De 4 milliards aujourd’hui à 8 milliards de passagers aériens en 2040. Et moi, et moi, et moi...
NUISANCES/ENVIRONNEMENT - Au Salon du Bourget, Airbus et Boeing ont annoncé viser le doublement de leur flotte d’ici à 2040. Les marchés indiens et chinois sont un eldorado pour les avionneurs et des masses de touristes vont déferler en France. Pas de répit pour la santé de la population impactée par les nuisances sonores et la pollution.
Pendant la 54e édition du Salon du Bourget qui s’est tenu du 19 au 25 juin 2023, les représentants du secteur aéronautique ont fait valoir des prévisions hors sol. Ça plane pour Airbus, et son concurrent Boeing, qui visent le doublement du nombre d’avions en service d’ici à 2040. On passerait de 4 milliards à 8 milliards de passagers dans les airs. Bonjour les nuisances sonores et la pollution !
Jean-Marc Jancovici, qui préconise "un quota de quatre vols en avion dans une vie", peut aller se rhabiller. C’est plus que le grand écart ! D’un côté on vise des marchés économiques juteux, de l’autre on parle de sauver les habitants de la planète. Deux philosophies différentes du monde s’affrontent.
De manière plus mesurée, quinze associations environnementales et de riverains d’aéroports ont appelé à réduire le trafic aérien pour préserver le climat et la santé des habitants. Elles ont signé une tribune dans le Journal du Dimanche (JDD). En vain.
Le SAF et l’avion à hydrogène… de la poudre aux yeux
Au Salon du Bourget, Emmanuel Macron s’est fait le chantre du transport vert , s’appuyant sur le "en même temps", une formule qui lui est chère. "On ne peut pas demander aux gens de choisir entre un modèle social exigeant et le climat. Il faut faire les deux en même temps". Et de poursuivre: "La sobriété bien organisée, si je puis dire 'non punitive', comprise par tous, partagée par tous, raisonnable, qui fait qu’on fait chacun des efforts, qu’on évite ce qui est inutile et qui permet de réduire les émissions, elle est bonne".
En visite chez Safran, il avait annoncé quelques jours plus tôt "investir 300 millions d’euros par an dans la filière aéronautique pour devenir les champions de l’avion ultra sobre et le produire en France". Par ailleurs, l’objectif est de "produire 500 000 tonnes de carburants durables en France à l’horizon 2030, représentant 6% du carburant total."
À cela les associations ont répondu : "Il n’y aura pas assez de carburants alternatifs (SAF) pour tous les avions car nos ressources sont largement contraintes." Les SAF (comprenez les "sustainable aviation fuel" en anglais, soit les "carburants durables d’aviation") sont loin d'être une solution miracle.
Pour produire de grandes quantités, les SAF entraînent des déforestations, car ils demandent beaucoup de ressources, d’espace et d’énergie. Chez Air France-KLM, le carburant alternatif ne représente que 1% du carburant total en 2022.
L’avion à hydrogène semble avoir du plomb dans l’aile. Aujourd’hui seul Airbus continue à marteler son objectif de produire un premier avion à hydrogène en 2035.
Il y a les discours, et il y a la réalité. Le SAF et l’avion à hydrogène ne compenseront pas l’explosion du trafic aérien. C’est de la poudre aux yeux pour faire avaler une croissance insoutenable. La décarbonation du secteur aérien commence par moins de vols dans le ciel.
Les marchés indiens et chinois, un eldorado pour les avionneurs
Qu’en est-il côté business lors de cette 54e édition ? Les compagnies aériennes sont sur un petit nuage. Certaines veulent renouveler leur flotte, d’autres ont carrément une stratégie agressive de croissance. Rien d’étonnant que 150 milliards de dollars de contrats aient été signés, soit une augmentation de 10 milliards par rapport à 2019, après quatre ans d’absence de ce grand raout en raison de la crise sanitaire. En clair, cela correspond à la commande de plus de 1 150 avions.
Ambiance planante. Les marchés indiens et chinois sont devenus un eldorado pour les avionneurs. "Le marché indien de l’aviation va être multiplié par cinq, le marché chinois par trois contre un doublement dans le reste du monde, dans les vingt ans à venir", relève Jean-Luc Brincourt, expert du secteur aéronautique chez Accenture.
Airbus a dominé le salon, remportant le traditionnel match des commandes avec la plus grosse commande de l’histoire de l’aviation. Le constructeur a signé avec la compagnie indienne IndiGo la commande de 500 avions de la famille A320neo pour la bagatelle de 55 milliards de dollars, au tarif catalogue. Autres contrats colossaux : Air India s’est engagé sur 250 Airbus et 220 Boeing.
Premier VRP de France, Emmanuel Macron a invité le premier ministre indien Narendra Modi à assister au défilé militaire du 14 juillet, à Paris. "Heureux de t’accueillir comme invité d’honneur", s’est exclamé le Président.
En 2023, l’Inde dépasse la Chine pour devenir le pays le plus peuplé du monde. Une classe moyenne se développe et dégage assez de revenus pour acheter un billet d’avion. Voyager à travers le monde constitue un marqueur social en Inde. Après les Chinois, ce sont les Indiens qui vont déferler en France, se prendre en selfie devant la Tour Eiffel, faire la queue devant les boutiques LVMH... Et moi, et moi, et moi.
- Corine Moriou est journaliste indépendante, Grand Reporter
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