"Ne sacrifiez pas le service public hospitalier !" : l'appel d'un urgentiste aux candidats

Auteur:
 
Par Eric BERNAUDEAU - Draguignan (AFP)
Publié le 25 janvier 2022 - 09:28
Image
Le médecin urgentiste Pierre-Emmanuel Lebas, le 11 janvier 2022 à l'hopital de Draguignan, France
Crédits
© Nicolas TUCAT / AFP
Le médecin urgentiste Pierre-Emmanuel Lebas, le 11 janvier 2022 à l'hopital de Draguignan, France
© Nicolas TUCAT / AFP

Médecin aux urgences de l'hôpital de Draguignan (Var) qui ont dû, faute de personnel, fermer la nuit, Pierre-Emmanuel Lebas lance un cri du coeur aux candidats à l'élection présidentielle en France: "Ne sacrifiez pas le service public hospitalier!"

A 61 ans, il travaille depuis l'âge de 26 ans dans le service de santé public, "sans jamais" s'arrêter.

"Moi, c'est mon combat, sauver le système public. J'y suis très attaché. Historiquement, c'est le service public qui a permis les grandes découvertes", rappelle-t-il.

"On ne peut pas laisser périr un système qui a sauvé des gens et en sauve encore alors que les failles qu'on dénonce vont devenir dangereuses pour la population", assène en pesant chacun de ses mots le praticien qui reçoit l'AFP au service des urgences de l'hôpital de la Dracénie.

Situé dans un département de la Côte d'Azur, région pourtant bien dotée en structures médicales, ce centre hospitalier de l'arrière-pays couvre les besoins en soins d'un bassin de 100.000 habitants.

En cet après-midi de janvier, Pierre-Emmanuel Lebas accueille aux urgences un maçon tombé d'un échafaudage, un homme souffrant d'insuffisance cardiaque ou une petite fille qui colorie un ballon gonflable avec une infirmière en attendant sa mère.

"Sa maman, qui a subi des coups, est en consultation avec le médecin légiste", chuchote le médecin, pour qui "il n'y a que dans le public qu'on prend en charge ce genre de cas".

Mais à sept ans de la retraite, le Dr Lebas s'inquiète de "peut-être commencer à voir des services fermés et redistribués vers le privé".

- "Echec" -

En octobre, il s'est élevé contre la fermeture nocturne, entre 20h30 et 8h30, des urgences de l'hôpital de Draguignan.

Face à la pénurie de praticiens, "le quotidien était devenu très compliqué", témoigne-t-il.

Si une vingtaine de postes de praticiens temps plein sont budgétés, "on n'était jusqu'à récemment que six médecins urgentistes".

"Cela nous a amené à travailler pendant près de deux ans entre 80 et 100 heures par semaine et à différer nos vacances", remarque-t-il, ajoutant qu'aucun des médecins n'a pu prendre de congés à Noël.

Cette carrière qui lui a offert "des moments fabuleux" l'a aussi forcé à mettre de côté ses passions, comme la course automobile. Elle a aussi eu un coût sur sa vie familiale: "Oui, il y a eu des sacrifices... Je n'ai pas vu mon fils grandir".

"On vient de recruter deux personnes mais on ne peut pas rouvrir 24h/24 sans être aux alentours de 12 à 13 praticiens", explique-t-il.

Alors, il a fallu fermer la nuit. Au-delà de 20h30, les urgences n'acceptent plus que les malades "qui ne peuvent pas être transférés".

En dehors des urgences vitales, obstétricales, psychiatriques et de l'accueil des femmes et des enfants victimes de violences, ceux qui "peuvent attendre" doivent se rendre en pleine nuit à Brignoles, Fréjus ou Toulon, des villes à des dizaines de kilomètres ou consulter le lendemain.

"Il n'y a pas eu à ce jour de patient ayant été redirigé sur Fréjus ou Brignoles étant arrivé à ces destinations dans un état grave, cela grâce à un tri très rigoureux", confie M. Lebas, mais "l'écueil est néanmoins pour la population la plus éloignée de Draguignan" et vivant dans cette région.

Cette fermeture de nuit "est un échec pour nous qui sommes la deuxième génération à avoir créé les services d'urgence. On ne peut pas admettre que pour des raisons budgétaires et peut-être plus ou moins idéologiques on puisse détruire ce système", déplore Pierre-Emmanuel Lebas.

D'autant qu'il voit des solutions: "Les jeunes médecins qui souhaitent s'installer comme généralistes pourraient démarrer obligatoirement par un mi-temps salarié de cinq ans en médecine de ville et un mi-temps à l'hôpital".

Il dénonce aussi le numerus clausus -- ce système qui limite le nombre d'étudiants -- qui a été "entre guillemets supprimé" par une réforme en 2019 en laissant toutefois les universités fixer elle-mêmes leurs capacités d'accueil: "c'est de la poudre aux yeux".

Dans la bouche et les programmes des candidats à l'élection présidentielle, la santé et l'hôpital sont-ils suffisamment abordés? "Non", répond-il sans hésiter.

Durant cette campagne, "on saupoudre, comme d'habitude et je ne cible pas un candidat plutôt qu'un autre".

À LIRE AUSSI

Image
Bernard Kron
Bernard Kron : le système de santé malade de son administration
"Blouses blanches, colère noire" (éditions Max Milo) : le docteur Bernard Kron était venu nous présenter son constat et ses propositions au printemps dernier. Huit moi...
24 décembre 2021 - 13:00
Vidéos

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
ARA
Décès de ARA, Alain Renaudin, dessinateur de France-Soir
Il était avant toute chose notre ami… avant même d’être ce joyeux gribouilleur comme je l’appelais, qui avec ce talent magnifique croquait à la demande l’actualité, ou...
07 novembre 2024 - 22:25
Portraits
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.