Ce qui a manqué aux Gilets jaunes

Auteur(s)
Rorik Dupuis Valder
Publié le 17 avril 2025 - 15:39
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Manifestation Paris
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F. Froger pour France-Soir
Manifestation Paris
F. Froger pour France-Soir

La grande force du mouvement des Gilets jaunes a été son anarchisme. Elle tenait précisément à sa spontanéité, à son caractère astructurel et son exigence apartisane. Par le rejet de toute appropriation syndicale, de toute récupération militante, le mouvement s’est affirmé comme une réussite d’indépendance citoyenne et d’autogestion démocratique inédite. 

Mais, au-delà de la répression policière, spectaculaire ou plus insidieuse, il est important de comprendre, avec le recul, ce qui a empêché les Gilets jaunes de s’imposer, de se réaliser. 

Car oui, nous avons failli : plus de six ans après les premières manifestations sauvages, le constat est désespérément le même. La paupérisation forcée, le déclassement culturel de la France, sa liquidation industrielle et patrimoniale par la caste globaliste continuent, et nous faisons toujours aussi massivement les frais du sado-masochisme macronien — baignant malgré nous dans l’illusion démocratique, faite d’une propagande aussi grossière que révoltante.

Réactivé en partie à l’occasion des protestations contre le passe sanitaire et les mesures totalitaires liées à la gestion de l’épidémie de Covid-19, alors trop encadré pour être véritablement libre de ses mouvements, le corps des Gilets jaunes sommeille, mais son esprit est toujours bien présent : s’il est aujourd’hui en état de veille, momentanément absorbé ou désabusé, son désir de justice sociale ne l’a jamais quitté.

Nous nous souvenons tous en particulier de ce 1er décembre 2018, troisième samedi de mobilisation des Gilets jaunes, où la police a battu en retraite et l’État vacillé devant la détermination populaire dans les rues de Paris. Ce jour-là, un élan insurrectionnel animait la France du travail, qui renouait superbement avec son histoire. Soutenue par toute la classe moyenne et la petite bourgeoisie de province, méprisées et surtaxées, une jacquerie était en marche. 

Car les Gilets jaunes l’avaient bien compris : avec la trahison systématique des syndicats et des principaux partis politiques, il fallait prendre la rue sans demander la permission. Pas de « manif » déclarée, de parcours ni d’horaire à respecter, aucun leader, aucune idéologie à suivre, non, pour la première fois, le peuple, autonome, se rapprochait dangereusement de l’Élysée, des ministères et des locaux des grands médias. 

Où avons-nous failli ? Telle doit être, dans notre idéal volontariste, la question à poser. Pourquoi les grilles des palais et des ministères n’ont-elles pas été franchies ? En quoi avons-nous été freinés ? Qu’a-t-il manqué à ce puissant courant antisystème ? Peut-être nous sommes-nous résignés. Peut-être avons-nous été encore trop scolaires, trop formels. La religion du protocole et la crainte de la sanction nous ayant finalement rattrapés… 

Il me semble d’abord que nous n’avons pas suffisamment cru en nous. En notre autorité. Que nous nous sommes laissé abuser par le discours. Le discours consensuel et lénifiant. Le discours culpabilisant, criminalisant. Nous nous sommes laissé démoraliser, intimider, neutraliser, y compris par des voix de notre propre camp. Car l’ennemi est aussi intérieur. Dans un tel état de tension, la mesure et le confort des mots sont des entraves à l’action. Sans radicalité, pas d’avancée.

Au fond, nous avons été impressionnés par nous-mêmes. Par la facilité de l’initiative. Par la vulnérabilité du pouvoir. Et nous avons fini par prendre peur devant la perspective vertigineuse de notre autonomie. Car de la saine colère collective à la prise légitime du pouvoir, il n’y a qu’un pas à faire : celui de l’audace. Ce pas vers l’inconnu, vers l’absolu, qu’il nous appartient à chacun, intimement, d’amorcer au sein du groupe.

Puis, plus intéressés par l’image sur l’écran que par l’action anonyme et organique, nous sommes tombés, de faits-divers en petits scandales, dans le piège de la virtualisation de la lutte, de la théâtralisation de notre propre combat. Le soulèvement des Gilets jaunes était devenu un rendez-vous d’opposition, un rituel hebdomadaire, où la présence seule suffisait. Pour la bien-pensance, c’était un spectacle télévisuel dont il fallait craindre et mépriser les centaines de milliers d’acteurs, et pour la dissidence une tentative divertissante à commenter indéfiniment.  

De la même façon que les auteurs mal inspirés pratiquent le poétisme plutôt que la poésie, les acteurs du changement finissent par préférer le révolutionnarisme à la révolution, laissant le champ libre aux chefaillons, aux opportunistes et aux démagogues en tous genres, plus occupés à alimenter les querelles de chapelle et d’ego qu’à participer à l’effort commun de lutte.

Telles seraient donc les leçons à tirer de l’expérience des Gilets jaunes. Rester fidèle à l’instinct de révolte, à l’appel du corps. Faire masse. Maintenir la pression. Sans se retourner. Sans se disperser ni prêter attention aux orateurs, qui ne sont autres que des séducteurs. Car la « manif » autorisée est un non-sens politique, la reproduction d’un folklore tout à fait improductif : il n’y a pas d’heure ni de lieu déterminés pour se réunir et s’opposer aux injustices, à la corruption et aux mensonges d’État. Pas d’heure ni de lieu déterminés pour faire valoir son droit à la désobéissance civile.

Ne nous servons pas du rassemblement citoyen comme d’un simple exutoire, soumis aux règles et à la surveillance de l’autorité contre laquelle nous nous dressons, mais faisons-en un moyen de la déranger réellement, de la mettre durablement en difficulté. Et dans une société de contrôle permanent, l’imprévisibilité est la stratégie la plus sûre pour cela. 

Soyons imprévisibles pour l’autorité. Retrouvons donc un peu de notre bestialité face au monstre administratif qui nous asservit dans le silence du conformisme. Cultivons l’art et l’intelligence de l’improvisation. Formons les Gilets jaunes d’aujourd’hui, armons-les de courage, d’esprit et de principes. Et improvisons.

 

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