La dette invisible des 3.200 milliards d'euros du "hors-bilan" que rien n'arrête
C’est le même rituel à chaque fois que l’exécutif décide d’engager des dépenses supplémentaires, vues comme des "cadeaux" par ses opposants (comme actuellement pour les enseignants, les instituteurs ou les élus municipaux): le rappel du montant de la dette. Avec en sus, une petite tape sur les doigts de la part de Bruxelles, qui appelle la France à ne pas creuser un peu plus sa dette publique. Qui s’élève approximativement, en ce milieu d’année 2016, à 2.100 milliards d’euros, et commence à se rapprocher de la barre symbolique des 100% du PIB.
Problème: il existe un autre type de dette, qui n’apparaît pas dans les chiffres officiels communiqués pour connaître l’Etat du budget français, et dont le passif ferait tourner de l‘œil ceux qui s’inquiète déjà du chiffre de 2.100 milliards.
Le "hors-bilan", comme son nom l’indique, représente l‘ensemble des engagements futurs de l’Etat, c'est-à-dire soit les dépenses déjà prévues au-delà de l’année en cours, soit de sommes que l’Etat s’engage à payer si un autre acteur, dont il est caution, devient défaillant. En France, en 2016, le montant du "hors-bilan" atteint approximativement le chiffre de 3.200 milliards d’euros. Plus de 1.000 milliards de plus donc que ce déficit qui fait tant couler d’encre, et sur lequel les futurs programmes politiques seront sommés de se positionner.
Cour des miracles budgétaire
Principal composant de ce "hors-bilan": la retraite des agents publics. Les fonctionnaires d’Etat en effet ne touchent pas leur pension d’une caisse dédiée, mais directement du budget de l’Etat. Or les pensions futures des agents actuellement en exercice sont bel et bien un engagement de l’Etat, qui promet légitimement de pouvoir les payer. Montant de l’engagement à ce jour: 1.600 milliards d’euros (l'équivalent de 75% de la dette publique "officielle"). Pas de risques de voir l’Etat s’en acquitter immédiatement certes, mais la dépense à terme sera inévitable. Et le chiffre montre au passage quel serait le poids financier d’une caisse d’assurance retraite des fonctionnaires, si elle devait être gérée indépendamment par des organisations paritaires. On comprend que l'Etat préfère garder directement la main dessus...
L’autre partie du "hors bilan", plus inquiétante, représente l’ensemble des cautions de l’Etat, c'est-à-dire les cas où de organismes comptent sur l’Etat pour éponger des dettes dans le cas où ils seraient en défaut de paiement. L’Unédic, et ses 25 milliards de dettes, est un cas classique où l'Etat accepte de payer pour un régime qui ne parvient plus à être à l’équilibre, et qui ne pourrait l’être que si le chômage baisse drastiquement et dans la durée… Un autre nom connu que l’on retrouve dans ces engagements est celui de Dexia: la "banque des collectivités" à qui l’on a reproché d’avoir fait souscrire des "emprunts toxiques" à bon nombre de communes françaises, et qui s’est retrouvée dans le rouge. Résultat, la France s’est engagée (avec la Belgique et le Luxembourg) à garantir toute émission (courant sur moins de dix ans) intervenant avant le 31 décembre 2021. Total pour les comptes publics: 33 milliards à devoir potentiellement débourser si Dexia fait défaut. Ce qui est loin d’être inconcevable. "L’Etat ne peut pas se permettre le dépôt de bilan d’un établissement comme Dexia, du fait de ses engagements dans les finances des collectivités locales. L’Etat dit donc +de combien avez-vous besoin?+ et se porte caution" explique Jean-Yves Archer, économiste et spécialiste des Finances publiques. "Cela représente un engagement qui vient grossir le hors-bilan de 100 millions d’euros chaque mois".
Ce ne sont que deux exemples parmi tant d’autres: l’ensemble des dettes des entreprises du secteur public vient naturellement alimenter ce "hors-bilan", et n’est donc jamais pris en compte dans la dette publique et surtout… jamais réellement discuté par les parlementaires. En effet, les projets de lois de finance ne concernent en principe que la partie visible de l’iceberg des Finances publiques, le "hors-bilan", lui, étant largement à la discrétion de l’exécutif.
Un rapport du Sénat du 24 juillet 2002 n’hésitait d’ailleurs pas à pointer du doigt "des engagements hors-bilan mal connus", et sur lesquels les sénateurs n’avaient pas leur mot à dire. Et 2002 semble déjà bien loin: selon les estimations de Jean-Yves Archer "en dix ans, le montant du hors-bilan a été multiplié par 3,5". En toute discrétion.
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