New Delhi envisage de réformer sa loi sur la responsabilité nucléaire pour convaincre les Américains


À défaut de s’installer aux États-Unis comme demandé par Donald Trump pour éviter les tarifs douaniers élevés, l’Inde envisage plutôt de convaincre les sociétés américaines de s'établir sur son sol. Et pour ce faire, New Delhi mise sur le nucléaire. Le gouvernement est sur le point d’alléger les lois sur la responsabilité nucléaire, afin de plafonner pour les fournisseurs les sanctions liées aux accidents. Le projet de loi, qui doit être validé par une prochaine séance parlementaire, a pour double objectif de booster la capacité de production indienne d’énergie nucléaire et favoriser les négociations commerciales et tarifaires avec Washington.
La catastrophe de Bhopal en 1984, qui a causé plus de 5 000 morts et considérée comme la pire au monde, a révélé l’absence de mécanismes efficaces pour établir la responsabilité des entreprises dans les accidents industriels majeurs. Après Bhopal, ni le gouvernement indien ni les tribunaux n’ont pu établir clairement la responsabilité d’Union Carbide, la multinationale américaine impliquée, notamment en raison de la complexité juridique et du manque de lois spécifiques sur la responsabilité civile en cas d’accident industriel.
Les Américains marginalisés, les Français et les Russes se positionnent
Union Carbide avait accepté cinq ans plus tard un règlement à l’amiable de 470 millions de dollars pour les dommages, tout en continuant à nier sa responsabilité. Mais la loi actuellement en vigueur ne voit le jour qu’en 2010, soit plus de 25 ans après la catastrophe de Bhopal. Jusqu’aux années 2000, le secteur nucléaire indien était entièrement public, contrôlé et exploité par l’État.
La question de la responsabilité en cas d’accident nucléaire ne se posait donc pas de manière urgente, puisque toutes les installations appartenaient et étaient exploitées par le gouvernement central. La donne a changé en 2008, lorsque New Delhi a signé avec Washington un accord nucléaire, qui ouvrait la voie à l’importation de technologies et de réacteurs étrangers, en particulier américains. Une clause clé de la loi de 2010, la Loi sur la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires de 2010 rend les fournisseurs responsables de manière illimitée en cas d’accident.
Malgré ce cadre juridique, les entreprises occidentales, y compris américaines, se retrouvaient privées d’un marché important, tandis que les sociétés françaises (comme EDF) et russes (comme Rosatom), dont les gouvernements couvraient les risques d’accidents, gagnaient du terrain.
New Delhi veut inverser la tendance. Le gouvernement envisage d’assouplir les clauses de la loi de 2010 portant sur la responsabilité des fournisseurs d’équipements dans les accidents pour plafonner les sanctions, selon Reuters, qui cite trois sources gouvernementales.
Une réforme pour assouplir la responsabilité… et Trump
Le plafond pour les exploitants de petits réacteurs pourrait être fixé à 58 millions de dollars tandis que pour les grands réacteurs, il pourrait être maintenu à 175 millions de dollars. L’exploitant pourrait aussi avoir le droit de réclamer une indemnisation au fournisseur en cas d’accident et celle-ci sera plafonnée à la valeur du contrat et limitée dans le temps.
“L’Inde a besoin de l’énergie nucléaire, qui est propre et essentielle”, a expliqué à Reuters un cadre chez Deloitte Asie du Sud. “Un plafonnement de la responsabilité rassurera les fournisseurs de réacteurs nucléaires, c’est leur principale inquiétude”, souligne-t-il.
Les amendements proposés, qui doivent être validés lors d’une prochaine séance parlementaire, approbation quasiment acquise aux yeux du gouvernement Nodi, sont conformes aux normes internationales, précise Reuters. Celles-ci font reposer la responsabilité de la sécurité sur l’exploitant plutôt que sur le fournisseur de réacteurs nucléaires.
Pour l’Inde, un premier enjeu est national. Le gouvernement indien mise fortement sur l’énergie nucléaire pour répondre à la hausse de la demande énergétique. Il est question d’augmenter la capacité de production d’énergie nucléaire par 12, pour atteindre 100 gigawatts d'ici à 2047. Pour atteindre cet objectif, New Delhi mise sur la présence de sociétés américaines comme General Electric ou Westinghouse Electric.
Un second enjeu, plus court-termiste, consiste à dissiper les tensions que la loi de 2010 a pu engendrer entre l’Inde et les États-Unis, tout en se servant des amendements proposés par le département de l’énergie atomique, pour favoriser les négociations pour un accord commercial, dans un contexte de guerre commerciale entre Washington et plusieurs autres puissances économiques, aussi bien parmi ses alliés que ses rivaux. Cet accord prévoit de porter le commerce bilatéral à 500 milliards de dollars d'ici à 2030, contre 191 milliards l’année dernière.
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