Départ de Thomas Piquemal d'EDF : des dysfonctionnements en interne
Par sa démission soudaine confirmée ce lundi 7 mars, le directeur financier d'EDF Thomas Piquemal, a tiré la sonnette d'alarme sur la situation financière du géant de l'électricité qui a besoin de capitaux pour la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point, en Angleterre, mais aussi pour le sauvetage d'Areva.
Confronté à un environnement énergétique déprimé en Europe et de plus en plus concurrentiel, le groupe, détenu à 84,5% par l'Etat français, a confirmé ce lundi la démission de son directeur financier, sans fournir d'explications. Le départ brutal de M. Piquemal, qui masque, selon une source proche du groupe, un désaccord "sur la faisabilité à court terme" du projet Hinkley Point, a ébranlé l'action EDF qui plongeait de 7% à 10,09 euros ce lundi vers 14h30 dans un marché boursier en baisse de 0,9%. Son cours de Bourse a fondu de plus de moitié en un an.
Paris et Londres ont renouvelé leur soutien à ce projet qui suscite des interrogations de la part de syndicats et d'écologistes, sur ses risques financiers. En confirmant la "pleine confiance" de l'Etat dans le PDG du groupe Jean-Bernard Lévy, le ministre français de l'Economie Emmanuel Macron a souligné l'opportunité de croissance que confère à EDF ce projet qui sera "très rentable sur les 30 années à venir". Selon lui, "la situation d'EDF est précisément due à la situation des prix de l'électricité aujourd'hui sur le marché", qui connaissent une forte baisse, "et à l'ouverture du chiffre d'affaires à des prix plus dérégulés du côté d'EDF", qui demande un rattrapage des tarifs réglementés des particuliers en France.
Mais outre Hinkley Point, l'électricien, qui affichait une dette nette de 37,4 milliards d'euros à la fin 2015, compte parmi ses autres investissements importants le chantier de rénovation de ses 58 réacteurs français ("grand carénage"), estimée à 50 milliards d'euros. Il devra aussi financer le rachat de l'activité réacteurs d'Areva, tout en poursuivant son objectif de doubler ses capacités de production d'énergies renouvelables à l'horizon 2030.
Le départ du directeur financier "reflète des dysfonctionnements en interne" et des "opinions divergentes" sur ce projet gigantesque de 18 milliards de livres (23,2 milliards d'euros), a analysé pour l'AFP Xavier Caroen de la banque d'affaires Bryan Garnier. EDF a toujours l'intention de prendre une décision finale d'investissement "dans un avenir proche" sur ce dossier, a déclaré M. Lévy, dans une déclaration écrite diffusée après l'annonce de la démission du directeur financier. Celui-ci sera remplacé "à titre provisoire" par Xavier Girre, jusqu'alors directeur financier pour la France.
A la mi-février, le patron d'EDF avait déjà indiqué que la décision finale d'investissement, dernière étape avant la concrétisation du projet, était "très proche". Selon le quotidien britannique Financial Times, M. Piquemal a rencontré M. Lévy "plusieurs fois la semaine dernière disant que l'entreprise devrait attendre encore trois ans avant de prendre la décision finale d'investissement" sur Hinkley Point. Celle-ci se fait attendre depuis la signature en octobre 2015 d'un accord commercial avec le chinois CGN, qui doit supporter un tiers du financement des deux réacteurs. Pour la fédération CGT mines-énergie (FNME CGT), "il est temps que le gouvernement et le président d’EDF décident de différer ce projet qui conduirait l'entreprise à un risque de rupture majeur".
A son tour, Greenpeace est montée au créneau ce lundi, mettant à l'index un "investissement qui est trop lourd et trop risqué pour EDF", l'invitant à "réorienter ses projets industriels vers les énergies renouvelables". Pour les Verts allemands (opposition), "il est temps de revenir à la raison, et de faire sortir l'Europe du nucléaire", dénonçant le "projet dément" d'Hinkley Point.
Le départ du directeur financier est aussi un nouveau coup dur pour l'EPR, produit phare de la filière nucléaire tricolore, qui accumule déjà d'importants déboires à Flamanville (Manche), où sa mise en service a été reportée à fin 2018. Aucun de ces réacteurs de nouvelle génération n'est en activité. Deux EPR sont en construction en Chine, un autre - très en retard aussi - en Finlande. L'EPR est "une impasse économique, industrielle et commerciale", a déclaré sur France Info, Jean-Vincent Placé, secrétaire d'Etat écologiste à la Réforme de l'Etat. EDF a dégagé un bénéfice net divisé par trois en 2015, à 1,2 milliard d'euros, laminé par des dépréciations d'actifs thermiques en Europe et une provision supplémentaire pour le centre d'enfouissement de déchets nucléaires Cigéo.
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