Scandale "LuxLeaks" : le lanceur d'alerte Antoine Deltour dit avoir "agi en citoyen"
A l'approche du procès, Antoine Deltour, jeune homme discret tout juste trentenaire, lunettes et barbe de trois jours, dit assumer les conséquences de son action, tout en éprouvant "un sentiment mêlé d'impatience et d'appréhension". Il encourt une peine de 10 ans d'emprisonnement et plus d'un million d'euros d'amende.
Poursuivi pour avoir fourni à la presse des documents révélant des accords entre le fisc luxembourgeois et certaines multinationales, il comparaîtra devant la justice luxembourgeoise jusqu'au 4 mai.
"Au départ, j'étais juste une source anonyme, et je me retrouve sur le devant de la scène", raconte-t-il dans un entretien accordé à l'AFP dans une brasserie d'Epinal, sa ville natale des Vosges (est de la France) où il est aujourd'hui revenu vivre.
Jusqu'en 2010, il travaillait au Luxembourg voisin comme auditeur dans la filiale du cabinet de consultants PricewaterhouseCooper (PwC) avant d'en démissionner", "entre autres, parce qu'(il est) scandalisé par certaines pratiques fiscales".
Lui qui avait débuté sa vie professionnelle au Luxembourg "sans a priori" mais "sans naïveté" ne se doutait "ni de l'ampleur, ni de la radicalité de ces pratiques".
"Pendant deux ans, j'ai accepté, considérant que ma situation confortable méritait de faire ce sacrifice, mais j'ai ressenti le besoin de partir pour être en phase avec mes convictions", explique-t-il.
Avant de quitter son poste, il copie sur le serveur informatique des centaines d'actes fiscaux confidentiels entre l'administration fiscale luxembourgeoise et des multinationales.
Lorsqu'il prend contact avec des experts sur le sujet pour "valider (son) interprétation", "cela ne donne rien de probant" et il se dit "prêt à abandonner".
Plusieurs mois plus tard, en 2011, il est contacté par le journaliste Edouard Perrin, de l'émission Cash Investigation de la chaîne publique France 2, à qui il livre les documents.
La révélation de ces informations déclenche le scandale des "Luxleaks", qui avaient mis en lumière les " tax rulings", ces décisions anticipées conclues au Luxembourg et qui permettent aux multinationales d'échapper quasiment à l'impôt.
Inculpé en décembre 2014 par une juge d'instruction luxembourgeoise de vol, violation du secret d'affaires, violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système informatique et blanchiment, M. Deltour comparaîtra avec un deuxième employé de PwC et le journaliste français Edouard Perrin.
"Mon rôle se limite à avoir fait un copié-collé et à avoir répondu à un journaliste", assure M. Deltour, ajoutant que "le traitement de cette information est allé bien au-delà de (ses) intentions".
"C'est une épreuve d'affronter la justice, mais mon anxiété actuelle est contrebalancée par les répercussions qui prouvent que l'intérêt général était au cœur de ma démarche", assure-t-il même si, depuis sa mise en cause par la justice, il reconnaît avoir été parfois traversé par le doute.
"Quand je me suis retrouvé placé en garde à vue, je me suis demandé pourquoi je m'étais mis dans cette situation", dit-il, rassuré toutefois par ce que "les révélations ont permis" de déclencher.
A la suite de ce scandale, la Commission européenne avait lancé en juin 2015 un plan d'action pour tenter d'harmoniser les 28 systèmes européens d'impôt sur les sociétés et pour lutter contre l'évasion fiscale des multinationales.
Antoine Deltour a passé après son expérience luxembourgeoise un concours de la fonction publique française et travaille aujourd'hui à l'antenne lorraine d'un institut économique, au service --cette fois-ci tout à fait officiellement-- de l'intérêt général.
À LIRE AUSSI
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.