Impôt : les inégalités face à l'informatique, nouvelle source d'injustice fiscale

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 03 juillet 2018 - 19:19
Mis à jour le 04 juillet 2018 - 14:22
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En janvier 2016, la CEDH a confirmé la possibilité pour un employeur de surveiller l'usage de l'inte
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© GREG BAKER / AFP/Archives
La fracture numérique va être particulièrement difficile dans le domaine de la fiscalité et des déclarations d'impôt.
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La présence croissante du numérique dans la transmission de données fiscales fait apparaître une nouvelle inégalité entre ceux qui ont aisément accès à ces compétences et ceux qui en sont durablement éloignés. Et le prélèvement à la source n'arrangera en rien la situation. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "France-Soir" cette source d’injustice.

Chaque année, la période de déclaration des revenus se trouve conjuguée avec des files d'attentes dans les locaux de la DGFIP (autrement dit les "hôtels des Impôts"). Bien des contribuables déboussolés viennent chercher des renseignements voire de judicieux conseils. Parmi eux, il y a des personnes atteintes par des évènements de la vie (décès du conjoint, chômage, etc.) mais aussi des contribuables qui ne manient pas l'informatique au point d'être en capacité de remplir leur déclaration via internet.

Selon un chiffrage récent, il est établi que 23% de nos compatriotes ont des difficultés avec le maniement de l'informatique. Dans ce groupe important (on serait tenté de dire "imposant" vu le sujet…) on compte des personnes âgées de plus de 70 ans et hélas les 3,2 millions d'illettrés que compte notre pays. Bien sûr, un cynisme administratif pourrait se dévoiler en soulignant que les populations fâchées avec le web ne sont généralement pas ou peu imposables. Alors, oserait-on les compter pour quantité négligeable?

Il n'en demeure pas moins qu'il existe une fracture numérique et que certains centres d'appel mis en place par Bercy sont assez surprenants. Un exemple tiré de l'expérience d'un couple d'amis proches qui habitent une commune reculée de la Nièvre où il n'y a pas d'accès web:"Vous ne pouvez pas remplir votre déclaration. Très bien. Donnez-moi votre email et je vous adresse une notice d'explication". Quand ça ne veut pas, ça ne passe vraiment pas! Et le dialogue usagers-État tourne vite à l'aigre-doux voire au mépris mutuel.

Il me semble légitime de souligner que le prélèvement à la source va rendre encore plus complexe la déclaration des revenus puisque tout le monde a enfin compris –même l'ancien secrétaire d'État socialiste Christian Eckert– qu'après le prélèvement mensuel réalisé par et au frais des entreprises (coût d'environ 600 millions affectant de facto la compétitivité), il y aura besoin de remplir une déclaration de régularisation notamment pour intégrer les RICI: réductions d'impôt et crédit d'impôt.

Lire aussi: Taux individualisé de l'impôt pour le prélèvement à la source: le dispositif ne rencontre pas le succès

A ceux qui pensent que le prélèvement à la source sera une simplification, j'objecte qu'il va créer deux catégories de contribuables. D'une part, ceux qui peuvent dialoguer avec leurs patrons (en cas d'erreur matérielle de la comptabilité lors du calcul du prélèvement) et aussi avec l'administration car familiers d'internet. D'autre part, ceux qui seront victimes de l'inégalité car trop subordonnés dans l'entreprise et trop craintifs vis-à-vis de la machine étatique.

François Hollande aime à se répandre, depuis plusieurs semaines, en listant les points forts –réels ou supposés– de son quinquennat. En matière fiscale, ce prélèvement à la source bancal (car incomplet par exemple du fait de la non-suppression du quotient familial) va avoir des relents de Bérézina pour les plus faibles des Français. Comme aurait pu le dire le regretté premier ministre socialiste suédois Olof Palme: quelle drôle de conception du "socialisme à visage humain".

Marc Blondel, l'ancien leader de Force ouvrière, a écrit que "l'impôt c'est le cordon ombilical de la citoyenneté" et il s'insurgeait ainsi que moins d'un contribuable sur deux ne paye l'impôt sur le revenu. En matière de gestation ou de germination, Bercy a en tête une future fusion entre la CSG et l'impôt sur le revenu. Là encore, cela supposera pédagogie et respect des quelques six à sept millions de Français qui ne sont pas en capacité d'opérer des déclarations en ligne.

Quand je vois des personnes –aussi frêles que respectables– de 90 ans être obligées de se déplacer au Centre des impôts pour obtenir un formulaire papier, je me dis, avec componction, que l'humanisme qu'appelaient de leurs vœux des ministres de l'Économie comme René Monory, Raymond Barre ou Jacques Delors est loin de prospérer. Fracture issue de l'âge, de la compétence, des zones blanches: tel est le constat actuel qui ne grandit pas notre République et ni ne la rend plus efficace. Attendons l'an prochain avec l'impact de ce si cher prélèvement à la source et les files d'attente qu'il ne va pas manquer de générer.

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