la blockchain avant les CBDC. Des références ésotériques – première transaction le 11 janvier à 11h, « porte de la foudre » du temple Sensō-ji – alimentent ces hypothèses.
Ces récits, prisés de ceux que les médias traditionnels qualifient sans vérifier de théoriciens du complot, sont rejetés par la communauté crypto. Les fondations du Bitcoin reposeraient donc sur les travaux de David Chaum (DigiCash), Adam Back (Hashcash) et Nick Szabo (Bit Gold).
Cependant, un parallèle avec l’origine du Covid-19 peut être fait. La quête de vérité suit quatre étapes : (1) la collecte des données qui vise à rassembler documents, témoignages, publications ; (2) l’analyse critique où l’on tente de distinguer faits et spéculations ; (3) la confrontation des hypothèses en l’occurence tester les scénarios (Nakamoto individuel vs institution ; origine zoonotique vs laboratoire) ; pour finir avec (4) l’établissement d’une conclusion provisoire qui tend à retenir l’hypothèse la plus étayée, en restant ouvert.
Pour le Covid-19, l’OMS a tout d’abord privilégie une origine zoonotique, malgré les débats sur le laboratoire, pour que l’origine de laboratoire devienne en 2025, l’explication la plus plausible. Pour le Bitcoin, un créateur individuel ou un petit groupe sous Nakamoto reste l’explication la plus crédible.
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