Le Printemps du nucléaire


Début 2025, la Commission européenne a lancé la mise à jour de son ‘programme indicatif nucléaire’ de 2017 : avec la quasi-interruption de la fourniture de gaz russe bon marché par pipe-line, de nombreux pays européens envisagent maintenant de relancer le recours au nucléaire pour la production d’électricité sans aléa météo. La Belgique vient d’ailleurs d’interrompre sa ‘sortie’ du nucléaire en prolongeant de 10 ans deux premiers réacteurs. En Europe comme dans le reste du monde, l’énergie nucléaire connait une nouvelle jeunesse.
Un redémarrage des centrales classiques après 30 ans de stagnation
Les accidents de Three Mile Island (USA) en 1979, puis de Tchernobyl (Ukraine) en 1986 ont porté un coup à la crédibilité de cette source d’énergie et déclenché une forte opposition des partis "verts".
En 2000, suite notamment à la trahison de la ministre française Dominique Voynet lors d’une négociation à Bruxelles, le nucléaire n’a pas été retenu par l’Union Européenne (UE) comme une énergie d’avenir. Cela suivait la décision allemande de 1998, par le chancelier Schroeder, d’une sortie du nucléaire, sur 20 ans, et les décisions françaises d’arrêt de la filière des surgénérateurs en 1997 (cf. infra 2).
L’incident de Fukushima au Japon en 2011 a conduit à des décisions politiques d’arrêt du nucléaire, notamment en Europe : Allemagne, Suisse, Belgique. En 2015, la France accepte la demande allemande d’une fermeture des deux tranches de la centrale de Fessenheim, une décision purement politique, contre l’intérêt du pays. En UE, la stagnation du nucléaire a aussi reflété la controverse quant au classement du nucléaire au sein du mix électrique. Sous l’impulsion allemande, prête à saper un avantage concurrentiel de l’industrie française, l’UE ne reconnaissait pas le caractère "carbon free" du nucléaire et son rôle pour relayer les hydrocarbures. Tournant en 2022-2023 : la Commission européenne, suivie par le Parlement, décide de classer le nucléaire et le gaz en "vert".
Dans ce contexte, les projets nucléaires en Europe ont été, comme aux USA, rares : juste les premières tranches du nouveau réacteur français EPR, à Flamanville, en Finlande et en Grande-Bretagne. Comme aux USA (7 ans de retard et $ 18 milliards de surcouts à Plant Vogtle), la rareté des constructions a conduit à une large perte de savoir-faire en France (et donc en Europe !) tant industriel (soudure, etc.) que de gestion de ces grands projets. D’où, avec l’effet "tête de série" EPR, des dépassements de délais et de couts considérables : 12 ans et € 10 milliards pour Flamanville.
En parallèle, sous l’impulsion de la Chine (pour son marché intérieur), et de la Russie (marchés intérieur et export en Chine, au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe de l’Est), le parc de centrales en construction (60 en 2023, dont plus des 2/3 en Chine ou de technologie russe) a atteint un point haut, sans connaître semble-t-il les problèmes de coûts et délais des Américains et des Français.
Un essor des technologies alternatives
En parallèle du nouvel essor des projets de centrales nucléaires classiques à eau pressurisée, l’époque actuelle est marquée par l’avancée des technologies nucléaires alternatives.
Les centrales à neutrons rapides refroidies au sodium : un nouvel essor technologique.
Cette technologie a le mérite d’utiliser les déchets nucléaires, réduisant ainsi les risques d’usage militaire de ces derniers, et de limiter le besoin de minerai d’uranium. Jusqu’aux années 1990, la plupart des grands pays ont travaillé sur cette filière complexe, de par l’usage de sodium. Mais tout comme en France, les travaux ont été interrompus aux USA et en Grande-Bretagne.
La Russie, à la différence de la France (arrêt du réacteur Superphénix en 1997 sous le gouvernement Jospin ; arrêt du projet Astrid en 2019), n’a jamais interrompu ses efforts. Elle exploite un réacteur de 600 MW depuis 1980, et un de 880MW depuis 2016. Le modèle de série ne semble pas encore défini, mais son déploiement fait partie du plan nucléaire russe à l’horizon 2042.
En Chine, deux réacteurs de design national CFR-600 de 600MW, à combustible russe, sont en construction, et cette technologie y est considérée le pilier probable de la prochaine génération de centrales.
En Inde, le chargement du combustible du réacteur PBFR a démarré en 2024 (retard de 14 ans).
Fin 2024, un accord franco-japonais est conclu pour relancer en commun les travaux de mise au point à l’horizon 2040 d’un nouveau démonstrateur de réacteur au sodium de 600MW: compte tenu de l’arrêt de cette filière durant 25 ans, la remise à niveau technologique et industrielle risque d’être très difficile, les experts ayant disparu.
Particularité américaine : les ‘petits’ réacteurs modulaires petits (moins de 300 MW)
Plusieurs projets se développent en parallèle sous l’impulsion de start-ups, d’investisseurs privés, et d’utilisateurs (notamment les GAFAM : Amazon, Google, META, Microsoft, à la recherche de ressources électriques pour les data centres requis par l’AI). Ils bénéficient d’aides du département fédéral de l’énergie ; 25 États environ (Tennessee, Texas, Michigan, Indiana, Arizona…) ont mis en place des législations favorables. Les projets les plus avancés fonctionnent à la pression atmosphérique, et aucun n’utilise l’eau comme réfrigérant.
Les 3 projets les plus avancés : Terra Power a été le premier à passer durant l’été 2024 du design à la construction d’une première centrale à Kemmerer dans le Wyoming. La société a levé $830 millions auprès d’investisseurs dont Bill Gates, SK Group (grand énergéticien de Corée du Sud), et le sidérurgiste Arcelor-Mittal. La centrale de 345 GW, avec refroidissement au sodium, devrait entrer en production en 2030. Sa construction bénéficie d’un soutien du département fédéral de l’énergie de $ 2 milliards.
Kairos Power a signé en 2024, un contrat avec Google (groupe Alphabet) pour lui fournir 500MW à partir de ses centrales Kairos de 75MW conçues pour une installation par paires. Elles fonctionnent à pression atmosphérique avec refroidissement au sel de fluor. Le combustible est spécifique : des galets de graphite comprenant des kernels d’uranium. La première centrale vise une ouverture en 2030. Un démonstrateur de petite puissance est en construction dans le Tennessee
X-Energy a clos en février 225 une levée de $700 millions auprès notamment d’Amazon et de grands investisseurs de type hedge funds pour financer son projet de réacteur Xe-100 de 80MW conçu pour être mis en place par groupes de 4 ; la petite taille du réacteur permet que la cuve du réacteur soit construite dans une usine et transportée sur le lieu d’implantation de la centrale. Le réfrigérant est l’hélium ; le combustible est similaire à celui de Kairos : des galets de graphite comprenant des kernels d’uranium. En mars, le premier projet de centrale a été déposé par X-Energy et Dow Chemicals auprès du régulateur de l’énergie nucléaire pour autorisation d’une centrale au sein d’usine du chimiste américain sur la côte du Texas ; elle pourrait entrer en service vers 2032. X-Energy et Amazon annoncent viser 5 000 MW en 2039.
Chine : percée dans les centrales nucléaires au thorium et les batteries nucléaires
Un réacteur expérimental (2MW) utilisant du sel fondu de thorium est en service depuis juin 2024 dans l’ouest de la Chine, et a réussi son 1er rechargement de combustible en octobre. Le thorium présente nombre d’avantages : abondance de la matière première ; faible production de déchets nucléaires ; risque de militarisation très limité.
La Chine est seule aujourd’hui à maîtriser cette technologie, développée à partir de recherches américaines des années 60 déclassifiées. Un réacteur de 10MW est en développement, pour mise en service en 2030 ; des réacteurs pour grands navires marchands sont envisagés
Autre percée chinoise : des batteries nucléaires miniatures. Betavolt a conçu et commence à fabriquer des batteries de la taille de pièces de monnaie, utilisant du nickel 63, pouvant fonctionner durant 50 ans et remplacer les piles actuelles. Une technologie équivalente est développée en Californie par Infinity Power. En Corée du Sud, un institut de recherche de la région Daegu Gueongbuk développe une batterie de la taille d’un comprimé pharmaceutique, utilisant du Carbone 14.
Ce tour d’horizon montre la nouvelle jeunesse de l’énergie nucléaire, avant même toute concrétisation des potentialités de la fusion : les énergies renouvelables ne sont pas les seules énergies d’avenir ! Par contre, l’Europe n’est pas à la pointe des recherches sur les réacteurs de technologie alternative à l’eau pressurisée.
Documentation :
L'UE lance un examen des besoins d'investissement dans l'énergie nucléaire - Euractiv FR
Dominique Voynet raconte comment elle a sabordé le nucléaire français à Bruxelles.
Centrales nucléaires : la Chine et la Russie dominent le commerce mondial de l’atome
Surgénérateurs :
USA :
New Wave of Smaller, Cheaper Nuclear Reactors Sends US States Racing to Attract the Industry
These nuclear companies lead the race to build small reactors in U.S.
Chine
Batteries nucléaires :
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.