Guerre contre l'État islamique : la "wilayat al-Furat" pourrait servir de base arrière aux djihadistes fuyant Mossoul

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Stéphane Mantoux avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 07 décembre 2016 - 13:52
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Une colonne blindée des djihadistes de la wilayat al-Furat de l'État Islamique.
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Une colonne blindée des djihadistes de la wilayat al-Furat de l'État Islamique.
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L'EI a souhaité enterrer les frontières dessinées par les accords Sykes-Picot en créant en 2014 la "wilayat al-Furat" à cheval sur l'Irak et la Syrie. Cette wilayat n'a cessé de monter en puissance tout au long de l'année 2016. Ce territoirservirait de zone de repli aux djihadistes de Daech si ces derniers essuyent une lourde défaite dans les rues de Mossoul, actuellement assiégées par les forces kurdo-irakiennes. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de la stratégie de l'EI, décrypte en partenariat avec "FranceSoir" la montée en puissance de cette possible base arrière de l’organisation terroriste.

La wilayat (province) al-Furat (Euphrate) de l'Etat Islamique a été créée en septembre 2014: elle a la particularité d'être à cheval sur l'Irak et la Syrie. Elle englobe en effet la ville irakienne frontalière d'al-Qaïm et, du côté syrien, la localité d'al-Bukamal. La création de cette province renforce ainsi le discours de l'Etat islamique (EI) qui veut enterrer les frontières dessinées par les accords Sykes-Picot, selon lui. En réalité, les frontières en question existaient déjà sous l'empire ottoman. Daech ne fait que sanctionner une réalité qui existait déjà depuis longtemps, notamment de par les relations transfrontalières entre tribus.

Sur cette carte, on voit la wilayat al-Furat de l'EI à cheval entre la Syrie et l'Irak.
 
Plutôt discrète dans la production de vidéos militaires de l'EI, et disposant à l'évidence de moyens limités, la wilayat al-Furat n'a cessé de monter en puissance tout au long de l'année 2016, bien avant la bataille de Mossoul qui occupe aujourd'hui le devant de la scène. Le premier événement qui montre l'ascendant de la wilayat est l'échec du raid de la Nouvelle Armée Syrienne et des Forces des Martyrs Ahmad al-Abdo contre al-Bukamal, le 28 juin. La Nouvelle Armée Syrienne (NSA) a été formée en novembre 2015: c'est une unité du type "forces spéciales" composée de rebelles syriens attachés de manière lâche au Front de l'Authenticité et du Développement (une coalition née fin 2012 qui aujourd'hui est plus une ombrelle pour l'appui saoudien), entraînés et armés par les Etats-Unis et la Jordanie.
 
La NSA est encadrée de près par les forces spéciales américaines. Les Forces des Martyrs Ahmad al-Abdo, quant à elles, sont un groupe rebelle évoluant dans le désert syrien à l'est de Damas, dans l'est du Qalamoun, récipiendaire de missiles TOW américains, mais soutenus de façon plus distante, et surtout parce qu'elles combattent les forces de l'Etat islamique. Après plusieurs raids sur les positions de l'EI autour d'al-Bukamal, les deux groupes lancent un assaut contre dernière localité les 27-28 juin. Les forces de l'EI de la wilayat al-Furat repoussent l'attaque: si les rebelles syriens ne comptent que 5 morts, ils abandonnent une quantité impressionnante de matériels récupérés par les djihadistes (munitions pour armes légères, pour mortiers, des canons sans recul SPG-9, des mortiers de différents calibres, des mitrailleuses de différents calibres, une centaine de fusils d'assaut Type-56 chinois, une dizaine de véhicules équipés de mitrailleuses américaines, d'autres équipements).
 
La wilayat al-Furat publie le 31 juillet une vidéo intitulée "La bravoure des hommes", montrant des opérations datant probablement du début du mois, à l'ouest de Ramadi. Les forces de l'EI mènent des raids contre de petites positions de l'armée irakienne: la colonne visible ne comprend que 5 véhicules, mais à côté de 3 technicals (pick-up ou véhicules sur lesquels sont montés des mitrailleuses, des armes antichars, etc), on trouve déjà 2 véhicules blindés improvisés. Ces véhicules blindés improvisés disposent de fentes de tir latérales pour les combattants embarqués: on voit un mitrailleur PK faire feu dans une de ces fentes.
 
Dans cette vidéo, l'infanterie utilise aussi un lance-roquettes bricolé envoyant des roquettes sol-air S-5K soviétiques à charge HEAT, s'inspirant de montages déjà vus en Irak sous l'occupation américaine par exemple. Les moyens restent de faible ampleur mais tranchent déjà avec ce que l'on avait vu précédemment dans cette wilayat.
 
La vidéo "Les terrifiants détonateurs" mise en ligne le 11 septembre prouve que les capacités militaires de la wilayat continuent de se développer. Les images datent de la fin juillet et du mois d'août probablement, et pour l'essentiel montrent des opérations près d'al-Rutbah, ville irakienne sur laquelle Daech lancera une attaque de diversion une semaine après le début de l'offensive contre Mossoul le 17 octobre. La wilayat mène toujours des raids motorisés et mécanisés: mais cette fois l'effectif est conséquent, on peut voir de 40 à 50 hommes sur un seul plan de la vidéo. Les moyens d'appui, adaptés à des raids mobiles, sont néanmoins plus importants avec un mortier de 120 mm et des roquettes artisanales.
 
La flotte de véhicule surtout augmente: aux habituels technicals avec pièces antiaériennes soviétiques capturées s'ajoute un Toyota Hilux avec mitrailleuse M2HB américaine tout droit issu du butin pris à la Nouvelle Armée Syrienne. La wilayat développe aussi des pick-up surblindés avec plaques de blindage comme cela se fait déjà dans d'autres régions tenues par l'organisation terroriste. Une des colonnes de la vidéo comprend déjà jusqu'à 16 véhicules. Une des attaques est cette fois précédée de l'emploi de 2 VBIED, des véhicules kamikazes.
 
La dernière vidéo de la wilayat al-Furat, "Les lions de la campagne", a été publiée le 16 novembre dernier. Elle montre encore une fois des opérations près d'al-Rutbah et à l'ouest de Ramadi, remontant au mois d'octobre, juste avant le déclenchement de l'assaut contre Mossoul. L'effectif est encore plus important puisqu'on voit de nouveau 50 à 60 hommes lors d'un plan, sans compter ceux présents dans les véhicules: on dépasse probablement la centaine. A noter la présence d'un combattant originaire d'Asie Centrale (peut-être un Ouzbek) qui s'exprime dans sa langue natale au début de la vidéo, et qui est sous-titré en arabe par l'EI. Un premier convoi d'une dizaine de véhicules montre à nouveau un Toyota Hilux avec mitrailleuse de cal.30 récupérée sur la NSA. La colonne la plus imposante compte cette fois 20 véhicules dont 3 véhicules blindés improvisés et 10 ou 11 technicals, le reste étant composé de pick-up classiques pour le transport. Les groupes de combat débarqués sont nombreux: l'un d'entre eux comprend au minimum 15 à 20 combattants.
 
La montée en puissance de la wilayat al-Furat est sans aucun doute liée à sa position stratégique pour l'EI. Elle est en effet voisine de la wilayat al-Khayr, qui correspond à la province syrienne de Deir ez-Zor. Des commandants militaires de l'EI et leurs familles se sont déplacés de Mossoul et de Raqqa, les deux capitales actuellement visées par leurs adversaires, dans cette ville syrienne. Cette position est le dernier "pont" reliant la Syrie à l'Irak au sein des territoires contrôlés par Daech. Le groupe salafiste est particulièrement bien implanté à Mayadin et al-Bukamal, deux villes proches de la frontière et des champs de pétrole de la région. Or l'EI continue de vendre du pétrole au régime syrien et même aux rebelles, alors même qu'il a perdu des puits en Irak avec l'offensive contre Mossoul.
 
Si l'EI peut voler à loisir et utiliser du pétrole en Irak, c'est beaucoup moins vrai en Syrie où les puits de Deir ez-Zor ont une importance cruciale. L'argent tiré de la vente du pétrole sert aussi à financer des opérations comme les attentats à l'étranger, très importants pour l'image de l'organisation. En outre, Daech s'est servi à petite dose de son arsenal chimique à Deir-ez-Zor. La coalition est en peine de trouver des relais locaux, la population ayant été coupée du reste du pays depuis la chute de la province entre les mains des djihadistes en 2014 etqui la tiennent d'une main de fer depuis. L'échec du raid de la NSA sur al-Bukamal montre qu'il sera difficile de s'appuyer sur des forces locales. Par ailleurs, le régime syrien soutenu par la Russie s'accroche à l'aéroport militaire de Deir ez-Zor, assiégé depuis plus de deux ans par l'EI, ce qui complique les choses.
 
Retranché sur la zone frontalière, l'Etat islamique pourrait continuer à lancer des attaques conventionnelles ou de guérilla dans l'est de la Syrie ou l'ouest de l'Irak. Nibras Kazimi, dans un article paru il y a un an, ne disait pas autre chose. Kyle W. Orton, de la même façon, vient de publier un article où il explique que la wilayat al-Furat pourrait bien être le refuge salvateur de l'EI.
 

 

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